— Ce serait avec plaisir mais on m’attend à l’hôtel.
— Votre… tante, sans doute ? Adalbert est enthousiaste à son sujet !
— Ma grand-tante, la marquise de Sommières. Elle est octogénaire mais elle a l’esprit tranchant comme une lame de rasoir. D’ailleurs, pourquoi ne viendriez-vous pas dîner avec nous au Cataract ? Je sais que vous n’aimez guère les femmes, cependant vous pourriez faire une exception pour elle et pour Marie-Angéline du Plan-Crépin, sa cousine et lectrice.
— Peste ! Quel nom ! fit Lassalle en riant.
— Elle est encore plus pittoresque. Et elle ne laisse personne ignorer que ses ancêtres ont « fait » les croisades. Venez, puisqu’à nous quatre nous formons toute la famille d’Adalbert. On se sentira plus forts en se serrant les coudes ! conclut-il tandis que son sourire s’effaçait.
— C’est entendu, je viendrai !
— Qu’est-ce que tu t’imaginais ! s’écria Mme de Sommières. Qu’elle allait te dire : « Mais comment donc, cher Monsieur ! Bien sûr que j’ai fait kidnapper Adalbert ! Il est même dans ma cave ! Vous serait-il agréable que nous allions lui faire un brin de causette ? » Il y a des moments où ta naïveté me confond !
— Et qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Adalbert reçoit un billet porté par un gamin, le lit avec une joie plus qu’évidente et suit le petit messager en prévenant qu’il rentrerait peut-être tard !
— Et alors ?
— Il n’y a dans ce pays-ci qu’un seul être qui ait le pouvoir de le faire rayonner en recevant sa prose et c’est Mlle Hayoun. Par conséquent moi, à moitié idiot comme chacun sait, je file droit chez ladite Mlle Hayoun lui demander si elle peut au moins m’apprendre quelque chose. Or, non seulement elle ne l’a pas vu, mais elle assure ne l’avoir pas convié. Dans ces conditions, pouvez-vous me dire où il est ?
— Calme-toi. J’ai tort, je le sais et j’ai horreur de ça, mais te voir aussi inquiet me met hors de moi ! Crois-tu vraiment que l’on puisse accorder à cette fille l’ombre d’un crédit ?
— Qu’il y ait du vrai par exemple quand elle donne la raison pour laquelle elle est restée avec Duckworth, je n’en doute pas…
— D’autant plus qu’elle s’est bien gardée de vous dire si elle avait trouvé ou pas son papyrus, ni ce qu’il contenait, flûta Plan-Crépin qui s’était contentée d’écouter jusque-là. Maintenant, qu’elle soit ou non l’auteur du message, le diable seul doit le savoir. Adalbert l’a cru et c’est ça le drame ! Il faudrait pouvoir visiter à fond cette vieille baraque et ça n’a pas l’air facile. Une porte médiévale et une unique fenêtre, étroite par-dessus le marché, ce n’est pas beaucoup. En passant par les terrasses peut-être ?
— Vous avez vu la hauteur des murs, Angelina ? Je reconnais que vous grimpez comme un écureuil et je ne pense pas être devenu trop rouillé, mais il nous faudrait d’abord un grappin et une corde solide et…
— Si vous cessiez de dérailler tous les deux et considériez l’endroit où nous sommes ? Passe pour la corde, mais où voulez-vous dénicher un grappin ? Dans les boutiques de souvenirs ? En outre, une fois là-haut, vous vous trouverez peut-être dans une maison bourrée de gens qui ne vous faciliteront pas la tâche ? Ce genre d’aventure nécessite d’assurer ses arrières et ici c’est le bout du monde. On n’a aucune aide à attendre des autorités locales… Et malheureusement ni l’un ni l’autre vous ne possédez les talents d’Adalbert pour ouvrir les portes les mieux fermées.
— On pourrait peut-être utiliser le colonel Sargent ? suggéra Aldo. Il brûle de se lancer sur les traces de son beau-frère et le fait qu’il soit anglais doit être pris en considération. Et n’oublions pas M. Lassalle qui connaît à peu près tout le monde. Au fait, cela ne vous ennuie pas que je l’aie invité à dîner ?
— Il est bien temps de le demander ! soupira la marquise. On pourra peut-être en tirer des renseignements… et ça nous fera toujours passer un moment ! D’autant qu’on peut espérer qu’il ne se souviendra pas de nous.
— Nous aurions tort de nous bercer d’illusions, reprit Marie-Angéline. Nous sommes inoubliable, mais ce sera peut-être amusant de voir sa tête ?
— Elle a raison, Tante Amélie : vous êtes sublime, fit Aldo, sincère, en contemplant la longue robe de chantilly gris perle habillant avec élégance une silhouette restée mince en dépit de l’âge sur laquelle scintillaient un collier « de chien », des bracelets et des girandoles en diamants. Je me demande même s’il est très prudent de transporter des bijoux de cette qualité aux confins du désert.
— Pour un expert, tu me surprends, mon garçon ! Ou alors ta vue baisse. C’est du toc bien sûr ! Les originaux dorment en sécurité à Paris.
— Je préfère ! Bon, il est temps de descendre !
