Le 5 août les fiançailles de Gaston d’Orléans et de Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, furent célébrées par le cardinal de Richelieu dans la chapelle de l’Oratoire de Nantes, sans le moindre faste et presque dans l’intimité, mais Mme de Chevreuse fut contrainte d’y assister ainsi qu’à l’écroulement définitif de ses plans. Le mariage eut lieu le lendemain, dans la chapelle des Minimes, toujours sous la houlette du Cardinal qui unit les époux et célébra la messe. Marie était encore là… bouillant d’une colère qu’il fallait bien ravaler.
Ce même 5 août, Louis XIII signa des lettres patentes instituant une chambre de justice criminelle chargée de juger Chalais. La Chambre se réunit le 11 août dans une salle du couvent des Cordeliers.
« Après les premières formalités d’usage, lecture fut donnée des pièces de la procédure. Le lendemain, le procureur général requérait ajournement contre diverses personnes pour les impliquer dans les poursuites, notamment Mme de Chevreuse, MM. de la Louvière, Bois d’Annemets, Puylaurens et quatre autres. La Chambre conformément à ces conclusions rendait un décret de prise de corps contre ces inculpés en réservant toutefois que le décret ne serait exécutoire qu’après avoir été contresigné par le Roi. Louis ne signa pas[30]… » Marie ayant déjà été interrogée par le Cardinal fut laissée libre mais avec interdiction de bouger du logis de la Reine qui devenait ainsi garante de son amie. Le 18 août, la Chambre rendait son arrêt : Chalais était condamné à mort. La sentence ordonnait que dès le lendemain, il serait décapité publiquement, que sa tête serait exposée au bout d’une pique sur la porte Sauvetout et que son corps, coupé en quatre, serait attaché à des potences dressées sur les principales artères de Nantes. En outre c’était la déchéance de noblesse pour sa postérité, déclarée « ignoble et roturière », la confiscation de tous ses biens marqués du sceau de l’infamie et ses bois abattus à hauteur d’homme…
La cruauté de l’arrêt vint à bout de l’orgueil de Marie. Elle s’écroula en larmes, d’autant plus amères qu’elle reçut une dernière lettre où le condamné lui demandait pardon de l’avoir accusée, insultée, vilipendée. Il devait en dire autant à ses juges, mettant sa colère sur le compte de sa jalousie : on lui avait assuré que Mme de Chevreuse le trompait. Alors, s’oubliant elle-même pour une fois, Marie demanda à être reçue par le Roi. Il lui fut répondu qu’elle devait s’estimer heureuse de n’être pas contrainte à assister à l’exécution et que l’on s’occuperait d’elle ensuite.
Cependant, depuis l’arrestation, la mère et l’épouse de Chalais, Charlotte de Castille, enceinte et près d’accoucher, étaient arrivées à Nantes et prenaient logis dans le village de Boispréau. La sentence les accabla. Dans un mouvement de désespoir, la princesse de Chalais fit tenir au Roi une lettre déchirante :
« Sire, je vous demande les genoux en terre la vie de mon fils. Que cet enfant que j’ai élevé si chèrement ne soit pas la désolation de ce peu de jours qui me restent. Je vous l’ai donné à huit ans : il est le petit-fils du maréchal de Montluc et du président Jeannin. Les miens vous servent tous les jours… Hélas, que ne mourut-il pas en naissant, ou du coup qu’il reçut à Saint-Jean ou en quelque autre péril où il s’est trouvé pour votre service !… »
La douleur de cette femme toucha le Roi. Il savait qu’elle s’était ruinée aux trois quarts pour offrir à son fils la charge de Maître de la Garde-Robe, mais le complot contre la sûreté, de l’Etat était patent – Chalais avait tout avoué et à plusieurs reprises – même si l’accusation d’intention régicide n’était pas prouvée. La grâce totale était impossible comme était impossible aussi de s’en prendre à Gaston. Le fils du prince de Chalais était d’assez haute noblesse pour que sa mort serve d’exemple. La peine capitale fut maintenue, mais tous les à-côtés infamants furent supprimés : le jeune fou serait seulement décapité et son corps rendu à sa famille qui conserverait titres et biens.
La nuit qui précéda l’exécution commença dans l’angoisse pour Marie toujours enfermée chez la Reine mais qui s’attendait, après la mort de son malheureux amoureux, à être arrêtée pour aller vers quelque sinistre destin. Son époux ne s’était pas manifesté. S’il l’abandonnait, elle était perdue…
Un peu d’espoir pourtant lui vint. Vers minuit, Mme du Fargis apportait, à la Reine et à elle-même un message verbal de Monsieur : aidé par quelques amis de Chalais, il avait fait enlever le bourreau de Nantes. Jusqu’à ce qu’on le retrouve ou que l’on en fasse venir un d’une autre ville, il y aurait un délai que l’on pourrait mettre à profit pour tenter de fléchir le Roi ou pour faire évader le condamné.
Ensemble, la Reine et la Duchesse allèrent s’agenouiller devant la statue de la Vierge pour remercier de ce répit qui leur arrivait. Le bruit des marteaux de charpentiers en train de monter l’échafaud leur parut moins insupportable. Elles purent même trouver quelques instants de sommeil…
L’exécution devait avoir lieu au coucher du soleil. La journée se traîna dans les appartements d’Anne d’Autriche. Le Roi après avoir entendu la messe à l’Oratoire et rendu visite à sa mère, était parti sur une galiote pour chasser à Bougon. Quant à Monsieur, il se rendit à Châteaubriant vers la fin de l’après-midi. Ce qui était normal, ni l’un ni l’autre ne devant assister à la mise à mort. On en conclut cependant chez la Reine que l’absence du bourreau y était pour quelque chose.
