Passionné de chevaux, Chevreuse y allait fréquemment mais comme par un fait exprès, Malleville n’y rencontra que le marquis de Souvré et le baron de Termes dont aucun n’avait vu le duc.

— Il ne doit pas être à Paris, lui confia ce dernier. Hier soir, au Louvre, j’ai remarqué son absence… Etant donné que je ne l’aime guère – lui et le duc s’étaient battus en duel quelques semaines plus tôt –, l’air que l’on y respirait était beaucoup plus agréable. Il doit avoir cherché refuge dans ses terres…

— Refuge contre quoi ?

Le baron se mit à rire :

— Allons, mon cher, vous ne nous ferez pas croire qu’étant à Mme de Luynes vous ignorez sa disgrâce ? Soyez sûr que Chevreuse la sait et qu’il a jugé plus prudent de prendre ses distances.

Et de ricaner cependant que M. de Souvré faisait chorus ! Devant ces deux faces hilares, Gabriel eut peine à résister à l’envie de tirer l’épée pour leur rendre le sens des valeurs, mais la Duchesse avait trop besoin de lui pour qu’il s’offrît ce genre de récréation. Il remit donc l’affaire à plus tard, tourna le dos aux deux plaisants et s’en alla réfléchir hors du manège. Se rendre à Chevreuse ne lui posait guère de problème autre que faire patienter Mme de Luynes, mais encore fallait-il être certain d’y trouver celui qu’il cherchait. Aussi, avant de retourner rue Saint-Thomas-du-Louvre s’équiper pour la route, jugea-t-il prudent de passer chez la princesse de Conti pour essayer d’obtenir au moins une confirmation. On pouvait espérer de la sœur de Chevreuse qui avait été la cheville ouvrière de son aventure avec Marie qu’elle garderait son amitié à la disgraciée.

Bien lui en prit, car il n’eut pas besoin de se faire recevoir par la princesse : au seuil de son hôtel il rencontra l’un de ses gentilshommes, M. de Flaine, dont il apprit que Mme de Conti n’était pas au logis et quand Malleville demanda si elle avait rejoint son frère à Chevreuse, il se mit à rire :

— S’il y était, cela pourrait se faire mais elle a peu de goût pour les pèlerinages, vous le savez aussi bien que moi.

Les sourcils de Gabriel remontèrent d’un doigt sous l’ombre de son feutre :

— Monseigneur fait un pèlerinage ? Lui qui…

— … ne s’est jamais beaucoup encombré de religion ? Eh bien, c’est pourtant le cas : Monseigneur est parti hier, avec quelques amis, se mettre sous la protection de Notre-Dame-de-Liesse à l’occasion du séjour qu’il a soudain décidé de faire au château du Marchais chez son frère aîné le duc de Guise. Amusant, non ?

— Très ! Et surtout inattendu ! Monseigneur aurait-il quelque chose à se faire pardonner ?

— Il paraît ! Cette idée a fait beaucoup rire Madame la Princesse. Elle lui a dit qu’il était un fameux hypocrite et que, si elle était à la place de la Seigneur, elle les enverrait promener, lui et sa trop opportune repentance.

Ainsi renseigné, Gabriel revint auprès de la Duchesse qui en l’écoutant ouvrit des yeux énormes avant d’éclater de rire :

— Il est allé demander secours à Notre-Dame, ce mécréant ! Je m’attendais à tout sauf à cela ! Et secours pour quoi… ou contre qui ?

— A votre avis ?

Marie cessa de rire :

— Contre moi n’est-ce pas ? C’est moi qu’il fuit… comme les autres et comme si j’étais une pestiférée ? Oh ! C’est indigne… Indigne !

Des larmes jaillirent de ses yeux mais elle les essuya avec rage du revers de sa main, puis virant sur ses talons retourna à son écritoire, déchira la première lettre et, sans cesser de parler, se mit à en écrire une autre.

— Vous allez vous rendre là-bas, Malleville ! Après tout, Liesse a souvent vu des reines prier à ses autels et si M. de Chevreuse a eu l’idée de demander son secours, pourquoi n’en ferais-je pas autant ?

— Vous voulez y aller aussi, madame ?

— Non, vous… pour y déposer en mon nom un présent aux pieds de Notre-Dame afin qu’elle me prenne en pitié. Moi, je suis souffrante et comme le bruit m’est venu du départ de Monseigneur, je vous remets ce billet… au cas où vous le rencontreriez…

— Et bien entendu je le rencontrerai ?

— Bien entendu… Elen ! M’apportez ma cassette rouge !

Femme d’ordre et de grande précision lorsqu’il s’agissait de ses biens, la Duchesse rangeait ses bijoux dans des petits coffres dont la couleur variait avec celle des pierres qu’ils contenaient. Dans la rouge, elle choisit une grande croix de rubis, de diamants et de perles qui avait appartenu à Leonora Concini, l’enveloppa dans un mouchoir de soie blanche après en avoir baisé le pied, glissa le tout dans un étui de daim gris et le tendit à Gabriel :

— Vous déposerez cela en mon nom aux pieds de Madame Marie, ma très sainte et très douce patronne, en y joignant mes prières affligées. Il serait bon cependant…

— … que je choisisse pour ce faire le moment où Monseigneur de Chevreuse approchera lui-même de l’autel ?

