— Voulez-vous me dire, mon frère, ce que vous faites chez moi ? attaqua Marie dont l’entrée en trombe le fit sursauter ainsi que son satellite à qui elle montra la porte : « Toi, dehors ! Je suis seule maîtresse ici : ne l’oublie plus ! »
Effrayé, l’homme s’exécuta, emportant avec lui le flacon tandis qu’un peu effaré le frère du défunt Luynes s’extrayait de son siège après avoir avalé d’un seul coup le reste de son vin.
— Ne serait-ce pas, au contraire, à vous, ma sœur, qu’il faudrait demander ce que vous y faites ? Ne devriez-vous pas être en route pour l’exil ?
— L’exil, moi ? Et pourquoi donc ?
— Parce que c’est la seule chose qui convienne lorsque l’on vient d’être chassée de la Cour !
Marie haussa les épaules et, repoussant Brantes du bout d’un doigt, alla occuper le fauteuil qu’il venait d’abandonner, s’y campa en indiquant du geste à Elen de la débarrasser de son chapeau.
— Qui a bien pu vous dire que j’avais été « chassée » ? Fi ! Le vilain mot que l’on ne saurait entendre quand on est une Rohan ! Quant à l’exil, je viens bonnement de ma terre de Lésigny. Simple déplacement n’ayant rien à voir avec ce qui pourrait être ce genre de départ. Tout mon service est resté ici jusques et y compris M. de Malleville. En ce qui concerne mes enfants…
— Parlons-en puisque c’est justement en leur nom que vous me voyez céans ! Vous disparue, il convenait qu’un de leurs oncles prît soin de leurs intérêts comme de leurs biens. Notre plus aîné, le maréchal de Cadenet, duc de Chaulnes, résidant ces jours sur ses terres de Picardie, je me devais de m’en charger. Cet hôtel est de leur héritage…
Marie s’accorda le temps d’examiner dans le détail son intempestif visiteur avec un léger sourire parfaitement insolent. Des trois frères, Léon d’Albert, sieur de Brantes, était selon elle le moins réussi, encore qu’une réelle ressemblance existât entre eux. D’assez haute stature il pouvait passer pour bel homme, mais sa moustache de chat ne parvenait pas à donner du caractère à des traits mous dont il accentuait le côté féminin en portant aux oreilles de longues perles. Il s’efforçait d’ailleurs d’en lancer la mode mais tel qu’il était, cet « élégant » avait réussi à épouser la duchesse de Piney-Luxembourg, fille du prince de Tingry, ce qui lui permettait de porter « par courtoisie » l’un des rares titres ducaux transmis par voie féminine. C’est dire qu’il ne lui appartenait pas vraiment. Il n’en était pas moins extrêmement glorieux et infatué.
— L’héritage d’un duc c’est d’abord son duché, dit Marie. Si mes ordres ont été bien suivis, mon fils et ses sœurs ainsi que leur maison doivent avoir atteint Luynes. Ils s’y trouvent parfaitement en sûreté. Quant à cet hôtel il fait partie de mon douaire et j’y suis maîtresse…
— Jusqu’au jour… prochain où vous allez être obligée de le quitter, plus vite que vous ne le souhaiteriez sans doute quand le Roi saura que vous vous obstinez à rester assise à sa porte et il vous en fera tirer par ses gardes pour vous enfermer dans un carrosse bien clos à destination d’un…
Marie frappa du pied avec colère et leva vers lui des yeux fulgurants :
— Cessez donc de débiter des sornettes et de prendre vos désirs pour des réalités ! Je n’ai pas, que je sache, attenté à la Majesté Royale pour être traitée ainsi que vous le décrivez avec tant de complaisance. En outre, si je n’ai plus d’époux, j’ai encore un père, un frère qui sont plus grands que vous, et aussi des amis…
— Des amis ? Vous vous apercevrez sans tarder qu’il ne vous en reste guère…
— Je n’ai pas l’intention de vous inviter à les compter avec moi ! Etant dit, faites-moi la grâce de disparaître ! Vous n’êtes pas le bienvenu et vous me gênez !
Le visage du « duc de Luxembourg » devint jaune comme si la bile s’y infiltrait. Il prit un air de tête superbe, essaya de friser sa moustache hérissée d’un geste qu’il voulait insolent et qui n’était que ridicule, puis secoua la tête, ce qui fit cliqueter ses boucles d’oreilles :
— Je reviendrai peut-être plus tôt que vous ne pensez et vous ferai regretter vos paroles insultantes…
— Soyez logique pour une fois ! Si vous revenez c’est que je serai en route pour l’exil et je serais fort étonnée que l’on fît choix de vous pour veiller au patrimoine de mon fils ! Vous semblez oublier, mon cher beau-frère, que depuis la mort de mon époux regretté, la faveur des d’Albert – qu’ils soient de Luynes, de Cadenet ou de Brantes – n’est plus ce qu’elle était. Soyez certain que si le Roi ne m’aime plus autant que naguère il ne vous porte pas davantage d’affection. Alors imitez Cadenet qui a au moins la sagesse de rester dans son gouvernement et allez respirer l’air de la campagne ! Sur ce, je vous donne le bonjour. Vous connaissez le chemin, je pense ?
Outré, Léon de Brantes lança à la jeune femme un regard furibond, tourna les talons et, sans saluer, partit à grands pas vers l’escalier tandis que Marie se dirigeait vers une fenêtre pour assister à son départ.
— Quelle mouche l’a piqué ? remarqua Elen. Jusqu’à présent l’entente semblait régner entre vous et la famille du défunt Connétable.
