- Monsieur le conseiller, dit-il avec une fermeté qui n'excluait pas une irréprochable courtoisie, je vous suis infiniment reconnaissant d'avoir bien voulu charmer - et il appuya sur le mot - les longueurs de l'attente, mais l'heure s'avance et je ne puis patienter plus longtemps pour être fixé sur les intentions de Son Altesse ainsi que celles de Sa Majesté le roi Frédéric-Guillaume...
- Oh, je pense que leurs pensées se sont rejointes et qu'elles se trouvent à présent en parfait accord !
- Alors, j'espère que Son Altesse me fera l'honneur de me le dire elle-même... et sans plus me faire attendre, même de si aimable façon. J'ai, moi aussi, des dispositions à prendre... et je ne partirai qu'une fois convaincu de l'inanité de mes efforts. Avec un soupir, Goethe se leva à son tour :
- Vous n'abandonnez pas facilement, n'est-ce pas? Même si je vous dis que vous allez tenter l'impossible.
- C'est un mot que je ne connais pas. Me ferez-vous la grâce d'aller lui demander de me recevoir ? Sans plus tarder ! Car même si le duc ne s'en soucie plus - pour des raisons que je connais, ajouta-t-il en appuyant intentionnellement sur la courte phrase -, je dois, moi, retourner à Paris au plus vite : j'ai un roi à sauver !
Goethe garda un instant le silence. Comme tout à l'heure, il regarda Batz au fond des yeux puis, posant une main compréhensive sur son épaule, il soupira :
- J'y vais de ce pas. Voyez-vous, baron, j'aime ceux qui rêvent à l'impossible.
CHAPITRE VIII
UN ANGE NOMMÉ PITOU
Lorsque Batz fut introduit auprès de lui, Brunswick avait repris sa contemplation du portrait de Louis XIV. Le grand Roi, décidément, semblait le fasciner. Il ne l'abandonna qu'à regret pour offrir à son visiteur un visage maussade :
- On me dit que vous voulez partir cette nuit et qu'auparavant vous désirez un dernier entretien avec moi. Je n'aime guère que l'on me sorte de table, mais nous sommes à la guerre. Alors que voulez-vous ?
- Connaître les intentions de Votre Altesse. Elle tient à présent la route de Paris. Quand va-t-Elle l'emprunter ?
Le regard lourd du Prussien s'attacha à la mince silhouette qui lui faisait face, tendue comme une corde d'arc :
- Pas cet automne en tout cas! Je suis comptable de mes soldats. Ils sont épuisés, mal équipés, bourrés de raisins verts, de pommes de terre crues et de blé à peine réduit en farine. Vous avez parcouru mes camps, vous avez vu ces malheureux transis de froid et de fièvre, ces boues sanglantes qui polluent la terre?... Je dois les ramener au pays pour qu'ils retrouvent la santé et le goût du combat.
- Le goût du combat, ils l'avaient tout à l'heure! Devant l'ennemi ils s'étaient ressaisis et retrouvaient leur image perdue. Pourquoi n'avez-vous pas engagé les troupes à pied et la cavalerie ? Les Autrichiens sont là à présent et les émigrés ne sont pas loin.
- Parce que je me suis rendu compte que nous étions tombés dans un piège dont nous ne pouvons sortir qu'en négociant.
- Et c'est ce que vous avez dit à Westermann tout à l'heure. Vous allez parlementer?
- Oui. Votre Dumouriez semble animé des meilleures intentions. S'il abhorre les Autrichiens j'ai cru comprendre qu'une alliance avec la Prusse ne lui déplairait pas...
- Et le Roi, dans tout cela ?
- Sa Majesté Frédéric-Guillaume est un homme sage, capable de reconnaître une vérité...
- Je ne parle pas de lui mais du mien : Sa Majesté Louis, seizième du nom et jusqu'à présent roi de France et de Navarre. Vous l'abandonnez ?
- Il n'est pas en si grand danger que vous voulez bien le dire, baron. Ce Westermann m'a assuré qu'il risque tout au plus une destitution et une résidence surveillée dans l'un de ses châteaux. Cela nous donne tout de même le temps de nous retourner et quand nous reviendrons...
- Mais vous ne reviendrez pas. Cette armée de... va-nu-pieds, comme dit votre maître, vous laissera sans doute passer pour rentrer chez vous avec votre trophée ; ensuite elle vous poursuivra et la guerre, elle la portera sur votre territoire. Elle ne sait déjà pousser que des cris de victoire ! Brunswick haussa dédaigneusement les épaules :
- Vous voilà prophète à présent ?
- Mes prophéties je les ai lues, à la longue-vue, sur les visages ardents de ces jeunes hommes et aussi sur celui de leurs officiers dont la plupart sont mes pairs !
- Ma parole, vous les admirez.
- Mais oui, je les admire, et s'ils n'avaient oublié que le Roi et le royaume sont indissolubles depuis le sacre, je serais à leurs côtés. Malheureusement, il y a cette populace infâme qui hurle à la mort dans Paris et dont on ne peut attendre que le pire. Un pire dont vous êtes responsable en grande partie.
- Vous osez? s'écria Brunswick devenu plus rouge que son hausse-col.