— Encore une minute ! le retint Marie-Angéline. Étant donné que, la première émotion passée, Adalbert va être le centre de la conversation, je voudrais qu’on évite de mentionner l’idée qui m’est venue : la seule piste dont nous disposions pour retrouver notre ami, c’est ce gamin qui a porté la lettre. C’est par lui qu’il faut commencer.
— Je ne vois pas pourquoi nous le tairions à Henri Lassalle ? On en a déjà parlé.
— Et qu’est-ce qu’il en pense ?
— Que ce sera à peu près aussi facile que chercher un grain de sable dans le désert !
— Ben voyons !
Il fut impossible d’obtenir qu’elle s’explique davantage. D’ailleurs on n’en avait plus le temps. L’entrée du salon où l’on se réunissait quand on avait des invités était devant eux. Henri Lassalle aussi, sanglé dans un impeccable smoking du même blanc que ses cheveux. Voyant venir Morosini escortant deux dames dont il tenait la plus âgée par le bras, il s’inclina et ce fut à cet instant qu’il les reconnut car il rougit :
— Là ! chuchota Plan-Crépin. Je savais bien que « nous étions inoubliable ». Il nous a reçue en pleine figure !
Pourtant, le vieux monsieur fit montre d’un fair-play élégant en allant au-devant d’elles :
— Je crains, mon cher Aldo, que vous n’ayez joué à votre tante un bien mauvais tour en m’invitant à dîner avec elle. Ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons et j’ai peur d’avoir laissé un souvenir désagréable ! Mais comment imaginer que Mme la marquise de Sommières tant vantée par Adalbert puisse être mon adversaire victorieuse de Monte-Carlo ? Vous me voyez confus, Madame.
— Ne le soyez pas plus longtemps. Les casinos ont ce curieux privilège de mettre les joueurs sur les nerfs et de les faire réagir de façon tout à fait inhabituelle. Ce même phénomène se produit, paraît-il, quand on conduit une automobile… Cela dit, Monsieur, oublions tout cela ! Nous sommes réunis au nom de ce cher Adalbert. Aussi soyez le bienvenu ! conclut-elle en souriant et en lui tendant une main sur laquelle il s’inclina.
— Quel bel échange de discours ! souffla l’incorrigible Marie-Angéline. On se croirait à une réception de l’Académie française !… Ouf !
Aldo venait de lui décocher dans les côtes un coup de coude sournois qui passa inaperçu car, la paix se trouvant ainsi signée, on se rendit à la salle à manger où le maître d’hôtel les guida vers une table ronde fleurie d’œillets roses. La lecture du menu, les commandes et le bref entretien d’Aldo avec le sommelier occupèrent les premières minutes, après quoi on entra sans attendre dans le vif d’un sujet trop présent à l’esprit des convives pour laisser place aux banalités rituelles dans la bonne société.
— Mon neveu a dû vous raconter sa visite à cette demoiselle Hayoun. Qu’en pensez-vous, Monsieur Lassalle ? entama la marquise. Ne l’ayant jamais vue, je ne peux me faire une opinion.
— Elle est extrêmement belle : imaginez Néfertiti avec les yeux d’une princesse nordique : des lacs bleutés si clairs qu’ils en semblent transparents. En réalité ils sont insondables, mais je ne sais si mon jugement peut être valable. Je l’ai vue pour la première fois le jour des funérailles d’Ibrahim Bey. Le billet qu’a reçu Adalbert ne pouvait venir que d’elle. Je le connais depuis l’enfance et si vous aviez vu son visage en le lisant ! Il est parti sur-le-champ !
— J’ai oublié de vous demander un détail.
— Quoi donc ?
— Le mystérieux gamin est-il venu avec un véhicule ou bien Adalbert vous a-t-il emprunté une voiture ? Le vieux château est assez éloigné…
— C’est vrai pourtant… et je n’y ai même pas pensé. L’enfant était à pied et il s’est contenté de le suivre.
— Alors on a deux hypothèses : soit un véhicule quelconque l’attendait à un endroit quelconque, soit le rendez-vous qu’on lui donnait était en ville ou à peu de distance… Savez-vous où se trouve la maison de la princesse Shakiar ?
— Dans l’île Éléphantine, mais elle ne lui appartient pas. C’est la propriété de sa famille, donc de son frère. C’est le berceau des Assouari qui se prétendent les descendants des princes de l’île dont on peut voir les tombeaux sur la rive gauche du Nil. Vous pensez qu’elle aurait pu l’y attendre ?
— C’est ce qui me paraît le plus logique. On peut supposer aussi qu’elle n’a pas menti, qu’elle n’avait pas écrit cette lettre…
— Ça, coupa Marie-Angéline, vous ne me le ferez pas croire. S’il a travaillé plusieurs mois avec cette fille, il serait étonnant qu’Adalbert ne connaisse pas son écriture ? Et puis même : pourquoi n’aurait-elle pas mis sa plume au service d’amis qui paraissent lui être chers ? Elle a trahi Adalbert une fois, alors pourquoi pas deux ? C’est le premier pas qui coûte et, pour ce que nous en savons, cet Ali Assouari donne l’impression d’être non seulement le chef de famille mais manifestement celui de la bande qui est cause de tous vos problèmes.
— Vous pensez qu’Adalbert pourrait être retenu dans cette demeure ? demanda Aldo.
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