Pour l’instant on en était encore là et, sans attendre que l’on soit assis, Adalbert demanda :
— Où est-il ? À Chinon, je suppose ?
— Sinon, qu’est-ce que je viendrais faire ici ? Pour préciser, je dirais dans une ancienne habitation troglodyte dont l’entrée a été bouchée et qui n’ouvre plus sur l’extérieur que par une espèce de soupirail…
— Pourquoi a-t-elle été bouchée ?
— Oh ! Ça a dû être maçonné il y a deux ou trois siècles et sans doute par les châtelains de la Croix-Haute qui ont probablement jugé utile de la convertir en prison. De plus le château n’a pas été bâti dessus mais il n’en est pas loin.
— Et comment l’avez-vous découverte, professeur ?
— Je reconnais que c’est un coup de chance parce que, si je lis les journaux comme le commun des mortels, je n’imaginais pas un instant que Morosini pût être dans mon coin. Mais je vous explique ! Depuis quelque temps, dans le cadre de mes travaux sur la civilisation… celtique, j’effectuais des recherches dans le but de retrouver une salle souterraine servant autrefois au culte secret des… et dont j’étais persuadé qu’elle existait. Peut-être même était-elle reliée aux souterrains de la Croix-Haute. Le hasard m’a servi, car j’avais repéré une entrée cachée dans un amas de roches à la lisière de la forêt. La nuit dernière, je me suis lancé dans l’aventure…
— Tout seul ? interrogea Marie-Angéline.
— Bien entendu ! Tant qu’on n’a pas de certitude, la solitude est toujours préférable dans ces cas-là ! Quoi qu’il en soit, j’ai pu explorer, après un petit travail de déblaiement, une galerie tournante tout à fait intéressante, présentant même certains dessins qui m’ont fait comprendre que j’étais sur la bonne voie… À la lumière de ma torche…
— Une torche ? Au XXe siècle ? le coupa à nouveau l’incorrigible. Vous ne connaissez pas les lampes électriques ?
— Plan-Crépin ! reprit la marquise. Essayez de vous taire un moment !
— Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Les torches possèdent des vertus évocatrices…
— Professeur ! plaida Adalbert à son tour. Ayez pitié de nous ! La galerie d’abord…
— J’y reviens ! Je m’affairais à examiner un dessin extrêmement curieux qui… (il était parti pour le décrire, quand un coup d’œil furieux de Mme de Sommières coupa court à la conférence !)… quand je me suis entendu appeler par mon nom et à plusieurs reprises. Guidé par le son, j’ai découvert dans la muraille une fissure assez longue mais qui allait en se rétrécissant de l’extérieur vers l’intérieur. C’est ainsi que Morosini pouvait me voir nettement alors que, moi, je ne voyais rien du tout. Il était fort surpris d’ailleurs, parce qu’il ignorait totalement où il se trouvait. C’est là qu’il m’a appris qu’après avoir été enlevé à Paris on l’enfermait dans cette espèce de tombeau depuis plusieurs semaines.
— Qu’avez-vous fait ?
— Le jour allait venir bientôt et nous sommes convenus d’agir la nuit prochaine avec le matériel nécessaire pour pratiquer une ouverture dans la paroi…
— Et pourquoi ne pas prévenir la police ? s’étonna Plan-Crépin.
— Ce serait du temps gâché, ça laisserait aux ravisseurs le loisir de déménager leur prisonnier… et puis le commissaire Desjardins est en train de marier sa fille à Nantes et j’ai peu d’estime pour les lumières intellectuelles de Savarin. J’ai donc pensé à vous, Adalbert. Seulement votre téléphone ne marchait pas. Il ne me restait plus qu’à sauter dans le train de 6 heures… Cela posé, si nous voulons être à pied d’œuvre ce soir, il vaudrait mieux ne pas s’éterniser dans les délices de cette maison. Nous avons un train à 16 heures et…
— Jamais de la vie ! fit Adalbert. On y va en voiture ! La mienne fait presque autant de bruit que la vôtre mais elle va plus vite !
— Dites que vous allez ameuter tout Chinon, protesta la marquise, et pour une expédition qui se veut discrète !… Vous seriez mieux inspiré de louer un bolide moins sonore au garage d’Aldo ! Et plus confortable ! Je me demande de quoi aura l’air ce pauvre Hubert quand vous l’aurez fait sauter comme une crêpe durant quelque deux cent cinquante kilomètres !
— Et moi, émit Plan-Crépin prête à pleurer, je ne fais rien ?
— Que si ! Vous avez le courrier à dépouiller, des lettres à écrire… et un coup de téléphone à donner !
— À qui ?
— Mais au commissaire principal Langlois, ma fille ! Vous ne croyez pas qu’il serait bon de lui communiquer les dernières nouvelles ? Même si, dans l’état actuel des choses, on ne peut accuser les occupants de ce fichu château, je suis certaine qu’il serait plutôt content, non ? Surtout si vous lui indiquez l’adresse et le numéro de téléphone du professeur ! Et ce qui se prépare !
— J’y cours !
Deux heures plus tard, les deux hommes quittaient la rue Alfred-de-Vigny après avoir répondu pendant un moment à Langlois qui les avait priés de l’attendre. Ce qui avait fait trépigner le professeur.
