- Et qui donc ?
- Le citoyen général Santerre! Il aime les femmes, ce qui n'est pas défendu, mais il les respecte. Alors, tu respectes ma nièce ou c'est à lui que tu auras affaire... Comme il vient tous les jours je n'aurai pas de mal à lui parler. Compris ?
Maugréant et pestant, mais maté, Marinot repartit sans ajouter un mot. Laura n'en était pas moins inquiète :
- Merci de m'avoir sauvée, ma chère Louise, mais il n'aura guère de peine à s'apercevoir que vous lui avez menti.
Occupée à essuyer son rouleau à pâtisserie aussi soigneusement que s'il était entré en contact avec des immondices, Louise, contente de son effet, sourit à son amie :
- Menti? Pas vraiment. Je le connais depuis longtemps grâce à un oncle qui était vigneron à Bagnolet et qui ne jurait que par la célèbre bière rouge de Santerre. Il était des plus fidèles clients de sa brasserie, A l'Hortensia, et aimait bien ce grand et brave garçon généreux et bon vivant dont la vanité est le plus grand défaut. Depuis la prise de la Bastille, il est le roi du faubourg Saint-Antoine, que sa prestance et sa grosse voix émerveillent. Et depuis qu'il commande la Garde nationale, il éclate d'orgueil. Vous avez pu le voir se pavaner dans ses uniformes un peu trop dorés et sous ses panaches tricolores, se laissant acclamer du haut de son cheval. Qu'il monte d'ailleurs fort bien, mais je sais que cela ne lui fait pas oublier ses vieux amis... Je n'ai rien à craindre de lui. Si Marinot se plaint, il sera mal reçu. Et je serais fort étonnée qu'il le fasse.
- Dieu vous entende ! Il n'empêche que j'ai peur de cet homme. S'il apprenait la vérité sur moi.... Vous seriez en danger autant que moi.
Le sourire de Louise s'effaça. Prenant entre ses mains le visage de sa jeune compagne, elle l'embrassa sur le front :
- A chaque jour surfit sa peine. Si cela arrivait nous aviserions...
Elle était inquiète, tout à coup, et s appliqua a le cacher. Laura n'avait pas tort : l'homme était venimeux. Peut-être faudrait-il en venir à prévenir Lepitre?...
CHAPITRE XII
LE RÉGICIDE
- Écoutez ça! dit Pitou en déployant un long papier. Voici ce que l'on a prévu pour conduire, demain, 11 décembre, le Roi à la Convention pour y comparaître devant ses juges : " On passera par la rue du Temple, les Boulevards, la rue Neuve-des-Capucines, la place Vendôme et la cour des Feuillants. Chaque section gardera deux cents hommes de réserve. Il y aura en outre deux cents hommes à chaque prison et à chaque place publique. Pour l'escorte chaque légion fournira huit pièces de canon... "
- Des canons? dit le jeune Lézardière, mais pour quoi faire ? Tirer sur les maisons ?
- Laissez-le continuer ! dit Batz. C'est très intéressant !
- "... de canon, reprit Pitou, quatre capitaines, quatre lieutenants, sous-lieutenants, cent hommes armés de fusils et munis chacun de seize cartouches, sachant bien manouvrer ce qui formera un corps de six cents hommes, lesquels, sur trois de hauteur, borderont la haie des deux côtés de la voiture. La gendarmerie fournira quarante-huit cavaliers sachant parfaitement manouvrer pour former l'avant-garde, la cavalerie de l'École militaire également quarante-huit cavaliers pour l'arrière-garde. Dans le jardin des Tuileries deux cents hommes de réserve ; la première réserve près du château sera de deux cents hommes d'infanterie, la seconde près le Pont-Tournant sera munie de huit canons fournis par les six légions et composée de huit canonniers, de quarante-huit fusiliers pour chaque légion et d'un caisson... Une troisième réserve sera composée du bataillon des piquiers et sera placée dans la cour des Tuileries. Les ordres qui défendent de tirer à aucune arme à feu seront exécutés strictement. Chaque légion fournira huit canonniers et huit fusiliers pour l'escorte des canons... " Voilà, c'est tout! Qu'en dites-vous?
- Que ces gens-là meurent de peur, soupira Devaux. Mais de quoi? De la poignée de gentilshommes qui sont encore ici?
- Non. Du peuple ! dit Batz. Il n'y a pas que la racaille qui sort de terre à chaque occasion, il y a aussi la multitude des braves gens, des gens honnêtes, sensés, qui n'approuvent certainement pas le régime qu'on leur impose. C'est de ça qu'ils ont peur.
- Tout de même, dit le marquis de La Guiche qui, caché sous le pseudonyme du citoyen Sévignon, était lui aussi un habitué de Charonne. Ce déploiement incroyable de forces pour mener simplement le Roi à la barre de la Convention ! Que serait-ce si on le menait à l'échafaud ?
- Ce ne serait pas pire, fit Batz d'une voix lente. Ceci n'est peut-être qu'une expérience et j'estime que nous ne devons rien faire pour l'empêcher. D'autant que cette armée protégera aussi le Roi contre une tentative d'assassinat toujours possible. Cette journée sera, je crois, pleine d'enseignements pour nous...
