— Pour la énième fois, je ne l’ai pas. Mais nous pourrions envisager de vous mettre à sa recherche ? Alors vous acceptez ?
— Que je... ? commença-t-elle, de plus en plus désorientée.
— Parfait. Pisani va vous accompagner et retournera vous chercher. Moi, il est temps que je me rende présentable...
Le programme ainsi arrêté et Ava repartie avec Angelo, Lisa explosa :
— Tu n’es pas malade d’inviter cette folle ? Elle est capable de n’importe quoi pour se procurer ce fichu diamant !
— Moi aussi, figure-toi ! Aussi tu vas te mettre illico presto à la recherche de ton père. Il faut qu’il m’emmène au plus vite à Hever Castle. Lui connaît très bien les Astor. Ils sauront au moins qu’ils ont eu affaire à un imposteur ! Je ne supporte absolument pas que l’on me prenne pour un voleur !
— On dirait que tu as un sosie quelque part ? remarqua Lisa avec un sourire rêveur. J’aimerais assez le voir...
— Moi aussi... Mais pour lui casser la figure. Qu’il me ressemble, je l’admets puisque, selon les bruits, nous aurions chacun notre sosie dans le monde, mais que l’on y ajoute mon nom pour en faire mauvais usage, ça, je ne l’admettrai jamais ! Moi, je vais prendre un bain...
— Un bain ? Et ta bronchite ?
— Ma bronchite ? Au diable ! J’ai surtout besoin de me sentir propre !
Il toussota, renifla, s’appliqua une main sur le front pour en tester la température... qui était redevenue normale, et la légère migraine avait elle aussi disparu !
— Et voilà ! conclut Lisa. Ça recommence ! Qu’une aventure quelconque se pointe à l’horizon...
— Il ne s’agit pas d’une aventure quelconque ! Il s’agit de mon honneur, de ma réputation, du nom que tu partages avec moi, princesse ! Ça devrait t’inciter à plus de respect, chipie !
— Oh ! Et j’imagine qu’il faut te préparer une valise et des vêtements chauds ?
— Très juste ! Je pars cette nuit après avoir fait de mon mieux pour dégoûter Ava de ce magnifique diamant. Cela signifie que je vais t’aider à la supporter jusqu’à ce soir...
Lisa était à deux doigts de piquer une colère : cela se devinait au pincement de ses narines.
— ... À propos, c’est quoi, cette lettre que tu as fourrée dans ta poche ?
— Ce n’est pas une lettre, mon cœur ! Juste un billet d’Adalbert qui est venu me chercher.
— Adalbert ? Mais il est où, celui-là ?
— Dans le placard aux balais !... Dans l’arrière-cuisine ! Pisani ira déjeuner à la cuisine avec lui !
— Et pourquoi pas avec moi ? C’est l’homme que j’aime le plus au monde... après Papa et toi, tout de même ! Elle prend une drôle de tournure, ton histoire. Comment comptez-vous quitter Venise cette nuit ?
— Zian nous emmènera à Mestre avec le Riva... pour l’instant je n’en sais pas davantage.
— Comme tu voudras ! soupira Lisa. Encore un détail : si j’ai Papa au téléphone, je lui dis quoi ? En tenant compte du fait que les écoutes téléphoniques fonctionnent assez facilement ici ?
— Mmmm ! Que Tante Amélie est malade, moi aussi, et que tu souhaiterais qu’il aille aux nouvelles au parc Monceau !
Cette fois, Lisa fit la grimace :
— Je n’aime pas les mensonges de ce genre ! Il arrive assez souvent que cela se change en réalité... et j’aime beaucoup Tante Amélie !
Ému par la tristesse qu’il perçut dans la voix de sa femme, Aldo la prit dans ses bras :
— Moi aussi, mon cœur, tu le sais bien !...
Les mains noyées dans l’opulente chevelure d’un si joli blond vénitien, il caressa des lèvres les beaux yeux d’une si rare teinte violette. Suivit un baiser aussi peu conjugal que possible. Qui fit rire la jeune femme :
— C’est un miracle ! Tu vas vraiment mieux ! Va te raser ! Tu piques !... Au fait ! Quel rôle m’as-tu réservé pour les jours à venir ? L’épouse au foyer attendant le retour du guerrier ?
— Comme si tu ne savais pas ?
— D’accord ! Je partirai pour Vienne dès que je serai certaine que tu as quitté Venise sans problème. Et, à propos de problème, qu’est-ce que je fais d’Ava ?
— Rien du tout ! J’espère avoir réglé la question avant ce soir ! L’important est de ne pas la perdre de vue jusqu’à ce qu’elle reprenne le Simplon ce soir. Tu penses bien qu’elle n’a pas dû prévoir un long séjour : venir ici, prendre le diamant et filer le plus vite possible par le train qui part ce soir.
