- Républicaine ? J'ignore en quoi cela consiste. De toute façon, je crois bien que je ne suis rien du tout!
- Après vous être proclamée si hautement amie de la Reine? C'est difficile à croire...
- Il se peut que j'aie menti. Je vénère le Roi, Madame sa sour et je crois bien que j'aime... beaucoup ses enfants mais la Reine!...
- Ne tourmentez pas Mme de Pontallec, Pitou, coupa le baron. Elle n'a pas les mêmes raisons que vous d'adorer notre malheureuse souveraine, mais cela fait partie de ce dont je souhaite discuter avec elle tout à l'heure... si elle le veut bien?
- Pourquoi ne le voudrais-je pas? murmura celle-ci, soudain mal à l'aise sous le regard qu'il posait sur elle tant il dégageait de puissance.
Depuis le début du repas, elle avait observé son hôte à la dérobée et n'était pas encore parvenue à décider s'il lui plaisait ou non en dépit de cette voix de velours sombre qui était sans doute son plus grand charme. Il y avait ce regard à la fois ironique et dominateur, sans doute facilement irritant, et aussi le pli moqueur de la bouche qui, en devenant sarcastique, devait être franchement désagréable. Elle sentait chez lui une de ces volontés de fer sur lesquelles se brisent toutes les résistances...
Sans plus se soucier de donner une réponse à qui d'ailleurs n'en demandait pas, il reprenait sa conversation avec Pitou en lui proposant de rester à Charonne quelques jours :
- En attendant que les fureurs populaires se calment, ce serait plus prudent, ajouta-t-il. Depuis le 10 août vos journaux n'existent plus, votre ami Duplain de Sainte-Albine est enfermé aux Carmes et peut-être massacré à l'heure qu'il est...
- Je devrais l'être aussi, sans doute! fit Ange Pitou avec amertume. Seulement, depuis ce jour terrible, on me croit hors de Paris.
- Vous y êtes, restez-y! Ensuite vous pourrez rejoindre sans trop de crainte votre poste à la Garde avec cet air innocent que vous savez si bien prendre. Personne n'ira voir à Châteaudun si votre tante et tutrice est vraiment à toute extrémité... Croyez-moi, il vaut mieux...
La voix d'Anne-Laure s'éleva soudain, lui coupant la parole avec une note d'exaspération :
- Pourquoi m'avez-vous sauvée, moi?
En même temps elle se levait, incapable de supporter plus longtemps ce qui, pour elle, ressemblait à des propos de salon. Batz fut debout presque en même temps qu'elle :
- J'aurais préféré que vous preniez un peu de repos avant l'entretien que nous devons avoir ensemble mais, si vous vous en sentez la force, nous pouvons l'avoir immédiatement.
- Je préfère!... Pardonnez-moi! ajouta-t-elle à l'adresse des deux autres qui eurent le même geste apaisant,
- En ce cas venez !
Avec un rien d'autorité, il lui prit la main pour la guider, à travers un salon obscur, vers une pièce éclairée par des chandeliers sur la cheminée et une lampe-bouillotte posée sur un bureau chargé de papiers. C'était à la fois un cabinet de travail, une petite bibliothèque et un lieu où le couple se tenait fréquemment, sans doute, puisqu'une petite table à ouvrage s'y trouvait auprès d'un fauteuil sur lequel un tambourin de brodeuse était abandonné.
Le baron avança un siège mais Anne-Laure fit non de la tête, se contentant de s'approcher à toucher le bureau auquel elle s'appuya du bout des doigts, tout son corps raidi dans sa volonté désespérée de ne pas céder à la crise qui tendait ses nerfs à les briser. Elle se contenta de répéter d'une voix blanche :
- Pourquoi m'avez-vous sauvée ?... Je ne le voulais pas.
Batz alla s'adosser à la bibliothèque, croisa les bras sur sa poitrine :
- Je sais. Même la mort affreuse qui vous attendait devant la Force ne vous arrêtait pas... tant vous avez souffert et souffrez toujours ! Mais moi, il fallait que je vous arrache à cette horreur. D'abord parce que je l'avais juré !
- Juré ? A qui, mon Dieu ? Qui se soucie encore de moi?
Elle tourna lentement vers lui des yeux pleins d'incompréhension et de lassitude, mais il y avait des larmes dans sa voix.
- Le duc de Nivernais d'abord, votre vieil ami et le mien. Ses sentiments pour vous sont ceux d'un aïeul et ce n'est pas d'hier qu'il se tourmente à votre sujet. En outre, il se trouve qu'il y a quelques années, étant passé au service de l'Espagne avec la permission de notre roi, j'ai rencontré là-bas votre frère et que nous avions lié amitié. Il parlait souvent de sa jeune sour...
- Vous avez connu Sébastien ? Oh, mon Dieu !... Vous réveillez là les plus doux de mes souvenirs d'autrefois. Mon frère est le seul être, avec ma marraine, qui m'ait témoigné la tendresse que je n'ai jamais reçue de ma mère, mais je ne peux lui en vouloir. La mort de mon père l'avait déchirée, m'a-t-on dit, et l'amour qui lui restait, elle l'a reporté sur un fils dont elle était fière à juste titre. Elle n'en avait plus assez pour moi et, quand nous avons appris le naufrage de son navire, j'ai compris que j'avais cessé d'exister. Elle a conclu mon mariage comme elle mène ses affaires...
