Mais quelques instants plus tard, un cri rauque, vite éteint, éveilla Maria en sursaut. Elle se dressa sur son séant, secoua Filippo :

— Écoute !

Un gémissement, maintenant, puis la lourde chute d’un corps. Des bruits de pas… Le faible cri d’une voix expirante :

— Maria… Ma…

— C’est Felicia, s’écria la jeune femme… Mon Dieu !

Déjà Filippo sautait à bas du lit mais en même temps, la porte s’envolait plus qu’elle ne s’ouvrait et Don Gesualdo, à la tête de ses hommes, fonçait dans la chambre, l’épée à la main. Maria poussa un hurlement.

— Fuis, fuis, Filippo…

— Trop tard ! grogna le mari offensé. Il ne fuira plus jamais.

Sans permettre au jeune homme d’atteindre sa propre épée, il bondit sur le couple, l’épée haute. Un dernier réflexe d’amour jeta Filippo devant Maria pour lui faire un rempart de son corps. Mais déjà la dague du mari s’enfonçait dans la gorge de l’amant qui roula sur les marches du lit dans un flot de sang. Cette vue ne calma pas la fureur de don Gesualdo qui porta encore au cadavre trois coups d’épée.

— Et d’un, fit-il. À l’autre…

Son œil flambant de fureur cherchait maintenant la jeune femme. Il l’aperçut bientôt, à demi dissimulée dans les rideaux du lit auxquels elle s’accrochait désespérément. Lentement, avec un mauvais sourire, il marcha vers elle.

— Sois tranquille, garce, tu vas aller le rejoindre ton beau freluquet.

D’une brusque secousse, il arracha le rideau, jetant du même coup la jeune femme complètement nue au milieu de la chambre. Par les trous de leurs masques, les yeux des assassins brillaient comme des charbons… La malheureuse, éperdue, voulut fuir mais l’antichambre était barrée. Par la porte entrouverte elle aperçut le cadavre de Felicia, poignardée elle aussi, chercha refuge contre un mur où elle se plaqua.

— Tu as peur, hein ? grinça le prince. La mort te plaît moins que les bras de ton amant.

Il ajouta une injure ignoble puis, rapidement, de la pointe de son épée traça sur le ventre de Maria une croix sanglante. La jeune femme gémit de douleur.

— Par pitié… tuez-moi vite…

— Pourquoi, ironisa Gesualdo. Je ne suis pas pressé. Holà, vous autres, voyez donc la belle allure d’une épouse adultère.

— Tuez-moi, vous dis-je ! cria la jeune femme, vous voyez bien que votre vue me fait horreur.

Si elle avait espéré forcer sa colère à lui porter le coup fatal, Maria avait bien calculé. Avec un cri de rage, le prince bondit sur elle. L’épée jeta un éclair sinistre dans la lueur de la veilleuse puis s’enfonça tout entière dans le ventre déjà blessé.

— Jésus ! cria la jeune femme en s’écroulant aux pieds de son meurtrier.

Mais comme tout à l’heure pour Filippo, la fureur de Gesualdo n’était pas calmée par ce simple coup d’épée. Il en porta encore deux autres au corps étendu, abrégeant ainsi une agonie qui eût pu être longue. Le troisième coup atteignit le cœur et Maria roula auprès de Filippo, une mousse sanglante aux lèvres, les yeux grands ouverts sur l’éternité.

Alors, le prince de Venosa se tourna vers ses hommes :

— Jetez ces deux charognes dans la cour, ordonnat-il en désignant les deux cadavres, et ouvrez grandes les portes. Je veux qu’on sache comment je me venge.

Quelques instants plus tard, les corps de Maria et de Filippo, jetés par une fenêtre du premier étage, s’étalaient au centre de la cour d’honneur. Le jour se levant peu après éclaira un terrible spectacle : deux corps nus et sanglants abandonnés à la curiosité et à la cruauté des passants.

Toute la journée ceux-ci se pressèrent à la porte du palais, contemplant ces deux cadavres qui avaient été des êtres jeunes et beaux et autour desquels bourdonnaient les mouches. Mais personne n’eut même envie de se moquer. Les hommes étaient précipitamment leurs bonnets, les femmes se signaient : tous étaient terrifiés. Seuls, des chiens vinrent lécher le sang. Debout à une fenêtre, don Gesualdo, les bras croisés, regardait.

Il savait qu’il n’avait rien à craindre de la justice du vice-roi. Si grand que fût le chagrin du marquis de Pescara, il ne pouvait s’attaquer à un époux qui avait vengé son honneur. La justice de don Gesualdo, brutale et féroce, était aux couleurs du temps. Il n’avait fait qu’exercer son droit d’époux bafoué…

Mais ce que pouvait le vice-roi, c’était faire cesser le scandale de cette barbare exposition. Au coucher du soleil, un envoyé du palais vint ordonner au prince de Venosa de remettre les restes de Filippo d’Andria et de Maria d’Avalos à chacune des deux familles afin que leur fût donnée une sépulture chrétienne. Force fut à don Gesualdo de s’incliner.