Néanmoins, vers la fin du jour, deux compagnies de gardes vinrent prendre position sur la place du Bouffay proche du château et de la prison afin de contenir la foule qui s’amassait. Sur l’échafaud tendu de noir, un homme vêtu de rouge attendait, appuyé sur une grande épée… Pourtant le glas se mit à sonner quand le prisonnier, les mains liées devant lui et tenant un chapelet dont il baisait le crucifix de temps en temps, suivi du supérieur des Minimes le père des Roziers, se mit en marche vers l’appareil de mort… Pour ceux qui avaient enlevé l’exécuteur et qui étaient certains de le détenir, c’était incompréhensible et, près de l’affolement, ils cherchaient en vain une explication.
Elle était simple et tenait tout entière dans l’inflexible volonté de Richelieu pour qui cette mort devait être un exemple : on avait offert sa grâce à un prisonnier qui devait être pendu trois jours après s’il se chargeait d’exécuter Chalais. C’était un vigoureux cordonnier condamné pour meurtre. Et comme la grande épée du bourreau avait disparu avec le titulaire, on en trouva une de la même taille dans le régiment des suisses. Voilà pourquoi, à l’heure dite, un homme vêtu de rouge attendait…
Chalais marchait d’un pas ferme sans montrer la moindre émotion. Son âme était en paix après avoir pardonné à ses ennemis, même à Louvigny le dénonciateur, et demandé une dernière fois pardon à Mme de Chevreuse de l’avoir accusée.
Arrivé sur l’échafaud il ôta son pourpoint, laissa l’exécuteur lui couper les cheveux puis, tirant d’une poche son livre d’heures, il le donna au père des Roziers, après quoi il s’agenouilla pour une dernière prière, se laissa bander les yeux et dit au bourreau :
— Ne me fais pas languir !
Très droit, il attendit le coup qui aurait dû, assené par un homme habile, lui faire sauter la tête. Et ne fit que le blesser et le faire tomber sur le plancher où l’homme lui porta encore quatre coups. On entendit le malheureux crier :
– Jésus ! Maria !…
En fait le bourreau novice n’avait pas pensé à affûter l’épée qu’on lui avait donnée : elle ne coupait pas assez… Il réclama un autre instrument. On lui passa une doloire de tonnelier, à la suite de quoi, la tête de nouveau posée sur le billot, le sinistre apprenti eut besoin de vingt-neuf coups pour la détacher enfin du corps de sa victime que l’on entendit gémir jusqu’au vingtième. Encore n’était-il arrivé à l’achever qu’en le retournant sur la pièce de bois ! Les cordons de soldats avaient toutes les peines du monde à contenir la foule hurlante et déchaînée. Elle voulait égorger l’auteur de cette abominable boucherie qu’il fallut ramener à la prison pour lui éviter d’être mis en pièces. Cependant le corps du supplicié était placé dans un cercueil puis dans un carrosse qui attendait là et enfin conduit au couvent des Cordeliers pour y être inhumé…
La nuit tombait. Un personnage, qui de son carrosse de voyage avait assisté à cette abomination, donna ordre à son cocher de le conduire au château. Le duc de Chevreuse venait d’assister au massacre…
On n’ignora pas longtemps, chez la Reine, ce qui venait de se passer. La consternation, l’horreur s’abattirent sur le petit groupe de femmes qui y étaient réunies. Le choc fut si brutal que Marie s’évanouit tandis qu’Anne d’Autriche s’abîmait dans une intense prière à laquelle se joignirent Mmes de Lannoy, de Bellière, du Fargis, Doña Estefania et la Duchesse elle-même quand elle eut repris connaissance. Une sensation nouvelle s’emparait d’elle, une sorte de terreur proche de la panique. Dans les yeux des dames présentes – hormis la Reine consciente que tout cela avait été fait pour elle – Marie pouvait lire une accusation insupportable à son orgueil. De là une envie de fuir, de quitter ce cercle où elle se sentait étouffer, cette cité souillée du sang de ce pauvre garçon, victime à la fois de son manque de caractère et de l’amour insensé qu’il lui avait voué. Elle aspirait à retrouver l’air libre, les grands chemins avec leurs senteurs d’été et aussi Dampierre, ses jardins et ses eaux vives. Les reverrait-elle seulement un jour ? Après Chalais, la redoutable justice royale allait frapper les autres conjurés… à l’exception de Monsieur. D’Ornano[31], les Vendôme déjà incarcérés allaient-ils eux aussi perdre la tête ? Et aussi La Louvière, Puylaurens et Bois d’Annemets que l’on venait d’emprisonner ? Elle enfin, autant dire captive du cercle royal, que la haine du Roi ne tarderait guère à frapper sans doute et qui, peut-être, devait l’attirance trouble qu’elle inspirait au Cardinal de séjourner encore au château et non d’être dans une geôle ? Quant à la Reine, après ce qui venait de se passer, il était plus que probable que sa brouille avec son époux serait définitive. On connaissait trop le Roi pour n’en pas conclure qu’il soupçonnerait sa vie entière Anne d’avoir souhaité sa mort. De là à la répudier, il pouvait n’y avoir qu’un pas ! Et Marie à cet instant se sentit plus proche d’elle que jamais, partagée qu’elle était entre son envie de prendre le large et une autre qui la poussait à demeurer auprès d’Anne afin de partager son sort.
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