La réponse vint le matin suivant avec l’apparition de Claude : il venait chercher sa femme qu’un décret royal frappait d’exil et dont il était désormais responsable… Aucune marque de sentiment sur son visage froid et fermé comme Marie ne l’avait jamais vu. Il devait ressentir cruellement le fait d’être éloigné du Roi en même temps qu’elle et de devenir en quelque sorte son geôlier, mais de cela Marie n’en avait cure : à l’énoncé de la sentence, elle entra dans une colère folle, prenant à partie Louis XIII et Richelieu qu’elle accabla d’injures :

— Le Roi n’est qu’un idiot et un incapable ! s’écria-t-elle. C’est une honte que ce faquin de Cardinal règne à sa place ! Mais je leur ferai bien voir qui je suis ! Je veux aller en Angleterre et j’y ferai traiter tous les Français comme on me traite moi-même…

— Vous n’irez pas en Angleterre, madame.

— Où alors ?

— Vous le saurez en temps utile. Veuillez vous hâter !

La séparation d’avec Anne fut pénible. Les deux femmes s’embrassèrent en pleurant. La Reine était hors d’elle de se voir enlever sa « chevrette ». A M. de Nogent qui lui avait porté l’avis officiel, elle jura, avec colère, qu’elle aimait mieux ne pas avoir d’enfant que d’être séparée de son amie et que le Cardinal aurait tôt ou tard à porter le poids de sa vengeance. On eut toutes les peines du monde à la calmer. Cependant il fallait obéir…

En regagnant son logis où elle n’était pas venue depuis plusieurs jours, Marie trouva ses bagages faits, Elen et Anna prêtes à partir mais ce fut en lui tendant sa mante de voyage qu’Elen lui fit ses adieux : elle avait choisi d’entrer aux Ursulines de Nantes et comme Marie toujours furibonde lui ordonnait de se tenir tranquille et de cesser de jouer les victimes, elle répondit :

— On m’attend au couvent et vous ne pouvez vous y opposer.

La froideur du ton doucha la colère de la Duchesse. Avec amertume elle remarqua :

— Depuis tant d’années je te croyais attachée à moi ! Il y a eu cette malheureuse affaire sans doute…

— Elle a plus d’importance que vous ne l’imaginez. Je ne veux plus servir une femme égoïste et cruelle qui a mené à la mort, froidement, un malheureux dont le seul tort était de l’aimer…

— Garde pour toi tes sermons de moralité ! Tu pourrais en avoir besoin…

— Oh ! sans aucun doute ! Je vais prier, madame ! Non pour vous mais pour que Dieu me pardonne de vous avoir trahie.

— Trahie ? Toi ?

— J’ai livré au Cardinal ce que j’ai pu savoir de vos relations avec M. de Chalais ! Je vais enfin être délivrée de vous car du fond de votre exil vous ne ferez plus de mal à personne !

— N’en sois pas trop sûre ! L’exil n’est pas la mort : on en revient !

Et elle sortit en haussant les épaules, outrée de ce qu’elle venait d’entendre.

Deux carrosses attendaient au pied de l’escalier : celui du duc de Chevreuse près duquel il patientait avec M. de Nogent, et celui de Marie avec ses bagages sur le siège duquel était Peran, le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, son visage massif dénué d’expression. En atteignant le bas des marches suivie d’Anna, la jeune femme se dirigeait vers lui quand son époux la retint :

— Vous montez avec moi. Votre chambrière seule prendra votre voiture.

Il fallut bien en passer par là. Le couple s’installa côte à côte et l’on partit. Marie remarqua alors qu’en dehors de Martin, le valet de son époux, celui-ci voyageait sans aucun autre membre de sa maison et comme un simple particulier. Elle lui en fit la remarque. Sans la regarder il répondit :

— Je suis arrivé hier pour voir le Roi et j’ai voyagé en hâte. Cela m’a permis d’assister au massacre de votre victime qu’on a osé faire périr sous un outil de tonnelier, lui, un Talleyrand-Périgord qui avait combattu vaillamment les protestants… Quelle infamie !

— Ma victime ? protesta Marie. Je n’étais pas seule dans ce complot destiné à sauver la Reine d’une possible répudiation…

— En tuant le Roi !

— Je n’ai jamais voulu le tuer ! Le Cardinal, oui parce qu’il est un malfaisant. Enfin, Claude, vous devez convenir que cet homme ne cesse de nuire à tout ce à quoi nous sommes attachés !

— Je ne dis pas le contraire et si cela peut vous réconforter sachez que je le hais ! Autant que j’aime le Roi… et je ne vous crois pas quand vous niez avoir comploté sa mort ! A présent plus un mot ! J’ai besoin de prier…

Marie se le tint pour dit et se rencogna dans ses coussins pour essayer de réfléchir. Chevreuse ne voulait pas lui dire où il la conduisait mais puisqu’il était responsable d’elle, que l’Angleterre lui était interdite et qu’en dehors de cette destination, Claude détestait l’idée de quitter la France, les choses étaient claires : il la ramenait chez elle ! Elle allait retrouver son cher Dampierre[32]. Cette idée la rasséréna un peu…

L’équipage allait passer la porte Sauvetout avec la lenteur exigée par l’étroitesse relative de l’ouverture quand une pierre franchit la portière et, lancée sans doute d’une main sûre, atterrit sur les genoux de la Duchesse qui poussa un cri. Chevreuse s’en empara, déroula le billet attaché dessus, le lut avant de le passer à sa femme :

— J’ai l’impression, dit-il gravement, qu’il vous faudra désormais prendre bien garde à vous !

