Car, à peine Marie fut-elle entrée dans la maison d’Autun où résidait son époux que la vie devint pour elle un enfer. Du Hamel se montrait d’une avarice sordide et d’une jalousie de maniaque. Marie, soumise à l’incessant espionnage de ses gens vivait enfermée, mal nourrie, privée de tout ce qui peut rendre la vie agréable à une jeune femme. La naissance d’une petite fille qui vint neuf mois après le mariage n’arrangea rien. Le mari voulait un fils et rendit sa femme responsable de ce qu’il considérait comme une offense. En outre, ce qui est plus grave encore, il prêta l’oreille à certains commérages touchant la nature réelle des sentiments que Marie nourrissait envers son frère.
– D’où tenait-il cela ?
– Allez savoir ? Une servante renvoyée, un valet acheté ou encore un témoin de ces longues promenades que les deux malheureux enfants faisaient trop souvent seuls. Toujours est-il que, dès lors, Regnault du Hamel ne ménagea plus à sa femme les injures et les mauvais traitements. Battue, méprisée, honnie, Marie résista de son mieux mais, quand du Hamel mit le comble à sa méchanceté en lui enlevant sa fille, le courage l’abandonna. A quelques lieues de sa prison, il y avait la maison de son enfance et le toit qui avait abrité son trop court bonheur. Une nuit, profitant d’une brève absence de son bourreau, Marie réussit à s’enfuir avec l’aide d’une jeune servante qui l’avait prise en pitié. Elle courut d’une traite jusque chez ses parents, avide d’un refuge dont son corps meurtri et couvert de vilaines taches bleues ne proclamait que trop le besoin. Elle ignorait que Jean, inquiet d’être sans nouvelles de sa sœur depuis des mois, venait lui aussi d’arriver. Et tout de suite on fut en plein drame.
En se retrouvant, les deux jeunes gens retrouvèrent aussi intact et même renforcé ce sentiment monstrueux qui les poussait l’un vers l’autre et les Brévailles eurent peur. Avec des prières, puis des menaces, ils tentèrent de persuader Marie de retourner chez son époux. Madeleine de Brévailles avait le cœur navré devant les souffrances qu’endurait sa fille mais du Hamel était son époux : il avait sur elle tous les droits et nul n’y pouvait rien.
Jean, lui, batailla pour sa sœur. Il fallut le retenir de force et l’empêcher de courir à Autun pour y tuer l’odieux mari. De toute façon, il s’opposait formellement à ce que Marie retournât au logis conjugal, et les parents ne surent plus que faire : Marie menaçait de se tuer si on la renvoyait. C’est à ce moment qu’arriva une lettre de Regnault. Lettre violente et agressive s’il en fut. L’affreux personnage y accusait formellement Marie de relations incestueuses avec son frère et annonçait qu’il allait déposer une plainte auprès de la justice ducale. Cette fois, Jean et Marie prirent peur et, souhaitant mettre le plus de distance possible entre eux et leur ennemi, craignant par ailleurs d’attirer de graves ennuis à leurs parents, ils s’enfuirent. Alors que la sagesse eût voulu qu’ils tirent chacun de son côté : lui pour rejoindre le comte de Charolais qu’il avait quitté sans permission, elle pour s’enfermer dans quelque couvent éloigné, ils n’eurent pas le courage de se séparer ni de résister à leur passion. Ils gagnèrent Paris où, confiants dans la grandeur de cette ville, ils s’installèrent dans une auberge voisine du Louvre et y vécurent sous un faux nom comme mari et femme. J’ai le regret de dire qu’ils connurent là, dans leur inconscience, six mois de bonheur indicible...
– Il ne faut jamais regretter le bonheur, dit Francesco gravement. C’est chose trop rare !
– Même lorsqu’on le paie un tel prix ?
– Si c’est à leur mort que vous faites allusion, je crois que vous vous trompez. Je les ai vus. Ils semblaient aller vers le Paradis. Ils savaient qu’à présent plus rien ne pourrait les séparer. Ils allaient vers l’éternité...
– Sans doute, soupira le père Charruet, mais ce que vous ignorez c’est que ce bonheur ne tarda pas à annoncer un fruit. Cette nouvelle leur fit mesurer l’abîme qui se creusait entre eux et leur univers habituel. Avec la résolution de cette sorte d’âme, ils ne reculèrent pas devant les conséquences et se sentirent, au contraire, plus unis dans leur crime qu’ils ne l’avaient jamais été. Ils songeaient alors à gagner l’Angleterre afin de pouvoir y vivre au grand jour mais l’argent commençait à leur faire défaut... et puis, sans qu’ils s’en doutent, le destin apprêtait ses armes. Ils se croyaient bien cachés dans ce grand Paris et ils ignoraient encore qu’avec de l’or on arrive à tout. Regnault du Hamel, sa plainte déposée auprès de la justice ducale, en avait dépensé beaucoup en dépit de son avarice. Payés par lui, des espions relevèrent les traces des fugitifs puis s’assurèrent des complicités. Il ne pouvait être question, en effet, de les arrêter au grand jour puisqu’ils ne se trouvaient plus en Bourgogne. Du Hamel paya tout ce qu’il fallut et, une nuit, une troupe d’hommes masqués envahit l’auberge, en arracha les deux jeunes gens et les jetèrent dans une barge qui remonta la Seine jusqu’à un point où l’on trouva des chevaux. Après un voyage affreux au cours duquel Marie, enceinte, pensa mourir cent fois, les malheureux enfants furent ramenés ici où les attendaient, non seulement du Hamel triomphant mais encore la prison... En effet, cet homme ne voulait pas seulement la mort des coupables, il voulait aussi leur avilissement public, il voulait les voir enchaînés ensemble à un bûcher au milieu d’une foule à la joie brutale et insultante... Et, de fait, ils furent condamnés. Le mari s’était trouvé plus de témoins qu’il n’en fallait, une poignée de misérables qui contre un peu d’or vinrent jurer qu’ils avaient cent fois vu Jean et Marie se donner l’un à l’autre... D’ailleurs Marie attendait un enfant. Courageusement, dans l’espoir de sauver son frère, elle affirma bien s’être donnée à un amoureux de rencontre mais cela ne servit à rien. La sentence fut seulement ajournée jusqu’à la délivrance de la pauvre petite.
