— Ce malheureux accident survenu à la Reine dans la salle du trône. On veut en rendre responsable Mme de Luynes et aussi Mlle de Verneuil. Menacée de disgrâce, Madame la Duchesse se tourne vers le Ciel ! Cependant, en m’envoyant ici…
Le rusé prit un temps pour permettre à son interlocuteur de se pénétrer de l’inquiétude répandue sur sa figure.
— En vous envoyant ici…, reprit Chevreuse.
— Elle espérait, après vous avoir cherché partout, que mon chemin croiserait le vôtre et que vous lui seriez secourable…
— Nous y voilà ! s’écria Fontenay-Mareuil qui écoutait sans la moindre discrétion. Je me doutais bien en vous conseillant un séjour à Marchais que cette femme tenterait de vous entraîner dans sa chute. Elle vous poursuit sans vergogne !
— J’ai dû mal m’exprimer, reprit froidement Malleville. Madame la Duchesse en m’envoyant à Liesse demander le secours de Notre-Dame a souhaité que je pousse jusqu’à Marchais afin de prier Monseigneur le duc de Guise d’avoir la bonté de se charger d’un message pour son frère dans l’espérance qu’il saurait où le trouver. Le Ciel doit être avec elle puisque j’ai eu le bonheur que Monseigneur vienne prier ici en même temps que moi…
— Vous avez un message ? fit Chevreuse d’une voix presque timide.
— Oui. Le voici !
— Ne lisez pas, cher ami ! intervint Liancourt. Sinon vous êtes perdu !
— N’exagérons rien ! fit Chevreuse avec un peu d’agacement.
Et sans plus hésiter il fit sauter le cachet, déplia le billet et le lut. Gabriel qui l’épiait vit, avec angoisse, que son visage s’assombrissait sous l’emprise d’une vive contrariété. Enfin, repliant le papier, il le rendit en murmurant :
— Dites-lui mes regrets… mais je ne puis. Je ne saurais à ce point braver la colère du Roi.
— Que veut-elle ? réclama Liancourt, mais le Duc écarta l’indiscrète question en même temps que l’importun.
— Paix, Liancourt ! Dites à Mme de Luynes, ajouta-t-il revenant à Gabriel, que je lui conseille la sagesse, le silence qui seront aux yeux du Roi sa meilleure défense. Qu’elle se retire à Luynes sur les terres de son fils… ou mieux encore peut-être à Couzières chez son père ? Notre sire apaisé, il sera plus facile à ses amis de plaider sa cause. La Reine, très certainement, sera la première…
— Il suffit, Monseigneur ! coupa l’émissaire. J’ai déjà dit que Madame la Duchesse est malade, au bord du désespoir et je ne saurais ajouter à sa douleur avec des conseils que n’importe quel indifférent pourrait dispenser mais certainement pas un… ami – il retint à temps le mot amant ! – aussi proche, aussi attentif il y a peu encore…
— Je gage qu’elle vous demande de l’épouser ! s’écria Fontenay-Mareuil qui ne manquait pas de finesse.
— Et quand cela serait ? riposta Gabriel avec hauteur. Je ne crois que cela vous regarde, monsieur de Fontenay-Mareuil ! Les princes entre eux respirent un air qui n’est pas le nôtre ! Ne vous en mêlez pas !
Le marquis ébaucha un geste vers son épée mais une fois encore Chevreuse s’interposa :
— Paix ! Mme de Luynes m’offre, en effet, sa main… que j’eusse reçue avec un bonheur infini en d’autres temps, mais la fidélité et l’obéissance que je dois au Roi…
— L’obéissance, Monseigneur ? Je ne pensais pas qu’un prince de Lorraine y fût assujetti !…
— Je suis son chambellan !
— C’est vrai, je l’avais oublié ! Madame la Duchesse aussi sans doute. Il faudra le lui rappeler…
L’ironie du ton échappa à Chevreuse. Il posa une main presque amicale sur l’épaule du gentilhomme et sourit :
— Sans doute. Mais dites-lui que…
Malleville s’inclina et s’écarta :
— Je ne dirai rien, avec votre permission, Monseigneur ! Elle est trop haute dame et vous trop grand prince pour que vous l’évitiez. Ce que vous voulez qu’elle entende, venez le lui dire vous-même ! Vous le lui devez bien !
Liancourt prit le relais :
— N’y allez pas, c’est un piège !
Le sourire faunesque de Malleville fut un chef-d’œuvre de dédain…
— Depuis quand un homme de guerre comme Monseigneur reculerait-il devant un possible piège ? En l’occurrence, il ne s’agit de rien d’autre qu’assener le coup de grâce à une femme abattue par le chagrin. Cela ne demande qu’un brin de courage… Même si ce n’est pas celui que je préfère. Viendrez-vous, Monseigneur ?
Il avait planté son regard dans celui du Duc, indécis comme souvent, qui, sous le coup d’une sorte de fascination, se fixa :
— Oui. Je viendrai !
Un cri d’indignation à plusieurs voix s’éleva mais il n’était plus possible à Chevreuse de se rétracter :
— Je prendrai la route de Paris demain. Dites à Mme de Luynes que je passerai chez elle avant de rentrer au Louvre !
— Soyez-en remercié, Monseigneur, et que Dieu vous bénisse !