- Non, fit durement le baron. Je pense qu'elle mène ses affaires avec plus d'attention qu'elle n'en a accordé à votre futur sinon elle aurait hésité à vous donner à ce misérable.
L'injure souffleta la jeune femme :
- Un misérable? Pourquoi?... Est-ce sa faute s'il ne m'a jamais aimée ? L'amour, est-ce que cela compte d'ailleurs dans les mariages arrangés par nos familles?...
- Apparemment cela comptait pour vous... et, par pitié, ne vous avisez pas de lui chercher des excuses si vous voulez que je garde une bonne opinion de votre intelligence...
- Cela représente-t-il quelque importance ?
- A mes yeux oui... Ainsi l'amour vous a aveuglée au point de refuser d'admettre ce qu'est au juste le noble marquis de Pontallec? On peut ne pas aimer une femme. Cela arrive en effet dans ces unions où l'intérêt prime le cour, mais, si l'on est... je ne dirai pas un gentilhomme, simplement un homme digne de ce nom, on ne met pas tout en ouvre pour l'envoyer à la mort par le chemin le plus direct.
- Où avez-vous pris cela? C'est de la folie...
- Croyez-vous? Alors je vais vous mettre les points sur les i. Pourquoi pensez-vous qu'il avait ordonné à son frère de lait de vous escorter en Bretagne ? Cet homme avait l'ordre de vous assassiner.
- Comment pouvez-vous savoir cela?
- Très simple ! Joël Jaouen, bien que tenté par la république, n'en est pas moins un ami d'Ange Pitou. Il lui a tout dit et l'a prié de veiller sur vous quand il a dû quitter votre maison, sachant bien que le marquis n'hésiterait pas à l'exécuter pour lui avoir désobéi. Mais continuons ! Qui, selon vous, a suscité la petite émeute de la place Saint-Sulpice après vous avoir envoyée - en cabriolet de plus ! - chez le duc de Nivernais sous le prétexte d'une fausse maladie? Émeute dont certain porteur d'eau vous a tirée ?
- C'est ridicule ! Comment mon mari pouvait-il, lui, un royaliste intransigeant, prendre la moindre influence sur une masse populaire ?
- Avec de l'argent et quelques hommes bien entraînés, c'est simple comme bonjour avec un peuple toujours prêt à hurler à la mort après n'importe quoi. Quant au royalisme du marquis, nous en reparlerons tout à l'heure...
- Alors, je pose une autre question : comment avez-vous été prévenu du " danger " que je courais?
- Pitou ! Il avait loué une chambre en face de chez vous. C'est lui qui m'a prévenu. Je poursuis ?
- Je ne vois pas comment je pourrais vous en empêcher !
- J'espérais vous intéresser mais, bref!... reprenons! Votre époux ne vous menait jamais à la Cour. D'où vient qu'il ait jugé bon de vous y conduire quelques heures avant l'émeute qui allait ravager le château ?
- Il voulait que nous soyons ensemble pour affronter ce qui allait se passer. Il disait qu'il ne voulait pas me laisser seule à la maison...
- Mais il vous a laissée tandis qu'il prenait la fuite au moment même où les massacreurs donnaient l'assaut. Je le sais parce que j'y étais et que je n'ai pas eu le temps de vous mettre en sûreté : mon devoir était à la protection du Roi. Entre lui et vous, je n'hésiterai jamais, quel que soit l'intérêt que vous m'inspirez, ajouta-t-il avec une brutalité qui la fit frissonner.
- D'autant que vous ne me devez rien! murmura-t-elle.
- En effet, mais j'ai la mauvaise habitude de tenir ma parole ! Grâce à Dieu - à votre courage aussi ! - vous avez encore échappé à ce piège-là et vous êtes rentrée chez vous. Qu'y avez-vous trouvé ?
Elle aurait voulu mentir, par orgueil, mais il était impossible de résister au regard qui la transperçait. Comme elle ne répondait pas, Batz continua :
- Je vais vous le dire : vous avez trouvé maison vide à l'exception de Pontallec qui achevait ses préparatifs après avoir donné congé, sous prétexte de leur sauvegarde, à vos domestiques. Il a été surpris, sans doute, de vous revoir, et que vous a-t-il dit? Qu'il devait partir?
Elle fit oui de la tête sans rien ajouter.
- Et pour quelle destination ? demanda le baron avec une soudaine douceur.
- Pour rejoindre le comte de Provence. Il a dit aussi qu'il me ferait venir plus tard...
- Et vous l'avez cru ?
- Pourquoi ? Il ne fallait pas ?
- Si. En partie tout au moins. Il a surtout rejoint Mme de Sinceny pour les beaux yeux de laquelle il tient tellement à se débarrasser de vous...
Se souvenant de la femme entrevue dans la berline qui emmenait Josse, Anne-Laure murmura presque malgré elle :
- Il n'a pas eu besoin de la rejoindre : elle est venue le chercher !
- Que dites-vous?
- Que je l'ai vu monter dans une voiture et que dans cette voiture il y avait une femme..., fit-elle d'une voix morne.
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