- J'ai peur que la Convention ne soit prête à tout, dit Pitou. Les choses sont allées si vite depuis une semaine ! Le 3, la décision de jugement, le 6, la fixation de la procédure et la Convention qui se proclame juridiction d'enquête et de jugement, violant ainsi les règles de droit les plus sacrées. Le 7, la décision d'enlever aux prisonniers tout instrument tranchant tel que rasoirs, couteaux, ciseaux comme l'on fait aux criminels de droit commun, et demain...
- Le Roi a-t-il au moins droit à un défenseur? demanda La Guiche.
- Oui, mais pas demain : les " conseils juridiques " devront attendre de lire les pièces d'accusation établies à la première audience. Le Roi avait demandé Target qui défendit si brillamment le cardinal de Rohan devant le Parlement, mais ce grand avocat s'est déclaré... souffrant.
- Il souffre surtout de lâcheté ! gronda Devaux. Et votre ami Thilorier qui a fait acquitter Cagliostro ?
- C'est un ami, en effet, soupira Batz évoquant pour lui-même la silhouette rigide du père de Michelle, son amoureuse tellement inattendue de l'autre nuit. Et il a du talent. Seulement il est trop acquis à la franc-maçonnerie pour accepter, mais, au contraire de Target, il le dirait franchement. De toute façon Target sera avantageusement remplacé. Le Roi a demandé Tronchet; en outre, plusieurs juristes de grande valeur se sont proposés. Messieurs de Malesherbes et Raymond de Sèze ont écrit à l'Assemblée pour demander " l'honneur " de défendre Sa Majesté. Il y a aussi un inconnu nommé Sourdat. Il y a même une femme, Olympe de Gouges, qui s'est proposée, bien que solide républicaine. Elle a dit quelque chose d'assez juste... et que j'ai noté, ajouta-t-il en cherchant dans ses poches un papier qu'il déplia. Ah, voici : " II ne suffit pas de faire tomber la tête d'un roi pour le tuer. Il vit encore longtemps après sa mort, mais il est mort véritablement quand il survit à sa chute... "
- Si je comprends bien, la condamnation à mort ne fait de doute pour personne, dit un personnage assis sur une chauffeuse au coin de la cheminée et qui n'avait encore rien dit. C'était un nouveau venu à Charonne, mais pas un inconnu pour Batz qui l'avait rencontré jadis au temps du Salon français et retrouvé quelques jours plus tôt au café Corazza. Celui-ci avait eu avec Brissot une altercation qui lui avait attiré la sympathie du baron. Il faisait désormais partie du cercle des amis et c'était la seconde fois qu'il venait à Charonne. Il se nommait Pierre-Jacques Lemaître...
- Il faut espérer que le bon sens l'emportera... Mais, ajouta Batz avec un sourire, en attendant Marie qui ne saurait tarder car l'heure du souper approche, nous pourrions peut-être boire quelque chose? Nous en avons tous besoin...
Les six hommes étaient réunis dans le salon ovale où le coup de sonnette fit apparaître un petit valet d'une quinzaine d'années, Biaise Papillon, qui était le frère de Marguerite, l'ancienne habilleuse et actuelle seconde femme de chambre de la Grandmaison. Batz lui demanda d'apporter du vin d'Alicante. Au moment où le garçon revenait avec un plateau, le bruit d'une voiture se fit entendre dans la cour. Batz alla vers une fenêtre dont il écarta le rideau :
- C'est ce que je pensais. Voilà Marie et...
Il s'arrêta court, puis se tournant vers ses amis :
- Veuillez m'excuser un instant. Je reviens... Marie, en effet, qui revenait de faire des courses dans Paris sous la protection de Biret-Tissot, n'était plus seule et Batz avait reconnu Laura du premier coup d'oil, en dépit de la grande mante noire à capuchon dont elle s'enveloppait. Il rejoignit les deux femmes dans le vestibule :
- Où l'avez-vous trouvée? demanda-t-il en scrutant le visage ravagé de fatigue de la fausse Américaine. Et que s'est-il passé?...
- On va vous le dire, mon ami ; pour l'instant, il faut la conduire dans sa chambre, la coucher et la réchauffer. Elle tient à peine debout....
- Laissez-moi faire!
Enlevant la jeune femme dans ses bras, il l'emporta à l'étage, précédé par Marie qui ouvrit devant lui la chambre de Laura où il la déposa sur le lit, sans s'apercevoir que Pitou l'avait suivi.
- Qu'y a-t-il, s'alarma le jeune homme. Est-ce que Laura est malade... blessée?
- Simplement épuisée de fatigue, rassura Marie en les poussant dehors. Envoyez-moi Marguerite pour m'aider à la déshabiller ! Qu'elle vienne avec une bassinoire et du vin chaud à la cannelle. Vous, mon ami, allez rejoindre vos invités et passez à table. Dites que je suis souffrante. Cela expliquera que vous ayez quitté le salon comme une tempête, ajouta-t-elle en caressant la joue de son amant du bout des doigts.
- Dites-moi tout de même le principal. J'ai besoin de savoir.
- C'est simple : quelqu'un l'a reconnue au Temple - en tant que Laura Adams s'entend! -alors elle s'est enfuie, encouragée d'ailleurs par Mme Cléry. Ne sachant plus où aller...
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