— On perd du temps ! répétait-il.
En fait, on en perdit beaucoup moins que si l’on s’était rendu Quai des Orfèvres parce que la sirène de police qui précédait le commissaire avait déblayé les rues jusqu’à ce que l’on fût en vue du parc Monceau. Et il ne resta pas longtemps : juste ce qu’il fallait pour extraire du professeur un maximum de renseignements. Après quoi, il leur souhaita « bon voyage ». De son côté, Adalbert ronchonnait, déçu de n’avoir pu obtenir du garage des Ternes la grosse Delage qu’Aldo avait coutume de louer, et il dut se contenter d’une Renault presque neuve, pas tout à fait aussi rapide mais remarquablement silencieuse. Ceci compensant cela, il finit par en prendre son parti en écoutant d’une oreille distraite le cours magistral sur les vestiges celtes au confluent de la Loire et de la Vienne. Il n’en était pas moins au bord de la crise de nerfs quand on entra dans Chinon un peu après 9 heures du soir : pour comble du bonheur, l’un des pneus neufs avait crevé et il avait été obligé de changer la roue.
— Il y a des jours comme ça où tout va de travers, lui confia son compagnon d’aventure en guise de consolation. Et demain est un autre jour !
Adalbert préféra ne pas palabrer. Il avait hâte d’être à pied d’œuvre.
— Mais, au fond, pourquoi n’avez-vous pas appelé vos amis qui s’étaient si bien occupés de Michel Berthier ? Avec des pioches, vous élargissiez la faille et…
— Le temps que je les réunisse et il était déjà trop tard. La nuit était avancée quand je l’ai entendu à travers le mur. En outre, nos… croyances sont hostiles à la violence, même envers certains lieux. Mais rassurez-vous, quelqu’un nous attend là-haut muni des outils adéquats. En revanche, nous allons prendre des armes.
— Moi, j’ai ce qu’il faut mais vous ? Où comptez-vous en trouver ?
— Chez moi, bien sûr !
— Je vous croyais plus druide que tous les autres et à part la faucille d’or…
— On peut être druide et collectionneur ! Et puis j’ai fait la guerre, mon garçon ! Là-dessus, on mange un morceau et on va rejoindre Sulpice !
Le temps de faire disparaître une terrine de rillettes arrosée de saumur-champigny et d’opérer un choix dans le véritable arsenal des armes – certaines fort anciennes, il fallait en convenir ! – du professeur et l’on repartait en direction de la forêt.
Bien que les hivers soient doux en Touraine, la nuit de janvier était plus que fraîche. En outre, il n’y avait pas de lune. Il fallait posséder une vue de rapace nocturne pour s’y retrouver et c’était apparemment le cas du professeur, car s’étant installé d’autorité au volant, il les dirigea vers la forêt et piqua des deux sans ralentir… et sans allumer les phares. Adalbert regardait défiler les arbres dénudés en se demandant lequel allait avoir l’honneur de les recevoir et fermait les yeux de temps en temps, mais en une vingtaine de minutes, on fut sur les lieux. Justement dans l’étroite clairière où l’on avait recueilli Michel Berthier quelques mois auparavant.
Se trouvait là, assis sur le banc de pierre, un fac-similé d’homme des cavernes : barbu, chevelu au point que l’on ne distinguait aucun trait de son visage et qui, en se dépliant, dépassa les deux arrivants d’une bonne demi-tête. Il ne lui manquait qu’une tunique en peau de bête et une massue pour ressembler totalement à son lointain ancêtre.
— Voilà Sulpice ! présenta sobrement le professeur. Tu as repéré l’endroit ? lui demanda-t-il.
— C’était facile. Vous avez clairement expliqué… La trappe s’est soulevée presque toute seule…
— Moi, j’ai eu plus de mal que toi la nuit dernière. Il est vrai que je n’ai ni ton âge ni ta force.
— Tout de même, je trouve que vous vous défendez pas mal pour v… un monsieur distingué. Les torches sont en bas : on les allumera une fois la trappe refermée.
Les torches à présent ! Adalbert se demanda s’il n’avait pas reculé de plusieurs siècles. Aussi, avant de s’enfoncer dans les entrailles de la terre, déclencha-t-il sa lampe électrique qu’il portait à la ceinture, éclairant ainsi les marches sous les pieds du professeur qui descendait en premier, Sulpice venant ensuite. Pour Adalbert, sa présence avait un effet rassurant car, bien qu’il n’eût rien à reprocher à sa propre force, celle de l’unique descendant des Combeau-Roquelaure, long comme un jour sans pain et maigre comme un clou, lui inspirait quelques doutes dès l’instant où il s’agissait de s’attaquer à un bloc de roche.
— Pardonnez ma curiosité, Monsieur Sulpice, mais que faites-vous dans la vie ?
Le professeur répondit pour lui :
— Il est tailleur de pierre ! Peut-être le meilleur du pays… seulement il n’est pas bavard pour un sou.
— Beau métier ! apprécia Adalbert. S’ils le pratiquent de père en fils dans la famille, il descend de ceux qui ont bâti les cathédrales !
"La Chimère d’or des Borgia" отзывы
Отзывы читателей о книге "La Chimère d’or des Borgia". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La Chimère d’or des Borgia" друзьям в соцсетях.