Il y avait quelques mots et pas de signature :

« C’est toi qui as tué Chalais, maudite duchesse ! Un jour ou l’autre tu devras payer sa mort… »

Marie se sentit frémir. L’enchaînement trop rapide des derniers événements était en train de venir à bout de son courage et elle leva sur son époux un regard angoissé :

— Quelle folie ! fit-elle d’une voix sensibilisée par un tremblement qu’elle s’efforçait de maîtriser. Je ne vois pas quel mal on pourrait me faire dès l’instant où vous devez veiller sur moi ! Quand nous serons à Dampierre…

— Nous n’allons pas à Dampierre…

— Non ? Où alors ? Pas… à Chevreuse tout de même ?

— Et je ne suis responsable de vous que jusqu’à un certain point.

— Comment l’entendez-vous ?

— Comme on me l’a dicté : c’est votre frère Louis qui va vous loger le temps qu’il plaira à notre sire. Et lui répondra de vous sur sa tête !

— Quoi ?… Mais je suis votre femme, je suis princesse lorraine et vous me devez secours, assistance… sans compter que vous disiez m’aimer ?

— C’était vrai mais ce ne l’est plus ! Souvenez-vous, madame ! Je vous avais recommandé de ne jamais avoir de sang sur vos mains. Vous avez celui de Chalais et vous vouliez celui du Roi. Notre accord est rompu.

— Vous voulez vous séparer de moi ? Me… répudier ?

— Non. Vous resterez duchesse de Chevreuse et je veillerai sur l’enfant que vous m’avez donné mais je ne veux plus vivre avec vous :

Ce ton cassant, ce regard qu’elle ne pouvait saisir, cette main qui rejeta la sienne quand elle tenta de la prendre. L’homme assis là, si proche et pourtant si lointain, avait-il été vraiment celui que sa beauté rendait fou ? Marie appela son orgueil à son secours pour qu’il lui rende sa dignité ! Jamais elle ne s’abaisserait à le supplier… Elle se raidit :

— Me direz-vous enfin où je vais ?

— A Seiches, au château du Verger qui est à votre frère Guéménée.

Elle sentit sa gorge se serrer tandis que sa mémoire lui restituait ce château, le plus beau d’Anjou peut-être comme Josselin était le plus beau de Bretagne. Les demeures des Rohan ne manquaient ni de splendeur ni de puissance, mais leurs logis aux fenêtres fleuronnées s’entouraient de puissantes tours qui soulignaient leur vocation de forteresses. Le Verger, bâti dans la seconde moitié du xve siècle par Pierre de Rohan, le célèbre maréchal de Gié, n’échappait pas à la règle : il était digne d’un roi et en avait reçu plus d’un, le dernier en date étant le Béarnais, mais Marie le trouvait sévère. En outre, sans nouvelles de son frère depuis de longs mois, elle ignorait s’il y séjournait seulement.

— Louis est-il là-bas ?

— Je le crois. Un courrier a été envoyé qui vous annonce. A présent faites-moi la grâce de vous taire… Je ne répondrai plus à vos questions !

Elle n’insista pas, appuya sa tête contre le velours de tenture et ferma les yeux. Claude n’allait quand même pas demeurer muet le reste d’un voyage d’une trentaine de lieues ? Il faudrait s’arrêter le soir, coucher quelque part et alors… peut-être ?

Mais on ne s’arrêta pas, sinon pour relayer, et Chevreuse n’adressa plus la parole à sa femme durant le trajet… jusqu’à ce qu’après un jour et une nuit sans repos, le carrosse s’immobilise subitement à une croix du chemin. Chevreuse alors se tourna vers Marie :

— Veuillez descendre, madame. C’est là que nous nous quittons.

— Quoi, ici ? Mais nous sommes…

— A une lieue du Verger et la route est toute droite. Vous ne pouvez pas vous tromper… ni dévier. Songez que vous êtes attendue et que Guéménée est garant de vous à partir de cet instant.

Il lui prit la main pour la conduire cérémonieusement à son carrosse à elle où elle retrouva Anna visiblement terrifiée et Peran toujours aussi impassible. Quand elle fut montée, il ôta son feutre empanaché pour la saluer :

— Adieu, madame ! Je prierai pour que la sagesse vous vienne !

Puis il ferma lui-même la portière, attendit les pieds dans la poussière que Peran eût enlevé ses chevaux mais, à son tour, Marie, sans répondre à son salut, avait cessé de le regarder.

— Oh, Madame la Duchesse ! gémit Anna dont la bonne figure portait les traces de l’épuisant voyage, qu’allons-nous devenir ?

Marie haussa les épaules sans répondre mais lui sourit afin de la réconforter. Quant à elle, cette situation nouvelle requérait toute son attention. Il allait falloir faire quelque chose mais diable si elle savait quoi ! Peut-être qu’après un peu de repos, elle y verrait plus clair. Pour l’instant elle se sentait moulue n’ayant qu’une envie : dormir !… Soudain elle entendit Peran crier :