La jeune princesse baissa la tête et détourna les yeux pour cacher une subite rougeur qui eut le don de mettre en joie le roi-chevalier.

— Nous dirons oui, Sire… s’il plaît à Votre Majesté.

— Il plaît, Renée, il plaît même beaucoup ! J’espère qu’il en est de même pour vous ?

Pour toute réponse, la jeune princesse rougit plus fort, tandis que son beau-frère l’embrassait en riant et en disant qu’il allait annoncer la bonne nouvelle à la cour. C’était vrai : Hercule d’Este, fils aîné du duc Alphonse de Ferrare et de sa défunte épouse Lucrèce Borgia, était un très beau garçon, âgé tout juste de vingt ans, fort cultivé, chose qui avait de l’importance aux yeux de Renée, très ami des arts (ce qui en avait moins, car elle était seulement sensible aux lettres) et excellent cavalier. Tout de suite, quand il était arrivé quelques jours plus tôt, le 22 mai 1528, elle l’avait trouvé charmant mais s’était bien gardée de fonder quelque espoir là-dessus. Tant de fois, on l’avait fiancée sans résultat ! Au duc de Savoie, au margrave de Brandebourg, au roi Henri VIII d’Angleterre et même à l’empereur Charles Quint ! Souvent, en évoquant tant de déceptions, Renée se prenait à soupirer mais, depuis qu’elle avait aperçu Hercule d’Este, elle en était venue à penser que c’était à tout prendre une bonne chose qu’aucun de ces mariages n’eût réussi.


Un mois plus tard, le 29 juin, dans la Sainte-Chapelle de Paris, le cardinal-chancelier Duprat célébrait le mariage de Renée de France et d’Hercule d’Este. Vêtue d’une lourde et somptueuse robe de pourpre et d’hermine, la fiancée rayonnait d’une beauté toute nouvelle.

— Je crois que nous avons enfin là un couple heureux, confia le roi au connétable de Montmorency. Ferrare possédera là une bonne souveraine quand le duc Alphonse aura quitté ce monde, et j’espère qu’en échange, la grâce et la légèreté de ces terres italiennes agiront sur notre trop sage princesse. Ces Este sont des artistes-nés.

— Sans doute, Sire, sans doute. Mais dans ce cas, pourquoi avoir permis à Madame Renée d’emmener avec elle Mme de Soubise, qui fut sa gouvernante et la vieille amie de sa mère, ainsi que les Pons, ses fille et gendre ?

Le roi haussa ses larges épaules.

— Le moyen de les lui refuser ? Renée m’a instamment prié de permettre leur départ et le jeune Hercule ne s’y est point opposé.

— Parce qu’il ne les connaît point. Je gage, Sire, qu’il ne tardera guère à s’en repentir. Mme de Soubise est encore plus sévère et intransigeante que ne l’était la feue reine Anne.

— Et ce n’est pas peu dire, fit le roi en riant. Mais l’amour opère bien des miracles, mon compère. Et Madame Renée est amoureuse.

C’était vrai. Renée était vraiment amoureuse et Hercule le lui rendait. Tous deux firent à travers la France un long et fastueux voyage de noces au milieu de villes en fête et de paysages ensoleillés. Le 12 novembre seulement ils entrèrent à Modène, première ville du duché, et le 1er décembre ils gagnèrent enfin Ferrare.


C’était alors, avec ses rues neuves tirées au cordeau et ses palais magnifiques, l’une des plus belles et certainement la plus moderne des villes d’Italie. Ingénieurs (leur fonderie de canons était célèbre) et artistes, les princes d’Este l’avaient voulu ainsi et leur cour était à juste titre réputée brillante. La teinte rose des briques dont était bâtie la ville contrastait heureusement avec la tristesse de la plaine du Pô, d’une lugubre grisaille en ce début de décembre. Renée pensa qu’elle aimerait Ferrare, mais en apercevant l’austère et médiéval palais du duc, avec ses tours carrées, ses douves et ses créneaux, l’enfant du doux Val de Loire eut un mouvement de recul. Allait-on l’enfermer dans cette forteresse ?

— Nous n’y vivons que l’hiver, la rassura tendrement Hercule. Dès les beaux jours, nous avons Belriguardo et bien d’autres agréables villas que vous aimerez.

Au château, Renée vit enfin son beau-père, le duc Alphonse, bel homme lui aussi et qui se consolait de son veuvage avec de belles créatures, son frère, le cardinal Hippolyte et sa sœur, la célèbre marquise de Mantoue, Isabelle d’Este. Mais la sympathie de la princesse française alla seulement à son beau-père. Isabelle avait une façon protectrice de la regarder qui ne lui plaisait pas et le beau cardinal Hippolyte lui déplaisait encore davantage. Pour la piété austère, déjà teintée de protestantisme, de la jeune femme, ce cardinal mondain, parfumé et grand amateur de femmes ne pouvait qu’être un objet de scandale. En outre, de déplaisantes histoires couraient sur son compte…

Elle en éprouva une impression si pénible que même la beauté intérieure du palais, la perfection achevée de sa collection d’œuvres d’art, et son luxe extrême ne parvinrent pas à l’effacer.

— Je ne sais pas pourquoi, mais ici, j’étouffe, confiat-elle à Mme de Soubise.

