— Une perquisition, Sir ! Nous avons reçu une plainte un peu avant six heures !
— Qui l’a déposée ?
— Je l’ignore mais elle existe. Aussi, laissez-nous accomplir notre travail !
— Que cherchez-vous ?
— On vous le dira quand on l’aura trouvé !
— Alors un conseil : commencez par sortir tous les meubles sur la terrasse, sinon vous ne viendrez jamais à bout du bazar que les visiteurs ont laissé cette nuit dans ces chambres. Ce qui aura au moins l’avantage de nous permettre de faire le ménage après votre passage. Quant à moi, je prends mon petit déjeuner et je vais chez le gouverneur dire ce que je pense de cet envahissement intempestif. Ah, Messieurs ! s’exclama-t-il en voyant paraître ses invités. Passons à table et laissons ces gens se livrer à leur vilaine besogne. Comment va votre tête, Morosini ?
— Mieux, merci ! Mais que cherchent-ils ?
— Du vent, peut-être ? Nous verrons bien s’ils le trouvent.
Sans autre commentaire, Aldo et Adalbert échangèrent un regard tandis que la table, au préalable servie sur la terrasse, était rapportée sous la colonnade. Trois ou quatre ans plus tôt, aux Indes, ils avaient subi le même scénario : une chambre mise à sac, mais pas pour y prendre quelque chose. Tout au contraire : pour y apporter un objet dont ils se doutaient un peu de ce qu’il pouvait être.
Et, en effet, ils en étaient à leur troisième tasse de café et, pour Adalbert, à sa cinquième brioche, quand l’officier reparut, l’air plus rogue encore qu’à son arrivée :
— Sir, dit-il s’adressant intentionnellement à M. Lassalle, nous avons trouvé ce que nous cherchions et j’ai le regret de vous apprendre que vos deux compagnons vont devoir me suivre.
Aldo et Adalbert étaient déjà debout, réclamant d’une même voix le temps de se changer, ce qui leur fut accordé, mais sous la surveillance d’un homme armé pour chacun, ce qui ne leur permit pas d’échanger le moindre mot. Leur hôte, lui, avait disparu dans les profondeurs de la maison en réclamant sa voiture à grands cris, après avoir averti le policier qu’il entendait se charger personnellement du transport de ses amis qu’il n’était pas question de promener à travers la ville encadrés de flics et, pendant qu’on y était, menottés. En raison de sa notoriété… et de ses relations, des ordres avaient été donnés pour qu’on le ménageât au maximum.
Une demi-heure plus tard, la confortable Delage du Français, conduite par son chauffeur, déposait ses passagers devant le Police Office d’Assouan. Pas autrement inquiet, Aldo se demandait seulement quel genre de policier il allait affronter. Depuis qu’avec Adalbert il avait entrepris la traque de joyaux aussi augustes que maléfiques, il en avait rencontré de tout acabit, depuis un Turc obtus, un taureau espagnol atrabilaire, un Versaillais qui, l’ayant pris en grippe dès le départ, s’obstinait à voir en lui un émule de Casanova pervers, jusqu’aux représentants les plus éminents de la profession : le chef de la Police métropolitaine de New York Phil Anderson, le commissaire divisionnaire Langlois de la Sûreté et le Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard. Les deux derniers étant d’ailleurs devenus des amis. La référence à l’Anglais, surtout, pouvait se révéler sans prix dans un pays où la Grande-Bretagne faisait ce qu’elle voulait.
Avec Abdul Aziz Keitoun, chef de la police d’Assouan, il allait découvrir un nouveau style, si l’on peut dire. Aussi gras qu’un sumotori japonais, il entretenait sa circonférence, déjà difficilement contenue par l’uniforme, en croquant des pistaches dont il avait un plein saladier sur le coin du vaste bureau veuf de tout papier et dont c’était le seul ornement, mis à part un sous-main noir, un stylo, un téléphone et le bout du tuyau d’un narghilé posé sur une petite fourche. De sa main libre, il tenait un chapelet d’ambre. À l’entrée de son subordonné et de ceux qu’il ramenait, il cessa de mâchouiller et entrouvrit des yeux qu’il tenait jusque-là mi-clos, se contentant d’écouter en opinant de temps en temps du chef le rapport volubile de l’officier. Lequel rapport s’acheva en un geste triomphant posant les perles de Saladin sur le sous-main. Keitoun y porta aussitôt celle réservée aux pistaches :
— Beau travail ! apprécia-t-il avant de s’adresser aux prétendus coupables. Qu’avez-vous à dire, Messieurs ? Je crois que la cause est entendue.
Il parlait un anglais surprenant, soyeux, aux intonations chantantes, auprès duquel celui d’Henri Lassalle parut semé de cailloux. Il est vrai qu’il était en colère :
— Ah, vous trouvez ? Votre sous-fifre a seulement oublié de vous signaler, capitaine, qu’il a effectué une perquisition dans des chambres bouleversées de fond en comble par des visiteurs nocturnes qui les ont mises à sac après avoir assommé un de mes amis.
— Qu’est-ce qu’il faisait là ? N’étiez-vous pas à la fête de Sa Hautesse le gouverneur ? émit-il avec plus de majesté que de logique.