J’allai alors supplier Pierre de Brévailles de se rendre auprès de monseigneur le duc pour obtenir qu’au moins on leur laissât la vie et qu’on les enfermât seulement dans des couvents. Il refusa brutalement. Son orgueil était atteint, il se jugeait avili, déshonoré et je crois bien qu’il s’était mis à les haïr. Dame Madeleine, sa femme, avait joint ses prières aux miennes sans autre succès. Alors nous partîmes tous deux pour Bruxelles. Cette démarche que le père refusait, la mère y courait avec tout son amour intact.
A Lille, au sortir de la chapelle, elle alla se jeter aux genoux de monseigneur le duc qui lui tourna le dos sans vouloir l’entendre. Ce vieux bouc qui n’a cessé d’offenser Dieu par sa luxure effrénée aurait peut-être eu pitié de Marie si elle avait été sa maîtresse. Mais il n’eut que mépris pour cette mère douloureuse, jeta le prêtre dans une soudaine explosion de colère qui fit sursauter son auditeur.
– Qu’avez-vous dit, padre ? ...
Soudain rouge jusqu’à sa couronne de cheveux blancs, le père Charruet eut un timide sourire :
– Rien ! Pardonnez-moi, mon fils ! Je me suis laissé emporter par un reste de cette colère que j’ai éprouvée devant les larmes de dame Madeleine, laissée seule, à genoux au milieu d’une galerie somptueuse sous les regards moqueurs des courtisans. Je l’ai relevée et nous sommes sortis ensemble mais elle voulait encore tenter quelque chose : Jean avait longtemps servi le jeune comte de Charolais qui le traitait amicalement. Peut-être ce jeune prince que l’on disait de mœurs si pures se laisserait-il toucher par la pitié ? Jean disait souvent que son maître lui voulait du bien...
– Alors ?
– Cette fois, nous fûmes reçus mais l’espoir ne dura qu’un instant. Le comte Charles a en horreur la débauche qui règne à la Cour de son père et s’efforce de faire régner dans son entourage la dignité et la décence. En outre, c’est un prince plein d’orgueil et Jean a abandonné son service sans lui demander son congé. Nous l’avons trouvé fort sévère : « Les coupables de pareil crime ne méritent pardon ni miséricorde car ils ont péché à la fois contre la loi de Monseigneur Dieu et contre celle de la nature. La justice doit suivre son cours... » Les larmes d’une mère désespérée n’ont pu trouver le chemin de ce cœur cuirassé et tout ce que l’on a pu en obtenir fut que la sentence serait changée : l’abominable bûcher ferait place à la décapitation par l’épée, seule mort digne d’un gentilhomme. Vous en savez à présent autant que moi...
– Il manque encore quelque chose, padre ! La jeune femme était enceinte, avez-vous dit. A-t-elle pu mettre au monde son enfant ?
– Oui. Dans sa prison, il y a cinq jours, Marie a donné le jour à une petite fille que l’on a portée dès le lendemain à l’hôpital de la Charité où vont tous les enfants abandonnés.
– Abandonnés ? s’insurgea Francesco, mais cette pauvre petite n’a-t-elle pas des grands-parents ? Les Brévailles ne peuvent-ils s’en charger ? Il me semble qu’elle est doublement de leur sang ?
– Pour rien au monde messire Pierre ne voudrait de cette preuve sous son toit et dame Madeleine, qui s’est fait durement tancer à son retour des Flandres, n’a pas osé braver davantage la colère de son époux. Ce qu’elle cherche à obtenir, pour le moment, c’est qu’on lui confie l’enfant que Marie a donné à Regnault du Hamel.
– Et l’autre petite, alors ? Que va-t-elle devenir ?
Le vieux prêtre écarta deux mains dont le vide traduisait l’impuissance :
– Je n’en sais rien. Pourtant, avant de mourir, Marie m’a supplié de prendre soin de son enfant. Je ne sais quel va être son sort. Les dames de l’hôpital ne l’ont pas accueillie sans répugnance.
– Comment cela ?
– L’enfant née de l’inceste est un objet d’horreur, le produit d’une œuvre diabolique. Aucune nourrice n’a voulu s’en charger. On lui donne du lait de chèvre ; elle mourra sans doute bientôt si ce n’est déjà fait. Je pensais m’en charger mais quelle femme acceptera de m’aider ? J’habite à Brévailles et n’ai d’autre logis que...
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