Les yeux d’outremer se remirent aussitôt à pétiller et Marie offrit à son écuyer son plus beau sourire à fossettes :

— Je ne remercierai jamais assez mon défunt époux de vous avoir donné à moi, Malleville ! Vous comprenez toujours à demi-mot ! Dépêchez-vous maintenant ! Le temps presse plus que jamais !

C’était une évidence. Gabriel courut vers son logis où il trouva Pons son valet, occupé à faire griller des saucisses devant la cheminée.

— Je t’ai déjà défendu de faire la cuisine ici quand tu n’as qu’à descendre à celles de la maison.

— Ils ne savent pas les faire comme moi. J’ai l’habitude d’y mettre de la marjolaine, marmotta l’interpellé : ça sent bon, non ?

Malleville en convint mais ordonna à son valet de lui préparer son bagage pour un court déplacement. Il changea son pourpoint de velours pour du daim gris assorti à ses hautes cuissardes, prit une longue et solide rapière, vérifia ses pistolets et le fond de sa bourse qui lui parut satisfaisant. La Duchesse – comme feu son époux d’ailleurs ! – était généreuse et ne laissait jamais les siens manquer d’argent.

Après avoir partagé ses saucisses – qui étaient excellentes ! –, Gabriel lui délivra encore quelques recommandations et dégringola aux écuries où son cheval l’attendait, prêt à partir. Un moment plus tard il franchissait au galop la Porte du Temple et s’élançait sur la route du Nord.

— Je vais avec Monsieur le Chevalier ? demanda Pons en couvant des yeux ses saucisses.

— Non. Je préfère que tu restes et que tu observes ce qui s’y passe. Il m’étonnerait fort qu’il y ait beaucoup de visites mais il faut que je sache qui aura le courage de venir… Au besoin… veille un peu au grain ! Tu peux toujours aller chercher du secours à l’hôtel de Montbazon, chez le père de Madame la Duchesse.

Le valet fit signe qu’il avait compris et, reconnaissant de ne pas avoir à courir les grands chemins, offrit à son maître de partager son dîner. Au contraire de Malleville qui était un Normand brun, c’était un Provençal blond et paisible. Venu à Paris sur la trace des trois frères d’Albert, il s’était rapidement trouvé débordé par l’agitation et la violence de la ville capitale. Il en était pratiquement réduit à la misère quand Malleville l’avait découvert assis sur une borne à la porte d’un cabaret, pleurant comme une fontaine : un malandrin venait de lui voler son dernier morceau de pain et, quoique bon chrétien, il songeait sérieusement à aller se noyer dans la Seine parce qu’il était honnête et qu’à part rejoindre le dangereux grouillement des cours des miracles, il ne voyait pas d’autre solution à son problème. Sa carcasse solide, sa bonne figure – plus très ronde il est vrai ! – et ses yeux candides avaient décidé le gentilhomme à lui donner sa chance auprès de lui. Il y avait de cela sept ans et Gabriel ne l’avait jamais regretté : Pons Pain-Perdu, comme Malleville l’avait surnommé, était un lent mais il faisait bien son travail et, à l’occasion, savait montrer du courage. Il avait en outre un don pour la cuisine.

CHAPITRE II

UN AMANT RÉCALCITRANT

En atterrissant devant l’auberge des Trois Rois à Liesse après avoir couru toute la nuit, toute la journée et changé de monture trois fois, Malleville se sentait presque aussi dispos que s’il avait dormi dans son lit. Homme de cheval dans toute l’acception du terme, il adorait les longues courses même par mauvais temps et celui de ce mois d’avril, s’il sentait bon la terre humide et l’aubépine en fleur, semblait se tourner vers une certaine douceur.

A l’aubergiste qui vint à sa rencontre il réclama une chambre et, dans l’immédiat, un solide souper car au long de la route il avait à peine pris le temps de grignoter quelque chose. Impressionné par sa mine martiale, sa tenue et la beauté de ses armes, maître Ducrot l’assura qu’il serait servi dès qu’il serait passé à se laver les mains et Malleville se retrouva bientôt la serviette au cou en compagnie d’une matelote d’anguilles – celles des marais voisins étaient fameuses ! – dont le fumet aurait réveillé un mort et d’un pichet de vin blanc de certains coteaux du Laonnois.

Trouver une aussi bonne table dans une petite ville de campagne n’était pas vraiment surprenant. Le pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse, une miraculeuse Vierge noire rapportée jadis de Terre sainte par les croisés, drainait alors nombre de pèlerins fortunés. Point trop éloigné de Paris, il était de ceux que fréquentent les Rois. Ainsi le maître-autel avec retable et arc triomphal était un don d’Henri IV et de Marie de Médicis à l’occasion de la naissance de Louis XIII. La sacristie était due à la générosité du même Louis XIII et de sa jeune épouse Anne d’Autriche. Dévotions royales mais aussi princières : à trois quarts de lieue s’élevait le château du Marchais appartenant au duc de Guise où les princes lorrains effectuaient de fréquents séjours. Ainsi la piété d’Henriette de Joyeuse, épouse de Charles de Lorraine, était-elle à l’origine du grand jubé de marbre blanc. Desservie par les chanoines de Laon et pourvue d’un séminaire, Liesse se devait de posséder au moins une auberge convenable et celle des Trois Rois était célèbre à dix lieues à la ronde.