Il y répondit par un sourire forcé.
Ce fut pis encore quand, le lendemain, il rencontra dans le hall lady Clémentine, visiblement soucieuse :
— Je suis inquiète, lui confia-t-elle. Non seulement mon époux ne m’a pas téléphoné hier soir comme il a coutume de le faire quand il est en voyage, mais je viens d’appeler le Shepheard’s et il n’y est pas. Les trains fonctionnent normalement, aucun retard n’est signalé, et cela lui ressemble si peu !
— Pourquoi ne pas vous adresser au consulat général puisque c’est là qu’il se rendait ?
— Vous avez raison, c’est ce que je vais faire. Un incident peut toujours se produire, n’est-ce pas ?
Il fallait à l’évidence la rassurer. C’était une charmante femme et Aldo fit son possible… Seulement, le soir venu, on ne savait toujours pas ce qu’était devenu le colonel… Et le temps s’écoulait. Le délai imparti pour la remise de l’Anneau se terminait le lendemain.
Aldo, qui ne tenait pas en place et avait toutes les peines du monde à se comporter en individu normal, se rendit chez Lassalle pour savoir si les instructions étaient arrivées.
Il y allait à pied pour se calmer les nerfs quand, chemin faisant, il fut rattrapé par le jeune Hakim, le gamin dont Plan-Crépin avait fait son compagnon habituel dans ses excursions au temple de Khnoum ou sur la rive gauche du Nil. Qui se mit à trotter à côté de lui :
— Ne t’arrête pas et faisons comme si je te demandais la charité ! dit-il.
— Quelle drôle d’idée !
— Non. Ici c’est tout naturel et je ne vais pas te gêner longtemps.
— Tu as quelque chose à me dire ?
— Oui. Toi et tes amis vous faites du souci pour la belle jeune dame ? Je sais où elle est ! Marche plus vite et fais comme si tu voulais te débarrasser de moi…
Aldo en effet s’était arrêté, mais il se remit en marche aussitôt :
— Comment le sais-tu ?
— Mon ami Yazid qui… s’occupe des abords du palais du gouverneur a vu, cette nuit-là, les hommes en noir emporter une femme qui criait et se débattait. Ils l’ont embarquée dans une voiture et ont démarré mais Yazid est courageux… curieux aussi et il s’est accroché à l’arrière de la bagnole. Au début y a pas eu de problème, mais après les cahots l’ont fait tomber. Heureusement, il avait compris qu’ils allaient à la maison d’Ibrahim Bey. Il a attendu. L’auto est repassée devant lui un instant plus tard mais celui qui conduisait était tout seul…
— Elle y est restée ?
— Où veux-tu qu’elle soit ? J’y suis allé voir le lendemain. Je te signale que c’est rudement bien défendu. Maintenant, il faut que tu te débarrasses de moi. Tu sais comment, j’espère ?
L’air excédé, Aldo s’arrêta et fouilla dans sa poche :
— Encore un mot ! Pourquoi n’as-tu rien dit à Mlle du Plan-Crépin ? Tu lui sers de guide assez souvent, il me semble ?
— C’est vrai… mais je crois qu’elle n’aime pas beaucoup la belle demoiselle… Oh, merci, sidi ! ajouta-t-il avec enthousiasme en empochant la pièce d’argent qu’Aldo venait de glisser dans sa main brune. La bénédiction soit sur toi et toute ta descendance !
Il repartit en dansant d’un pied sur l’autre et en faisant sauter la pièce, tandis qu’Aldo poursuivait son trajet. Le château du Fleuve ? L’idée lui était venue mais, s’il était normal que Salima soit dans la demeure de son grand-père, la présence d’Assouari dans la maison d’un homme qu’il avait probablement assassiné et alors qu’ils n’étaient pas mariés allait à l’encontre des lois de l’islam…
— L’islam ? s’écria Henri Lassalle quand, peu après, Morosini eut relaté sa rencontre. Je ne suis même pas certain qu’Assouari soit de ses fidèles. Il se veut l’héritier d’un tel paquet de traditions qu’on peut se demander comment il s’y retrouve. De toute façon, c’est un bandit.
— Il vous a fait savoir où doit avoir lieu l’échange ?
— Pas encore ! maugréa Adalbert. Et je te rappelle qu’il n’est pas vraiment question d’échange : si on lui donne l’Anneau, Salima aura la vie sauve mais il ne nous la remettra pas. C’est sa « fiancée », ajouta-t-il avec un dégoût débordant de rage.
— On pourrait peut-être essayer ? Donnant donnant… et s’il veut l’Anneau… qu’il la libère !
— Et quand veux-tu « essayer » ? Quand je serai en face de lui, sans armes, seul, l’Anneau à la main, et qu’il me regardera rappliquer avec son mauvais sourire ? Il faudra que je m’estime heureux s’il ne me tire pas dessus pour être définitivement délivré de ma personne !
— N’exagère pas ! coupa Lassalle. Tel qu’on le connaît, on peut être assurés que la transaction ne s’effectuera pas sans témoins et que, même au cœur de la nuit – ce qui sera sans doute le cas ! –, il tiendra à donner de la solennité à ce qu’il pourrait appeler ta reddition. Donc il aura ses gens autour de lui, sans compter « sa fiancée ». Or, tu lui porteras un objet sacré. S’il t’abat, il aura perdu la face parce qu’il aura agi en truand et pas en grand prince ! Tu n’as rien à craindre. Dans l’immédiat, tout au moins !
