— Soyez tranquille, dona Lavinia. Faites mes adieux à votre maître... et merci, merci pour tout ! Je ne vous oublierai pas. Quand je reviendrai il y aura l’enfant et tout ira bien. Dites-le au prince.

Quand elle monta enfin en voiture, la brume du petit matin enveloppait le parc, lui conférant une étrange irréalité. Le vent de la nuit était tombé. Il faisait gris, humide. Le temps peut-être allait changer. Il y aurait de la pluie tout à l’heure, mais Marianne, installée avec Agathe au fond de sa voiture, se sentait maintenant à l’abri, protégée de tous les sortilèges vrais ou supposés que renfermait le beau domaine. Elle retournait chez elle, vers ceux qu’elle aimait. Plus rien ne pouvait l’atteindre.

Le fouet claqua... la voiture s’ébranla dans le cliquetis des gourmettes et le grincement léger des essieux. Le sable des allées crissa sous les roues. Les chevaux prirent le trot. Marianne posa sa joue contre le cuir froid du capiton et ferma les yeux. Son cœur affolé s’apaisait, mais elle se sentait, tout à coup, lasse à mourir.

Tandis que la lourde berline s’enfonçait dans le brouillard de l’aube pour entamer la longue, longue route vers Paris, elle songeait à l’absurdité du destin, à sa cruauté aussi qui la condamnait à cette errance perpétuelle à la recherche, sinon d’un impossible bonheur, du moins d’un sort qui ne vagabonderait pas continuellement hors des sentiers battus. Elle était venue ici fuyant un mari indigne et criminel, elle était venue mère sans être épouse pour que l’enfant qui faisait germer en elle le sang d’un empereur pût vivre la tête haute, elle était venue enfin avec l’espoir inavoué de conjurer à jamais la fatalité acharnée à la détruire. Elle repartait riche, pourvue d’un titre princier, d’un grand nom, d’un honneur désormais intact, mais avec un cœur plus vide encore d’illusions et de tendresse. Elle repartait... vers quoi ? Vers les miettes d’amour que pourrait lui offrir l’époux de Marie-Louise, vers l’obscure menace que faisait peser sur elle la haine vengeresse de Francis Cranmere, vers la mélancolie d’une vie de solitude puisqu’il lui faudrait à l’avenir garder la face, puisque Jason n’avait pas pu... ou pas voulu venir. Tout compte fait, ce qui l’attendait au bout du chemin, c’était une vieille demeure habitée seulement par un portrait et par un fidèle ami, c’était l’enfant à venir, c’était un horizon dont elle ne pouvait deviner les formes ni les couleurs, c’était, à nouveau, l’inconnu...

Notes

[1]. Actuelle Chaussée-d’Antin.

[2]. Palais Bourbon.

[3]. Saint-Laurent hors les murs. Chaque cardinal est titulaire d’une paroisse romaine.

[4]. Ce personnage est authentique et, malgré son nom, ne doit rien à mon imagination. (N. d. A.).

[5]. L’éclair.