Peu avant minuit, Aldo pensa que le moment approchait et il aurait donné cher pour l’éviter. La plupart des invités étaient arrivés. Kledermann s’accordait le répit d’une partie de bridge avec trois autres messieurs fort graves. Quant à Dianora, libérée de ses devoirs d’hôtesse accueillante, elle venait d’accepter de danser avec Aldo.
C’était la première fois qu’il réussissait à approcher la jeune femme depuis le début de la soirée. À présent, il la tenait dans ses bras pour une valse anglaise et pouvait apprécier à leur juste valeur l’éclat de son teint, la finesse de sa peau, la douceur soyeuse des cheveux et la fulgurance triomphante du rubis étincelant au creux de sa gorge. Il ne pouvait éviter de lui en faire compliment.
– Cartier a fait une merveille, dit-il ; mais il aurait réussi quelque chose de tout aussi somptueux avec une autre pierre.
– Croyez-vous ? Un rubis de cette taille ne se trouve pas facilement, et moi je l’adore.
– Et moi je le déteste ! Dianora, Dianora ! Pourquoi ne voulez-vous pas croire qu’en portant ce maudit caillou vous êtes en danger ?
– Oh, je ne le porterai pas souvent. Un joyau de cette importance passe beaucoup plus de temps dans les coffres-forts que sur sa propriétaire. Dès la fin du bal, il rejoindra la chambre forte !
– Et vous n’y penserez plus. Vous aurez eu ce que vous vouliez : une pierre splendide, un moment de triomphe. Savez-vous que vous me faites peur, que je ne vais plus cesser de trembler pour vous ?
Elle lui offrit le plus éblouissant des sourires en se serrant un peu contre lui :
– Mais que c’est donc agréable à entendre ! Vous allez penser à moi sans cesse ? Et vous voudriez que je me sépare d’un bijou aussi magique ?
– Avez-vous oublié notre dernière conversation ? Vous aimez votre mari ?
– Oui, mais cela ne veut pas dire que je renonce pour autant à cajoler quelques jolis souvenirs. Je crois que je vous dois les plus beaux, ajouta-t-elle, redevenue sérieuse, mais Aldo ne la regardait plus.
Avec stupeur, il considérait le trio qui, le sourire aux lèvres, était en train de franchir le seuil de la salle. Un homme et deux femmes : Sigismond Solmanski, Ethel… et Anielka. Il s’arrêta de danser :
– Que viennent-ils faire ici, gronda-t-il entre ses dents.
Dianora, d’abord surprise de cet arrêt, avait suivi la direction de son regard :
– Eux ? Oh, j’avais oublié qu’ayant rencontré il y a deux ou trois jours le jeune Sigismond et sa petite épouse je les avais invités. Nous sommes de vieux amis, vous le savez, puisque j’étais avec lui quand nous nous sommes retrouvés à Varsovie. En revanche… j’ignorais que sa sœur était là et qu’il comptait l’emmener. Mais au fait, mon cher, vous ne saviez pas que votre femme était à Zurich ?
– Non, je ne le savais pas ! Dianora, vous devez être folle d’avoir invité ces gens. Ce n’est pas vous qu’ils viennent voir, c’est ce que vous avez au cou !
Avec inquiétude, Mme Kledermann considéra un instant le masque soudain tendu et si pâle de son danseur, tout en portant la main à son collier.
– Vous me faites peur, Aldo !
– Il est bien temps !
– Pardonnez-moi… il faut que j’aille les accueillir ! C’est… c’est mon devoir.
Adalbert aussi avait aperçu le groupe et fendait la foule des danseurs pour rejoindre son ami.
– Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici, ceux-là ? murmura-t-il.
– C’est une question à laquelle tu dois pouvoir répondre aussi bien que moi. En tout cas, ricana Morosini, tu peux constater que pour une pauvre créature, enlevée, séquestrée et en danger de mort, cette chère Anielka ne se porte pas trop mal !
– Alors, pourquoi l’autre t’a-t-il dit qu’il l’avait enlevée ?
– Parce qu’il a cru pouvoir le dire et qu’à sa manière c’est une sorte d’innocent. Probable que cet intermède ne doit pas lui plaire plus qu’à moi. Mais je vais régler ça tout de suite.
Et, sans vouloir en entendre davantage, il se dirigea vers la porte en effectuant un détour assez long pour permettre à Dianora de conduire ses invités plus ou moins attendus vers un buffet, lui laissant ainsi le champ libre. Aldo n’avait aucune envie d’échanger des politesses de commande avec ses pires ennemis au nom don ne sait quel code de bienséance bourré d’hypocrisie.
Il trouva Ulrich près du départ de l’escalier, un pied sur la dernière marche comme s’il voulait monter mais hésitait encore. Sa mine était sombre et son regard que Morosini capta plein d’inquiétude. Il n’en fonça sur lui qu’avec plus de détermination :
– Venez ! fit-il entre ses dents, nous avons à parler.
Il essaya de l’entraîner au-dehors, mais l’autre résista :
– Pas par là ! Il y a un meilleur endroit…
Les deux hommes s’enfoncèrent dans les profondeurs des vestiaires à peu près déserts après qu’Ulrich eut prié l’un de ses aides de le remplacer. Le lieu était calme, paisible, les bruits de la fête se trouvant étouffés par l’épaisseur des manteaux, capes, et autres pelisses. Parvenu suffisamment loin, Morosini sauta sur son compagnon qu’il empoigna par les revers de son habit :
– À nous deux, maintenant ! Vos explications ?