- Bien sûr j'ose ! Sans votre manifeste insensé, le 10 août n'aurait pas eu lieu, ni d'ailleurs le 2 septembre : les Tuileries n'auraient pas été mises à sac, le Roi jeté à la tour du Temple et l'on n'aurait pas massacré pendant trois jours dans les prisons le meilleur de notre noblesse ! Vous auriez dû voir le corps éventré de la princesse de Lamballe, sa tête tranchée qu'un des bourreaux faisait friser par un perruquier terrorisé. A présent, vous devez aller au bout de vos menaces ! C'est vous qui avez déchaîné cela. A vous de réparer ce qui peut l'être encore !
- C'est impossible. Je ne peux pas marcher sur Paris! Trop d'intérêts s'y opposent...
- Des intérêts, reprit Batz avec amertume, je crois pouvoir vous dire lesquels, et c'est, sans doute, ce que Westermann est venu vous rappeler. Vous êtes maçon, n'est-ce pas, Monseigneur, et même le Grand Maître allemand, élu à Willensbad, si ma mémoire est fidèle ? Vous êtes maçon, dis-je, et Danton l'est aussi, et Dumouriez, et le duc d'Orléans et son fils le duc de Chartres... et William Pitt qui hait le roi de France et a juré sa perte. On vous a fait entendre que les loges exigent que soit appliquée l'une de leurs devises, le fameux Lilia pedibus destrue [xiii]... Après quoi, une autre maison pourrait accéder au trône vide : Monsieur qui louvoie si habilement entre les écueils? Ou Orléans, mais à ce moment il faudrait changer les emblèmes. Et pourquoi donc pas vous-même qui avez épousé une princesse anglaise?... La lourde main de Brunswick s'abattit sur la table :
- Cela suffit, monsieur ! Je ne vous laisserai pas m'insulter plus longtemps ! Sortez ou je vous fais arrêter !
- Oh, je vais sortir, soupira Batz. Je sais à quoi m'en tenir à présent. Mais pas sans que vous m'ayez rendu une partie du prix que l'on vous a payé...
A son amère satisfaction, il vit le duc pâlir. Brunswick ne s'attendait pas à cela :
- Payé?...
- Oui... avec une partie des diamants de la Couronne volés au garde-meuble avec la complicité de Danton les nuits du 14, 15 et 16 de ce mois. Je ne vous réclame pas la totalité, je veux que vous me rendiez la Toison d'Or de Louis XV. Elle est le joyau le plus précieux de celui qui n'a plus rien et que vous abandonnez. Entre mes mains, elle pourra servir à le sauver. Et ne me dites pas que vous ne l'avez pas : je sais !
- En admettant? Pourquoi le ferais-je?
- Parce que je vous crois assez d'honneur pour ne pas vous faire le complice d'un vol crapuleux. Je considérerai le reste comme prise de guerre, mais je veux la Toison!... et d'ailleurs je vous offre une compensation.
Sur le velours de l'écrin que Batz s'était procuré, le joli diamant bleu trouvé par Pitou se mit à étin-celer de tous ses feux azurés. Les yeux du duc s'allumèrent.
- Qu'est-ce que cette pierre ?
- L'un des deux diamants bleus appartenant à la Reine. Celui-là est un achat récent. Il est aussi un peu plus gros que celui qu'elle affectionnait. Il n'en allait pas moins permettre de composer des girandoles comme elle aimait à en porter. On dit... que vous aimiez notre souveraine ?
- J'ai rarement rencontré femme aussi séduisante, murmura le duc fasciné par les feux de la pierre, qui pensait tout haut.
- Eh bien, il vous sera un souvenir d'elle et doublement précieux.
- Il a un nom ?
- Pas que je sache... Pourquoi ne serait-ce pas le " Brunswick " ?
- C'est une idée...
- Et je la crois bonne. Alors, Monseigneur, quelle réponse me donnez-vous? Allez-vous me rendre la Toison d'Or ou bien en priverez-vous un prince captif et malheureux dont c'est le dernier bien terrestre... au moment même où vous renoncez à le secourir ?
Brunswick fit quelques pas dans la pièce, alla regarder par l'une des fenêtres, revint au portrait dont le regard impérieux semblait l'attirer comme un aimant et resta là un instant, à l'observer. Enfin, avec un soupir il dégrafa sa tunique d'uniforme, en tira un petit sac de peau dont il dénoua les cordons avant de le vider sur la pièce de soie ancienne qui recouvrait la table. Avec un frisson de joie, Batz vit qu'il s'agissait bien de ce qu'il était venu chercher : la Toison d'Or de Louis XV étincelait devant lui...
- Voilà ! fit le duc sobrement.
Mais quand le baron tendit la main vers le joyau, il l'arrêta :
- Un moment encore! Comment puis-je être certain que vous me dites la vérité, que ce joyau sera employé pour la sauvegarde de Louis XVI ?
- Et que je ne le mettrai pas simplement dans ma poche ? Rien du tout. Votre Altesse n'a que ma parole, mais le baron de Breteuil peut attester que je suis un homme d'honneur, dévoué corps et âme à son souverain...
- Certes, certes!... Et pourtant vous m'avez menti.
- A quel propos ?
Sans se presser, Brunswick prit dans sa poche une tabatière d'or enrichie de diamants et en tira une prise qu'il parut savourer sans se soucier de l'impatience palpable de son interlocuteur. Enfin, il eut un sourire que Batz jugea carnassier et dit :
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