— J’y étais, en effet, et M. Vidal-Pellicorne, l’archéologue bien connu, m’accompagnait, mais le prince Morosini (et il appuya lourdement sur le titre) était fatigué et a préféré ne pas s’y rendre. Il se tenait sur la terrasse où il avait dîné et profitait de la douceur de la nuit, quand il a été sauvagement agressé, assommé pour être plus exact, et n’a repris conscience qu’à notre retour.
— Vers quelle heure, ce retour ?
— Une heure et demie du matin environ.
— Pourquoi si tôt ? La fête s’est achevée vers quatre heures.
— Parce que, le concert terminé, nous ne voyions plus l’intérêt de rester. À mon âge, je ne danse plus…
— Et moi, j’avais sommeil ! renchérit Adalbert. Mais en trouvant mon ami Morosini inanimé, l’envie m’en est passée. C’est heureux d’ailleurs, parce que ma chambre comme la sienne étaient inhabitables.
— Vous ne vous êtes pas couché, alors ?
— Si. Dans une autre. Il y en a plusieurs chez M. Lassalle.
— Bien sûr, bien sûr ! Ainsi vos chambres avaient été… fouillées sans précaution ?
— C’est le moins qu’on puisse dire. Qu’une tornade soit passée dessus serait plus approprié…
— Alors comment expliquez-vous cette babiole ? demanda le gros homme en accrochant le collier au bout de deux doigts. En général, quand on fouille un endroit, c’est pour y trouver quelque chose ? Non ?
— Ou pour y déposer quelque chose avec l’assurance que la police – qu’il est normal d’alerter en pareil cas – ne manquera pas de le trouver, intervint Aldo que ce dialogue commençait à énerver passablement.
— Pourtant vous ne nous avez pas appelés… alors qu’au même moment une plainte était déposée contre vous pour vol de ce collier.
— Déposée par qui ?
— La pr… Ça ne vous vous regarde pas !
— Ah non ? Alors je vais vous le dire : la princesse Shakiar qui m’a fait venir de chez moi – vous savez, ou vous ne savez pas, que je suis expert en joyaux anciens ? – dans l’intention de me vendre ce collier…
Ce disant, Aldo fixait le bijou et, d’un geste brusque, il le retira des mains de Keitoun pour le voir de plus près :
— Pas celui-là, en tout cas, car je peux vous certifier que c’est un faux !
— Un faux ? Vous dites n’importe quoi !
— Oh, que non ! Je vous répète que je suis expert et je suppose que, dans cette ville, il existe au moins un bijoutier capable de distinguer une copie d’un original par ailleurs célèbre puisqu’il s’agit des perles de l’illustre Saladin !
— La princesse vous aurait fait venir pour vous vendre une imitation ?
— Le collier que j’ai eu entre les mains n’en était pas une. C’est pourquoi j’ai refusé de l’acheter ou de me charger de lui trouver un acquéreur fortuné.
— Pourquoi, puisque c’est votre métier ?
— Mais parce que je suis honnête, capitaine, et que ces perles sont universellement connues pour appartenir depuis des siècles à la Couronne égyptienne et que, sans l’aval de Sa Majesté le roi Fouad, il m’était impossible de les faire sortir d’Égypte. Or, quand j’ai demandé à la princesse de m’obtenir cet aval, elle n’a pas accepté. Et comme je m’en tenais à ma position, elle m’a proposé quelques jours de réflexion afin de voir comment elle pourrait s’arranger. J’ai même dû décliner son invitation à déjeuner parce que je quittais Le Caire pour me rendre à Louqsor.
— Qu’est-ce que vous alliez faire à Louqsor ?
Aldo prit une profonde respiration pour juguler l’exaspération qu’il sentait venir. Il fallait absolument rester au moins courtois :
— Rejoindre mon ami Vidal-Pellicorne. C’est la première fois que je viens dans ce beau pays et il m’a proposé de me guider pour visiter les sites les plus importants. Aller au Caire et en repartir sans avoir rien vu serait plus que dommage, non ?
— C’est un peu facile, comme défense ?
— Défense contre quoi ? s’insurgea Lassalle. D’abord l’accusation de vol ne tient pas dans de telles circonstances – un avocat vous le dirait ! –, et venant de la princesse Shakiar, c’est tout bonnement délirant. Cette femme est folle !
— Prenez garde à vos paroles ! grogna Keitoun. Elle appartient à la famille royale et…
— … et le prince Morosini au Gotha européen. Voulez-vous que je vous le fasse dire par l’ambassadeur de France ? Je le connais personnellement…
— … ou mieux encore, renchérit Adalbert, par le Superintendant Warren de Scotland Yard qui est de nos amis ? Demandez-lui donc ce qu’il pense de votre petite histoire…
Cette fois, le coup porta. D’autant plus qu’à cet instant le colonel Sargent, botté et un stick sous le bras, effectuait une entrée d’habitué. Or, il avait entendu la réplique d’Adalbert :
— Et moi, je le connais encore mieux : c’est mon beau-frère. Ravi de vous revoir, Messieurs ! continua-t-il en tendant une main cordiale à chacun des deux hommes. Quoique le lieu ne me paraisse guère adéquat. Est-il indiscret de vous demander la raison de votre présence ?
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