— Attention !

Elle leva les yeux. Alors de ses deux poings réunis il l’assomma, la retint avant qu’elle ne s’écroule, puis la chargea sur son épaule pour l’emporter.

— Tâchez de vous grouiller ! lâcha-t-il en disparaissant.

Le conseil était superflu… Déjà Aldo se relevait et se hâtait de délivrer sa femme toujours inconsciente, tandis que Wishbone s’occupait de Pauline qui, elle, n’avait pas un instant perdu son calme : elle priait… Elle sourit à Aldo.

— Mon pauvre ami, je crains fort d’avoir été votre mauvais génie !

— Ne croyez pas cela ! En outre, il ne faut jamais regretter ce qui vous a apporté ne serait-ce qu’une minute de bonheur !

— Vous discuterez plus tard ! grogna Wishbone. Il faut filer ! Prenez mon bras, belle dame ! fit-il avec une galanterie complètement surréaliste dans leur situation.

Surréaliste aussi, l’apparition soudaine du professeur apparemment surgi d’un mur… une torche à la main.

— Foutez le camp ! lui hurla Aldo. Essence ! Vous allez cramer !

Puis s’adressant à Wishbone :

— Vous connaissez le château ! Guidez-nous ! Il faut qu’on parte d’ici !

— Le grand escalier n’est pas loin ! Reste à savoir ce qu’on trouvera en bas !

L’enfer, en effet, semblait s’être déchaîné à l’extérieur où, après les sommations d’usage, on avait apparemment entrepris l’assaut du château dans le meilleur style médiéval : attelés à un madrier emprunté au charpentier du village, une douzaine de gendarmes s’activaient à enfoncer le portail, couverts par les armes de leurs camarades et les fusils de chasse du maire, et de quelques-uns de ses administrés accourus avec empressement à la rescousse. Le château que certains de ses occupants essayaient de défendre résonnait comme un tambour sous le choc du bélier improvisé et des coups de feu qu’on échangeait.

C’est alors qu’atteinte par la mitraille une fenêtre de la salle d’honneur vola en éclats, créant un courant d’air. Deux des bougies rouges tombèrent. Les flammes jaillirent aussitôt. À ce moment, les fugitifs atteignaient l’escalier, une large vis de pierre à claire-voie mais noire comme un puits.

— Qu’y a-t-il en bas ? demanda Aldo. Un vestibule, je présume ?

— Et un grand ! Tout à l’heure c’était éclairé… Je ne comprends pas… Si on n’entendait pas le vacarme des armes, on pourrait croire qu’il n’y a plus personne !

— Et les autres, les « Borgia », où sont-ils passés ?

— Ils ont dû gagner les souterrains. On m’a dit qu’ils forment un véritable réseau, mais quant à me confier l’endroit où ils ouvrent, ils s’en sont bien gardés. Je me suis cru leur invité mais je comprends à présent que j’étais surtout leur prisonnier !

— L’important est que vous ayez compris à temps… même si vous y laissez des plumes douloureuses et vos illusions ! On essaie de descendre ? Qu’en pensez-vous ?

— Que c’est la seule solution… En bas, il y a l’électricité… mais on devrait d’abord essayer de ranimer la princesse. Si on vous canarde, vous serez en première ligne… J’ai ce qu’il faut, ajouta-t-il en tirant d’une poche une fiasque d’argent plate qui fit sourire Aldo.

Doucement, il posa sa femme sur le dallage où Pauline s’agenouillait déjà pour lui soutenir le buste.

— Je ne serai qu’un coussin : elle ne me verra pas, dit-elle.

— Vous avez toutes les délicatesses, ma chère…

— Quelle femme ! approuva Wishbone, les yeux au plafond.

Il les baissa pour se pencher sur Lisa et lui introduire délicatement le goulot entre les lèvres, tandis qu’Aldo lui tapotait les joues. L’effet fut presque immédiat, en tous points conforme à l’habitude. Lisa toussota d’abord, puis entrouvrit la bouche pour boire une gorgée et finalement ouvrit les yeux tandis que ses joues reprenaient de la couleur. Elle devint même rouge en reconnaissant son époux et eut un geste pour le repousser.

— Laisse-moi ! Je ne veux plus te voir !

Elle tendit une main dans le vide pour qu’on l’aide à se relever. Ce fut Wishbone qui la prit et, une fois debout, la soutint.