Le lendemain, il repartait pour ses terres de Basilicate. Les couleurs du temps voulaient aussi qu’une famille vengeât son enfant abattue, même si elle était adultère, et le prince de Venosa n’avait pas envie de mourir. Il voulait encore chasser…

DU MÊME AUTEUR CHEZ POCKET


Marianne

I. UNE ÉTOILE POUR NAPOLÉON

2. MARIANNE ET L’INCONNU DE TOSCANE

3. JASON DES QUATRE MERS

4-TOI, MARIANNE

5-LES LAURIERS DE FLAMME – Ire PARTIE

6. LES LAURIERS DE FLAMME – 2e PARTIE


Le jeu de l’amour et de la mort

I. UN HOMME POUR LE ROI

2. LA MESSE ROUGE

3. LA COMTESSE DES TÉNÈBRES


Secret d’État

1. LA CHAMBRE DE LA REINE

2. LE ROI DES HALLES

3. LE PRISONNIER MASQUÉ


Le boiteux de Varsovie

1. L’ÉTOILE BLEUE

2. LA ROSE D’YORK

3. L’OPALE DE SISSI

4. LE RUBIS DE JEANNE LA FOLLE


Les Treize Vents

I. LE VOYAGEUR

2. LE RÉFUGIÉ

3. L’INTRUS

4. L’EXILÉ


Les loups de Lauzargues

I. JEAN DE LA NUIT

2. HORTENSE AU POINT DU JOUR

3-FÉLICIA AU SOLEIL COUCHANT


La Florentine

1. FIORA ET LE MAGNIFIQUE

2. FIORA ET LE TÉMÉRAIRE

3-FIORA ET LE PAPE

4. FIORA ET LE ROI DE FRANCE


Les Dames du Méditerranée-Express

1. LA JEUNE MARIÉE

2. LA FIÈRE AMÉRICAINE

3. LA PRINCESSE MANDCHOUE


Catherine

1. IL SUFFIT D’UN AMOUR T. I

2. IL SUFFIT D’UN AMOUR T. 2

3. BELLE CATHERINE

4. CATHERINE DES GRANDS CHEMINS

5 CATHERINE ET LE TEMPS D’AIMER

6. PIÈGE POUR CATHERINE

7. LA DAME DE MONTSALVY


Le Gerfaut

I. LE GERFAUT DES BRUMES

2. UN COLLIER POUR LE DIABLE

3-LE TRÉSOR

4. HAUTE SAVANE


Les Chevaliers

1. THIBAUT OU LA CROIX PERDUE

2. RENAUD OU LA MALÉDICTION

3. OLIVIER OU LES TRÉSORS TEMPLIERS


DANS LE LIT DES ROIS

DANS LE LIT DES REINES

LE ROMAN DES CHÂTEAUX DE FRANCE T. I et T. 2

UN AUSSI LONG CHEMIN

DE DEUX ROSES L’UNE

LES ÉMERAUDES DU PROPHÈTE

LA PERLE DE L’EMPEREUR

LE JOYAU DE LA SORCIÈRE



TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

Borgia  (ROME)

I Les fondateurs

II Le trône de Pierre

III Le cœur de Lucrèce

IV La soutane aux orties…

V Le mariage de César

VI Le mari terrifié

VII La main de César

VIII « Aut Caesar, aut nihil… »

IX La mort du fauve

Médicis  (FLORENCE)

I Le plus beau printemps de Florence

II La fin d’une déesse…

III Meurtre dans la cathédrale

Este  (FERRARE)

Une Phèdre de quinze ans : Parisina

Cardinal contre bâtard !

I. Angela

II. Pas de pitié pour les maladroits !

La duchesse parpaillote : Renée de France

Capello  (VENISE)

La sorcière de Venise (1563)

Sforza  (MILAN et FORLI)

La bonne étoile de Ludovic le More : Béatrice d’Este

La dame de Forli

I Échec à César !

II La captive aux chaînes d’or

Carafa  (NAPLES)

Le drame de Soriano

Venosa  (NAPLES)

Les amants de Naples


{1} Une évidente erreur, Jativa n’étant pas en Catalogne.

{2} C’est exactement ce qui se passa. Henri IV mourut le 12 décembre 1474 après le banquet de Ségovie. Le règne des Rois Catholiques pouvait commencer.

{3} Le futur Jules II.

{4} Libéré de la fameuse cage de fer que lui avaient valu ses incessantes trahisons du roi Louis XI.

{5} Ville de la province de Valence, en Espagne.

{6} « Ou César ou rien ! », devise de César Borgia.

{7} Sainte-Marie-des-Fièvres, qui existait à la place actuelle de la sacristie de Saint-Pierre.

{8} César était atteint de ce que les Français appelaient « le mal de Naples » et les Napolitains « le mal français » : la syphilis.

{9} Reliant le palais des Doges aux prisons, il était, à Venise, le chemin des condamnés.

{10} Charlotte de Savoie, deuxième épouse de Louis XI.

{11} Le célèbre condottiere Jean des Bandes noires.

{12} Allusion satirique de l’époque accusant les Médicis d’avoir eu un ancêtre apothicaire.