Le salut du gentilhomme fut à la hauteur de son soulagement. La plume frisée de son feutre balaya la poussière quand il livra passage au Duc regagnant son carrosse. Il n’en saisit pas moins les expressions furieuses de ceux qu’il venait de vaincre.
— Nous nous retrouverons, monsieur de Malleville ! lâcha Liancourt.
— Où et quand il vous plaira, marquis !
Gabriel regarda s’éloigner la brillante cavalcade et rentra à l’auberge pour y réclamer, dans l’ordre : un copieux repas, sa note et son cheval. Une heure plus tard, il reprenait la route de Paris. Le combat avait été rude mais il était assez satisfait du résultat de son ambassade. Il savait que le Duc allait subir le feu roulant de ses amis mais la promesse avait été publique et bon gré mal gré il fallait qu’il s’y tînt sous peine de se déshonorer à ses propres yeux. Et cela Gabriel était fermement décidé à le lui rappeler au cas où il céderait à la tentation de renier sa parole. Parce que alors, Marie définitivement disgraciée, son dernier défenseur n’aurait plus rien à perdre – sinon peut-être sa tête ? – et Chevreuse se retrouverait un beau matin en face de lui, l’épée à la main aux Carmes-Deschaux, sur la place Royale ou au Pré-aux-Clercs. Sans beaucoup de chances d’en sortir vivant… Mais on n’en était pas là.
En arrivant rue Saint-Thomas-du-Louvre, vers la fin de la journée du lendemain, il fut frappé par le silence dont s’enveloppait l’hôtel de Luynes alors que son voisin, l’hôtel de Rambouillet, débordait de vie. Les carrosses qui n’avaient pas trouvé place dans la cour s’alignaient devant le portail, cependant que de nombreux flambeaux éclairaient l’intérieur où des violons faisaient entendre une musique tout à la fois douce et légère, fond harmonieux des conversations savantes et même alambiquées telles que les goûtait la belle maîtresse de ce lieu, Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet qui, de sa chambre bleue, régnait sur le bel esprit parisien. Le contraste était presque angoissant : d’un côté la lumière, la vie, de l’autre une quasi-obscurité annonciatrice d’un oubli qui, pour Marie, serait plus cruel que la mort.
Malleville la trouva dans son cabinet, assise sur un coussin à même le tapis devant la cheminée, les bras noués autour de ses genoux, les yeux fixés sur la danse des flammes qui se reflétaient dans ses prunelles. Occupée sans doute dans la pièce voisine, Elen du Latz était invisible.
A l’entrée de son émissaire, Marie se contenta de tourner la tête pour le regarder. Elle était triste et son visage portait la trace de larmes récentes :
— Alors ?… Il n’est pas avec vous ?
— Non, Madame la Duchesse, mais il va venir.
— Quand ?
— Dès qu’il sera de retour. Il a dû quitter Marchais ce matin. Il a promis de passer ici avant de rentrer au Louvre.
Elle haussa des épaules pleines de lassitude :
— Il a promis, dites-vous ? Il n’est jamais avare de promesses. De là à les tenir…
— Il est gentilhomme, madame, reprocha doucement Gabriel. Sa parole l’engage, surtout si elle a été publique.
— Publique ? Voilà qui est mieux…
Un souple mouvement des reins la remit debout avant d’aller s’asseoir dans un fauteuil et de désigner à Gabriel un tabouret rouge passementé d’or placé en face :
— Vous devez être las ! Asseyez-vous, Malleville ! Et racontez !
Conscient que l’ombre d’Elen s’encadrait à présent dans la porte, Gabriel rapporta son entretien avec Chevreuse. Sa mémoire était sûre et il n’en omit pas une syllabe, aussi Marie se garda-t-elle de l’interrompre et l’écouta avec attention. Celle qui parla, ce fut Elen :
— Pourquoi avoir dit que Madame était malade ? fit-elle sans bouger du seuil de la chambre.
Gabriel sourit sous sa moustache :
— Il m’a paru bon de chercher à éveiller le chevalier qui somnole dans un homme normalement constitué. M. de Chevreuse n’est pas fait autrement que les autres.
— L’idée me semble excellente, à moi, reprit la Duchesse. Il suffit de savoir quelle sorte de malade on sera. La fièvre autorise un certain désordre auquel le Duc pourrait être sensible, surtout quand elle se présente dans un lit parfumé à autre chose que l’odeur des clystères.
— Oh, madame ! émit Elen choquée mais pas autrement surprise d’une évocation aussi crue… Du coup Marie se mit à rire et cet éclat joyeux détendit l’atmosphère :
— Eh bien quoi ? Le moment n’est plus où il faut hésiter sur les moyens d’atteindre le but et de jouer les bégueules ! Je n’ai plus beaucoup d’armes, ma fille, ajouta la Duchesse sur un ton plus grave. Et j’ai fermement l’intention d’employer celles qui me restent. Je suis jeune et belle. Il est temps que M. le duc de Chevreuse s’en ressouvienne !
Tout était dit pour ce soir. Laissant les dames à leurs préparatifs, Gabriel regagna enfin son logis où Pons, averti de son retour, était en train de disposer pour lui le souper qu’il était allé chercher aux cuisines. Il s’attabla avec plaisir devant un ragoût fleurant délicieusement l’échalote et le persil, l’attaqua vigoureusement puis demanda combien de visites s’étaient annoncées depuis son départ.
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