— Eh bien c’était un faux-semblant ! Quant à la raison qui l’a poussé jusqu’ici, elle n’est pas difficile à deviner : en dehors de la simple cupidité, il y a le vif désir d’essayer d’arranger ses affaires auprès du Roi en me traitant comme brebis galeuse !… Ah ! Le voilà qui remonte en voiture ! Oublions-le s’il te plaît et va me chercher Malleville !
Tandis que Mlle du Latz s’acquittait de sa commission, Marie alla s’asseoir devant sa table à écrire, prit du papier, une plume en s’assurant qu’elle était taillée, la trempa dans l’encre et se mit à rédiger un billet d’une écriture à la fois rapide et un rien extravagante. Elle l’achevait – le texte était court ! – lorsque Elen introduisit Gabriel. Celui-ci arborait un large sourire :
— Vous voilà de belle humeur tout à coup ? observa Marie.
— Le départ de M. de Brantes était des plus réjouissant. Ses naseaux fumaient plus que ceux de ses chevaux… mais Madame la Duchesse sait qu’un rien m’amuse !
— Alors j’espère que votre nouvelle mission vous amusera tout autant : cherchez M. de Chevreuse et me l’amenez sur-le-champ !
— Lui remettrai-je un message ? fit le gentilhomme louchant sur la lettre que Marie cachetait.
— Plus tard si d’aventure il n’était pas à Paris. Montrez-vous pressant, cependant : je dois le voir au plus vite !
— Pourquoi pressant ? Jusqu’à présent, il n’a jamais eu besoin d’aiguillon pour accourir et se mettre au service de Madame la Duchesse…
— Jusqu’à présent sans doute mais tant de choses changent ces temps-ci !… soupira la jeune femme.
Malleville fronça le sourcil. Il n’aimait pas la nuance de doute qu’elle venait d’exprimer. Cet imbécile de Brantes aurait-il réussi à fêler, si peu que ce soit, sa cuirasse de certitude et de confiance en son étoile ?
— Pas vous, madame, et c’est là l’important ! Demandez à votre miroir ce qu’il en pense.
Comme par enchantement le compliment, formulé surtout par un homme qui n’en était pas coutumier, rendit à Marie son sourire :
— Cest ce que nous verrons ! Allez, vite !
Gabriel balaya le tapis des plumes de son chapeau avant de s’éclipser. Ce faisant, il passa près d’Elen qui, les mains nouées sur son giron, n’avait pas articulé une parole. Il l’entendit cependant marmonner entre ses dents :
— Courtisan !
— Pécore ! riposta-t-il même jeu.
Mme de Luynes replongée dans ses réflexions n’entendit rien, ce qui lui évita de s’étonner d’un échange aussi peu conforme aux lois de la galanterie. Elle ignorait tout de l’antipathie que sa suivante nourrissait envers son écuyer depuis le lendemain du jour où il était entré à son service.
C’était au retour d’une chasse à Lésigny. La jument de Mlle du Latz avait bronché au moment où celle-ci glissait de sa selle d’amazone. En même temps un coup de vent soulevait le tissu de sa jupe découvrant de si jolies jambes que Gabriel, qui se portait alors à son secours, avait laissé échapper un sifflement qui, pour être admiratif, n’en était pas moins d’un goût douteux. Du coup Elen, rouge jusqu’à la racine des cheveux, repoussa son aide avec colère en le traitant de malotru.
— Ce n’était qu’un hommage, mademoiselle, riposta le fautif, et c’est bien la première fois qu’une femme prend à offense un signe d’admiration. Mais peut-être n’êtes-vous pas une femme ?…
Ayant dit, il lui avait tourné le dos et depuis leurs relations en étaient restées là sans que Malleville tentât quoi que ce soit pour les améliorer. Pour lui la belle Elen était une irrécupérable pimbêche. Ses goûts actuels le portaient plutôt vers les blondes. En l’espèce la rieuse Eglantine, la patronne du cabaret de La Vigne en Fleur dans la rue des Nonnains-d’Yerres, et il n’avait que faire de la brune confidente de leur maîtresse commune. En outre, elle était bretonne, lui normand, et leur voisinage géographique n’avait jamais suscité l’entente cordiale entre deux duchés dont l’un, assaisonné au sang viking, était resté anglais beaucoup trop longtemps…
La brève escarmouche n’occupa guère l’esprit de Gabriel qui l’avait déjà oubliée en allant prendre son cheval à l’écurie : la mission dont Marie venait de le charger lui apparaissait beaucoup trop importante vu la situation de la jeune femme. Il savait ce qu’elle signifiait : ce n’était pas son amant qu’elle appelait à elle mais assurément le seul homme qui, en l’épousant, lui rouvrirait à deux battants les portes du Louvre. Et ce fut par le château royal qu’il commença sa quête.
Le duc de Chevreuse y logeant, par privilège spécial, au-dessus de l’appartement du Roi, il était normal d’avoir une chance de l’y trouver, mais il n’y était pas. Gabriel ne s’en émut pas. Connaissant les habitudes des hommes de la Cour, il se rendit au faubourg Saint-Honoré où près de la Grande Ecurie du Roi se trouvait l’Académie équestre fondée par feu M. de Pluvinel, mort deux ans plus tôt mais que continuait de diriger René Menou de Charnizay, son meilleur élève et disciple. L’art équestre y était porté à la perfection et, quand il était à Paris, Louis XIII y venait quotidiennement ainsi que les principaux seigneurs de son entourage menés par le Grand Ecuyer de France, Roger de Bellegarde, que l’on appelait uniment Monsieur le Grand.
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