– Il est inutile de me secouer. Je parlerai aussi bien sans ça !
L’homme était embêté mais sa voix ne tremblait pas et Morosini lâcha prise.
– Pourquoi pas ? Alors, j’attends ! Expliquez-moi comment ma femme que vous teniez captive vient de faire son entrée au bal en robe perlée ?
Tout en parlant, Morosini avait tiré son étui à cigarettes, en prenait une qu’il tapota sur le boîtier d’or avant de l’allumer. Ulrich toussota :
– Vous n’en auriez pas une pour moi ? Ça fait des heures que je n’ai pas fumé.
– Quand vous m’aurez répondu.
– Oh, c’est pas compliqué. Je vous l’ai dit, je n’ai pas grande confiance dans Sigismond et depuis que le vieux est plus ou moins hors de service je me méfie de tout. Aussi, j’ai décidé de penser un peu à moi. Comme j’avais été chargé de vous surveiller, l’idée m’est venue de vous faire chanter et de rafler grâce à vous la plus grande partie du magot. C’est pour ça que je vous ai fait croire que j’avais votre épouse. Ça a eu l’air de marcher.
– Ça n’en a eu que l’air. Si vous voulez tout savoir, j’ai bien failli vous dire « Gardez-la », mais laissons cela de côté. Comment se fait-il que je vienne de la voir arriver avec les Solmanski ?
– Je n’en sais rien. Quand je l’ai aperçue, j’ai cru que le plafond me tombait sur la tête…
– Et eux vous ont vu ?
– Non, je me suis hâté de disparaître. Vous n’allez plus m’aider à récupérer ce qu’il y a là-haut ? ajouta-t-il avec un regard vers le plafond.
– Non… mais je peux peut-être vous offrir une… compensation.
L’œil atone du gangster se ralluma un peu.
– Quoi ?
– Un fort beau collier de rubis qui se trouve dans le coffre de l’hôtel et que j’avais apporté pour l’échanger contre la pierre achetée par Kledermann à votre ami Saroni !
– Ah, celui-là quel imbécile ! Essayer de faire cavalier seul…
– C’est exactement ce que vous faites, mon garçon, mais je vous propose de vous en tirer avec les honneurs de la guerre… et mon collier si vous m’aidez à mettre la main sur la bande. Et d’abord, qu’est-ce que les Solmanski viennent faire ici ce soir ?
– Je vous jure que je n’en ai aucune idée. Oh, c’est pas bien difficile à deviner : ils vont chercher à mettre la main sur le rubis. Surtout qu’installé comme il est au milieu d’un tas de diamants, ça devient une bonne affaire.
– C’est ridicule. Kledermann n’est pas un enfant et il doit y avoir des gardes en civil partout…
– Je vous dis ce que je pense. Dites donc, ce collier, il est intéressant ?
– Je viens de vous dire que je pensais à un échange. Il vaut au moins cent mille dollars.
– Oui, mais vous ne l’avez pas sur vous. Qu’est-ce qui me dit que je l’aurai si je vous aide ?
– Ma parole ! Jamais je n’y ai manqué, mais je suis capable de tuer quiconque en douterait. Ce que je veux savoir…
Une détonation lui coupa la parole, presque aussitôt suivie d’une tempête de cris et d’exclamations. D’abord figés, les deux hommes se regardèrent.
– C’est un coup de feu, fit Ulrich.
– Je vais voir. Restez au vestiaire, je reviendrai !
Il partit en courant mais dut faire des efforts pour fendre la foule qui se pressait devant l’un des buffets de rafraîchissements et que trois serviteurs s’efforçaient de repousser. Ce qu’il découvrit au bout de sa percée lui coupa le souffle : Dianora était couchée sur le parquet, face contre terre. Dans son dos, le sang coulait d’une blessure. Plusieurs personnes étaient penchées sur elle, dont son époux, plié en deux de douleur sur la tête de sa femme qu’il tenait entre ses mains.
– Mon Dieu ! souffla Aldo. Qui a fait ça ? Quelqu’un qu’il ne vit même pas lui répondit :
– On a tiré sur elle de l’extérieur, depuis cette fenêtre. C’est horrible !
Cependant, l’un des serveurs semblait prendre les choses en mains. Quand il eut déclaré qu’il appartenait à la police, personne ne s’y opposa. Il commença par écarter ceux qui s’étaient accroupis auprès du corps, parmi lesquels il y avait Anielka. En se relevant, la jeune femme se trouva nez à nez avec Aldo.
– Tiens ! Vous revoilà ? Où étiez-vous passé ?
– Je pourrais vous demander, à vous, ce que vous faites là ?
– Pourquoi n’y serais-je pas, puisque vous y êtes ? …
– Taisez-vous un peu, ordonna le policier. Ce n’est ni le lieu ni l’instant de se disputer. Et d’abord, qui êtes-vous ?
Aldo déclina son identité et celle de sa femme par la même occasion, mais celle-ci avait encore quelque chose à dire :
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