— Le malheur, c’est que notre marge de manœuvre se rétrécit à vue d’œil, soupira Morosini. L’échéance est demain… Autrement, sachant où elle est enfermée, on aurait pu tenter de s’y introduire…
Adalbert ne le laissa pas achever. Il écumait presque :
— N’importe quoi ! Tu as évalué l’importance du château ? Le krak des Chevaliers en plus petit ! Alors on fait comment ? On escalade les murs armés jusqu’aux dents ! – pourquoi pas, au point où nous en sommes ! – après avoir grimpé à l’aide de cordes et depuis le Nil la dégringolade de rochers sur lesquels le château est bâti ? Arrivés là-haut, on bousille tout ce qui bouge, on plante le drapeau français au sommet de la tour, on entonne La Marseillaise et on enlève la princesse !
Sans s’émouvoir devant cette fureur où il reconnaissait la présence du désespoir, Aldo tira son étui à cigarettes, en prit une qu’il tapota sur la brillante surface d’or, puis, regardant Lassalle :
— Il est devenu idiot ou quoi ?
Il n’attendit pas de réponse, alluma le mince rouleau de tabac et le glissa entre les lèvres de son ami :
— Tu n’es pas Lancelot, je ne suis pas Perceval et on ne vit plus au Moyen Âge. Je pensais stupidement à notre vulgaire arme moderne : l’argent ! Si l’on s’en tient à l’Histoire, combien de sites inexpugnables sont tombés au cours des siècles parce que quelques pièces d’or étaient venues graisser subrepticement la patte d’un citadin assez costaud pour tirer les verrous soigneusement huilés ? Ce type se prend peut-être pour le dernier pharaon, mais il m’étonnerait fort qu’il n’ait que des adorateurs ! Malheureusement…
Adalbert s’assit, aspira deux ou trois bouffées puis ébaucha un sourire…
— Depuis qu’on est ici, je passe mon temps à t’offrir des excuses ! Mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude…
— Rien à craindre ! Je te fais confiance !
Henri Lassalle, lui, pensait déjà à autre chose :
— Mon cher Aldo, je ne veux pas vous chasser mais vous devriez peut-être retourner à l’hôtel demander si l’on a enfin des nouvelles de votre ami anglais. À ne vous rien cacher, je redoute moins pour Adalbert la balle ou le poignard que les menottes de Keitoun. Celui-là se tient tranquille pour l’instant – et c’est la meilleure preuve qu’il est manipulé par Assouari – mais il est probable qu’il mettra sa grosse patte sur lui dès que son patron aura obtenu satisfaction !
— Vous croyez ?
— Oh, j’en mettrais ma main au feu ! Évidemment, on finira par sortir Adalbert de ce pétrin, mais au bout de combien de temps et dans quel état ? De toute façon, sa carrière d’archéologue pourrait s’arrêter là !
— Vous avez raison, j’y vais !
À l’hôtel, cependant, lady Clémentine restait sans nouvelles et son inquiétude augmentait à mesure que les heures s’égrenaient. Même si son anxiété n’était pas évidente – éducation anglaise exige ! –, ses yeux qui parfois avaient peine à se fixer la trahissaient. Mme de Sommières et Plan-Crépin l’entouraient de leur mieux tout en respectant les règles d’une discrétion qu’elles savaient obligatoire et même si une véritable amitié se nouait de jour en jour, presque d’heure en heure, entre ces trois femmes. Pour les deux Françaises un vague sentiment de culpabilité s’y joignait : n’était-ce pas pour empêcher Keitoun de s’emparer d’Adalbert, et même obtenir que les autorités mettent un terme à ce simulacre de proconsulat délirant exercé par lui sur les gens d’Assouan, que Sargent avait pris la route de la capitale ?
Les trois femmes – et Morosini au moment des repas – formaient une manière d’îlot distant au milieu de l’espèce de maelström qui s’était emparé du vénérable hôtel, avec le débarquement d’une équipe de cinéastes hollywoodiens aussi bruyants que mal élevés. La romancière anglaise venait de plier bagage, terrifiée par le vacarme qu’ils entretenaient quasiment jour et nuit et contre lequel le directeur et Garrett luttaient comme ils pouvaient. Les envahisseurs étaient là pour quinze jours et entendaient en profiter pleinement. Au moins, la nuit ! Tant que brillait le soleil, ils rejoignaient dans le désert leurs équipes techniques répandues dans les hôtels de moindre catégorie de la ville. Mais le soir venu, les « têtes » du film – producteur, metteur en scène, jolies femmes au luxe tapageur, jeune premier à l’œil de velours, moins jeune à l’air important, etc. – prenaient possession des salons, bar, salle à manger en faisant un tel bruit qu’ils donnaient l’impression d’être au moins deux cents.
— J’espère que tu n’as pas de clients parmi ces gens ? demanda Tante Amélie à Aldo. Il ne nous manquerait plus que cela !
— Rassurez-vous ! Si j’ai des clients américains, ils sont exclusivement côte Est. De toute façon, ceux-ci n’appartiennent pas au gratin californien. Aucun nom connu ! Je suppose qu’il s’agit d’un richissime roi du Celluloïd ou des Corn Flakes qui veut voir sa maîtresse briller au firmament des stars et concocte un film d’« atmosphère » dans ce but…
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