La dame d’honneur haussa ses maigres épaules :

— Bah, c’est tout simple, Madame : sous leurs dehors raffinés, ces Este ne sont que des barbares et je ne comprends pas le roi…

— Il suffit, coupa la princesse avec une ferme douceur. Le roi n’a fait qu’exaucer le désir de mon cœur.

Mais Mme de Soubise n’avait pas l’intention de s’en tenir là. Quelques jours plus tard, elle rapportait à la jeune femme une horrible histoire : dans la tour des Lions, la maîtresse tour du château, vivaient à peu près emmurés, condamnés à la détention perpétuelle après avoir été éborgnés par les ordres du duc Alphonse, ses deux frères : Ferrante et Jules.

— On prétend qu’ils ont conspiré contre le duc. Mais il paraît aussi qu’il y aurait eu, à l’origine, une histoire de femme…

Renée de France refusa de croire ce qu’elle considéra de prime abord comme une affreuse calomnie. Hélas, elle dut bientôt se rendre à l’évidence et ce fut Hercule lui-même qui la renseigna.

— En effet, mon père retient prisonnier ses frères, ou plutôt son frère Ferrante et son demi-frère Jules, mais c’est avec justice, car ils avaient vilainement conspiré contre lui.

— Contre lui, ou contre le cardinal Hippolyte ? demanda Renée qui avait eu d’autres renseignements par sa dame d’honneur. On dit que celui-ci et don Jules se sont disputé l’amour d’une belle cousine de votre mère, dona Angela Borgia ?

— La raison importe peu, coupa Hercule avec raideur. Seul demeure le complot contre la vie du duc. Ils ont mérité leur sort… et si vous avez de la pitié de reste, Madame, veuillez la reporter sur quelque objet de plus d’intérêt.

Ce fut là leur première querelle, mais Renée prit peu à peu en grippe le grand château rose qui lui semblait maintenant pétri de sang. Est-ce que l’un des premiers princes d’Este n’y avait pas fait décapiter sa femme et son propre fils, coupables d’adultère ? Non, jamais elle n’aimerait cette maison et elle commençait à regarder avec méfiance ces Italiens dont la grâce semblait cacher tant d’horreur.

Elle montra son désaccord en refusant d’apprendre l’italien. Elle pensait que le latin et le français étaient amplement suffisants et espérait garder ainsi une sorte de barrière entre elle et ces gens inquiétants. Cela ne fit que la priver de belles joies littéraires dans une cour où le grand homme était l’Arioste. Mais seuls les écrits qui touchaient à la religion intéressaient réellement la jeune femme, et elle réunit autour d’elle tous ceux qui lui semblaient les plus aptes à contenter ce penchant. Néanmoins, charmée par la grâce des villas d’été de Belriguardo et de Schifanoia, elle y donna des fêtes et tint son rang avec grâce.

Elle devait également tenir son rang en donnant à son mari cinq enfants : Anne (1531), Alphonse, le futur héritier de Ferrare (1533), Lucrèce (1535), Léonore (1537) et Luigi (1538).

Mais en 1534, le duc Alphonse mourut et la vie, peu à peu, se fit singulièrement difficile pour la nouvelle duchesse de Ferrare.


Devenue duchesse régnante, Renée s’aperçut qu’en perdant un beau-père qui l’aimait beaucoup, elle avait aussi perdu son meilleur appui. L’amour d’Hercule s’était mué en une tendresse certaine mais assez calme et, comme son père, comme tous les princes d’Este, il avait commencé à s’intéresser aux autres femmes. La duchesse en profita pour attirer à sa cour le plus de Français possible, surtout ceux de la nouvelle religion que les édits du royaume pourchassaient et qui préféraient mettre quelques frontières entre eux et les gardes du roi. Parmi eux, le poète Clément Marot, qui sentait largement le fagot, d’autant plus qu’il profita de son séjour à Ferrare pour s’occuper activement des demoiselles d’honneur de la duchesse.

Autre sujet de discorde : Mme de Soubise. Hercule en eut bientôt assez de cette dame revêche qui semblait avoir pris à tâche de faire tout au monde pour que son ménage allât de travers. La dame ayant poussé l’impudence jusqu’à conseiller à Renée un voyage en France sans l’aveu de son mari, la colère d’Hercule éclata :

— Demain, cette femme devra avoir quitté Ferrare.

Les larmes, les prières de Renée n’y purent rien. Le duc tint bon et Mme de Soubise, pâle de fureur, dut laisser sa jeune maîtresse. Elle gardait tout de même un sujet de consolation : sa fille, Mme de Pons, et surtout son gendre restaient. Or, M. de Pons semblait plaire beaucoup à la duchesse, qui l’appelait volontiers pour lui demander conseil.

Le calme revint pour un temps, mais ne dura pas. L’affaire du « petit chantre » n’allait rien arranger, bien au contraire.

Voici les faits : le vendredi saint, 14 avril 1536, au moment de l’adoration de la Croix, en pleine cathédrale, un jeune chantre de la maison de la duchesse, un Français nommé Jehannet, sortit de l’église en courant et en proférant d’affreuses injures. Le scandale fut minime, personne n’ayant paru remarquer l’incident mais le soir même, Jehannet fut arrêté.