— Comment vous sentez-vous ?

— Mieux, merci ! Emmenez-moi hors d’ici !

Le regard plein de compassion du Texan alla chercher celui d’Aldo qui eut un geste d’impuissance navrée…

— Venez, invita-t-il doucement. Nous allons sortir ensemble…

Précédés d’Aldo et suivis par Pauline que Lisa avait superbement ignorée, ils commencèrent à descendre lentement l’escalier, la main de Lisa posée sur la rampe, en s’efforçant de faire le moins de bruit possible.

Mais soudain la rumeur enfla au-dehors. Quelqu’un cria « Au feu ! » cependant que dans le vestibule le mince pinceau lumineux d’une lampe de poche cheminait.

— Nous y sommes ! émit la voix satisfaite du professeur. Ce boyau ne pouvait aboutir qu’à cet endroit !

— Adalbert ! exulta Aldo en dévalant les marches.

Un instant plus tard, ils tombaient dans les bras l’un de l’autre et s’étreignaient en se tapant mutuellement dans le dos avec un enthousiasme traduisant bien la joie qu’ils éprouvaient à se retrouver.

— Ça ne te vaut rien de courir les aventures sans moi, fit l’un.

— À qui la faute ? répondit l’autre. Vieille branche !

Et de se réembrasser, heureux comme des gamins. La voix distinguée du sous-préfet – le vestibule s’emplissait ! – coupa court à leurs effusions.

— Désolé de vous interrompre, Messieurs ! Où sont les habitants du château ? On n’entend plus rien.

— Je crois que la maisonnée a décampé. C’est troué comme un gruyère là-dessous… et je vous signale que là-haut, ça brûle !

— Je sais ! Les pompiers vont arriver mais…

Une première explosion lui coupa la parole. Puis une autre… et une troisième !

— Qu’est-ce que c’est que ça ? On dirait… des bombes !

— Ces faillis chiens ont dû disposer des explosifs avant de filer ! brama le professeur. Tout le monde dehors !… Et le plus loin possible !

On s’y rua.

L’extérieur, éclairé par les phares et deux projecteurs apportés par les gendarmes, ressemblait à un décor de cinéma avec, en toile de fond, les étages supérieurs et les combles du château livrés aux flammes.

— Quel dommage ! déplora Hubert de Combeau-Roquelaure qui semblait fasciné. Ces gens-là avaient dû programmer leur départ !… Une si noble demeure !

Le petit groupe formé par Wishbone soutenant toujours Lisa avec Pauline un peu en retrait regardait, lui aussi. Adalbert voulut s’en approcher pour saluer les femmes quand, en contrebas sur la route, un homme qui sortait d’un cabriolet appela :

— Lisa !

Elle poussa un cri de joie et, sans plus se soucier de qui que ce soit, se mit à courir vers lui. Il l’étreignit et la fit monter, puis démarra en marche arrière…

D’abord pétrifié, puis emporté par une soudaine fureur, Aldo s’élança…

C’est alors que le coup de feu l’atteignit et qu’il s’abattit sur l’herbe…


Saint-Mandé, le 1er avril 2011



1  Voir Le Boiteux de Varsovie, tome I.

2  Voir Le Boiteux de Varsovie, tomes III et IV.

3  Voir L'Anneau d'Atlantide.

4  Traditionnellement, les employés de la salle des ventes viennent de Savoie.

5  Voir L 'Opale de Sissi et Le Collier sacré de Montezuma.

6  Ornement de chapeau.

7  Voir La Perle de l'Empereur.


8  Voir Le Collier sacré de Montezuma.

9  Voir Les Larmes de Marie-Antoinette.

10  Voir Le Collier sacré de Montezuma.

11  Voir Les Larmes de Marie-Antoinette.

12  Chapeaux hauts de forme en soie que l'on pouvait aplatir.


13  Les premiers rangs d'orchestre étaient réservés aux messieurs non accompagnés et tous en habit.


14  Le Simplon-Orient-Express partait de Calais, arrivait en gare du Nord puis gagnait la gare de Lyon pour y charger les voyageurs de Paris.

15  Lorsqu'on achetait une Rolls-Royce, la maison fournissait aussi le chauffeur afin d'être certaine que la précieuse voiture ne tomberait pas entre des mains indignes.


16  Voir La Perle de l'Empereur.