Sur ce, il se dirigea vers l’escalier en sifflotant son ariette de Mozart sous l’œil mi-soulagé, mi-courroucé de sa femme momentanément à court d’arguments. Aurait-elle jamais le dernier mot avec cet incroyable personnage auquel sa vie était liée depuis un nombre d’années qu’elle se refusait à compter, préférant commencer le décompte à la double apparition d’Antonio et d’Amelia, ses jumeaux. Une chose était certaine, il était l’homme des résurrections soudaines : revenu d’Angleterre à moitié moribond, elle pouvait maintenant l’entendre parler tout seul en faisant couler un bain – chaud de préférence ! – dans lequel il allait mijoter en fumant sans doute une ou deux cigarettes. Aucune force au monde ne pourrait l’empêcher de se lancer dans une aventure probablement dangereuse, tandis qu’elle se ferait un sang d’encre en attendant de problématiques nouvelles. Et le pire était qu’elle n’aurait pas voulu d’une autre vie et qu’un Aldo pantouflard, tiré à quatre épingles et partageant son temps entre son fastueux cabinet de travail, son magasin aux trésors, les achats en salle des ventes ou chez des particuliers, un emploi du temps réglé, immuable, sans décoller de Venise et où, tous les soirs, on irait jouer les paons chez les uns ou chez les autres sous l’œil admiratif d’une brochette de bécasses subjuguées par sa prestance aussi bien que par ses belles histoires, lui aurait été très vite insupportable. D’un autre côté...
L’exquise ariette du magicien de Salzbourg ayant fait place au robuste chant des « Montagnards » émaillé de fausses notes – c’était l’une des particularités d’Aldo : il sifflait juste mais chantait faux –, elle le rejoignit dans la vaste salle de bains où régnait un épais brouillard parfumé à la lavande anglaise Yardley. Habituée, elle alla s’asseoir sur le bord de la baignoire :
— Et si, pour une fois, tu m’en racontais un peu plus ? L’arrivée d’Adalbert sur la pointe de ses grands pieds ne me dit rien qui vaille.
— En toute franchise : à moi non plus, en dehors du fait qu’en sa compagnie tout devient possible. Même l’invraisemblable ! Tout ce que m’apprend le papier qui est dans la poche de ma robe de chambre est que, par extraordinaire, l’illustre Ava ne cultive pas le conte de fées. Les 55 carats du Sancy ont bel et bien disparu d’Hever Castle et c’est moi que la renommée accuse du vol...
— La renommée, la renommée... elle a bien un nom ?
— Lord Astor of Hever en personne. J’aurais été me présenter à lui en invoquant son amitié avec ton père. Reçu comme il se doit, je serais reparti en emportant le précieux trésor familial. Voilà pourquoi il faut que tu me trouves ton père à tout prix !
— Tu risques d’être arrêté ?
— On va le savoir, mais j’imagine que oui, étant donné les précautions dont s’est entouré Adalbert. Alors, en attendant que je disparaisse cette nuit, on garde Ava sous surveillance, après quoi, demain matin, tu lui remettras un mot lui donnant rendez-vous quelque part. On va en décider avec Adalbert.
— Il a eu lieu quand, ce vol ?
— Il y a trois jours... et tu sais aussi bien que moi que j’étais justement en Angleterre où j’ai attrapé cette crève qui m’a mis sur les genoux.
— Or, bizarrement, ton client non seulement ne t’avait pas appelé en urgence, mais il n’était même pas chez lui ! Évidemment, reste la distance entre les deux châteaux...
— Celui de lord Allerton est à vingt kilomètres d’Hever ! Conclusion ?
— Évidente pour le premier imbécile venu ! Donc...
— Donc, va me chercher Adalbert !... Il m’a déjà vu tout nu, il n’en perdra pas la vue... et envoie-nous du café !
— Encore ! Tu viens d’en avaler un litre après du chocolat !
— Il faut que je retrouve mes forces. Le chocolat, c’est pour le corps, et le café, pour l’intellect !
— Subtil distinguo ! On dirait que tu progresses à vue d’œil !
Elle sortit juste à temps pour éviter l’éponge mouillée qu’Aldo lui lançait à la tête...
Un instant plus tard, Adalbert Vidal-Pellicorne s’encadrait dans le chambranle de marbre, sa haute silhouette un peu dégingandée toujours élégamment vêtue dans le style décontracté, et ses cheveux blonds mêlés de gris dont une mèche indisciplinable retombait au-dessus d’un œil bleu dont l’innocence dissimulait une ruse de chef sioux. Il considéra son ami d’un œil sévère :
— Sors de là-dedans, sinon dans deux secondes je serai aussi trempé que toi ! Je te croyais malade ?
— Je l’étais, mais certaines nouvelles ont la vertu de vous rejeter brutalement dans la pire réalité !
Néanmoins, Aldo attrapa la serviette que lui lançait son ami, s’étrilla, puis, drapé dans un peignoir de bain, regagna sa chambre où Zaccharia apportait déjà le café réclamé ; il en ingurgita une tasse avant d’allumer enfin une cigarette dont il huma la première bouffée avec délice :
— Dieu, que ça fait du bien ! Et maintenant causons. D’abord, qu’est-ce qui nous vaut ta visite impromptue, et deux : qu’est-ce que cette histoire de vol du Sancy ?
— Celle-ci découle de celle-là. On a bel et bien volé, à Hever Castle et presque sous le nez des Astor, le Sancy qui était le précieux trésor de la maîtresse de maison, et je viens te chercher pour, sinon te mettre à l’abri, au moins te permettre de respirer parce que c’est toi que les Astor accusent.
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