— Général, s’écria Davout, retournez auprès de l’empereur et dites-lui qu’il parte ; que sa présence nous gêne, qu’elle est un obstacle à toute espèce d’arrangement, que le salut du pays exige son départ. Qu’il parte sur-le-champ, sinon nous serons obligés de le faire arrêter ! Je l’arrêterai moi-même !
Flahaut, alors, dévisagea froidement le maréchal et, avec le maximum de rage et de mépris :
— Monsieur le Maréchal, il n’y a que celui qui donne un pareil message qui soit capable de le porter. Quant à moi, je ne m’en charge pas. Et si, pour vous désobéir, il faut vous donner sa démission, je vous donne la mienne !
Puis, le cœur navré, il revint à Malmaison où il n’osa pas, « pour ne pas ajouter à ses douleurs », rapporter à Napoléon les paroles de Davout. Il y avait d’ailleurs auprès de l’empereur beaucoup de monde. Madame Mère et le cardinal Fesch étaient venus et aussi Corvisart, et Talma, et la duchesse de Vicence et tous les autres fidèles.
Vers la fin de la matinée, une voiture s’arrêta devant le palais. Une femme en pleurs, tenant un petit garçon par la main, en descendit : Marie Walewska, « l’épouse polonaise », celle dont l’amour fidèle n’avait jamais cédé, celle que l’on avait vue à l’île d’Elbe, et plus récemment, aux Tuileries. Napoléon courut vers elle et la serra dans ses bras.
— Marie ! Comme vous semblez bouleversée !
Il l’entraîna dans la bibliothèque où, longuement, désespérément, elle le supplia de gagner Paris, de rassembler l’armée, le peuple qui le réclamait à grands cris, de marcher au-devant de l’envahisseur, de se défendre enfin et sa capitale avec lui ! Mais il refusa. Il savait qu’il ne pourrait rien contre les armées coalisées, régulières et disciplinées avec une armée de hasard, héroïque sans doute mais qui se ferait hacher inutilement. Cette fois, le sacrifice et le sang versé seraient inutiles et ne serviraient qu’à livrer plus totalement Paris à la vengeance de l’ennemi.
— Non, Marie, dit-il. Il faut que je parte ! Non parce qu’« Ils » le veulent… mais parce que je le dois à mon fils !
Elle s’écroula, secouée de sanglots.
— J’aurais tant voulu vous sauver…
Alors, comme enfin un émissaire arrivait de Paris, l’informant que les « deux frégates » étaient à sa disposition, il se prépara au départ. Néanmoins l’ennemi approchant davantage, il ne voulut pas partir sans tenter de défendre son pays. Il envoya Becker aux Tuileries demander pour lui un simple commandement dans l’armée afin de combattre les Prussiens. Il souhaitait mourir l’épée à la main… Mais Becker ne put que lui rapporter les paroles furieuses de Fouché :
— Est-ce qu’il se moque de nous ? Ne sait-on pas comment il tiendrait ses promesses si ses propositions étaient acceptables ?
Napoléon haussa les épaules.
— Ils ont encore peur de moi ! dit-il seulement. Alors, il changea de vêtements, serra les mains de tous ses amis, embrassa Hortense et Madame Mère puis, s’étant fait ouvrir la chambre où était morte Joséphine, il y demeura seul un long moment. Quand il en sortit, il avait les yeux rouges. Enfin, après un dernier regard à cette maison qui, jusqu’à son dernier soupir, lui demeurerait chère, il monta en voiture et, avec ceux qui avaient choisi de suivre son destin jusqu’au bout, il prit le chemin de la mer, avec l’espoir de trouver, au-delà, l’immense pays où il lui resterait au moins le droit d’être un homme libre.
Mais l’escadre anglaise croisait déjà au large de Rochefort pour en interdire la sortie aux deux frégates si généreusement octroyées par le gouvernement provisoire. Fouché avait bien travaillé… Au bout du chemin il n’y avait plus que le britannique… et Sainte-Hélène !
ON L’APPELAIT « SISSI »
« Sissi » et le mariage
Quand, en 1834, le duc Max « en » Bavière acheta le château de Possenhofen, situé sur le beau lac de Starnberg, à vingt-huit kilomètres de Munich, c’était avec l’intention d’en faire une maison d’été pour y loger une famille encore embryonnaire, car il n’avait alors qu’un seul fils, Louis, né en 1831, mais qu’il espérait bien augmenter de façon substantielle.
Possenhofen était (et est encore) une construction assez massive, flanquée de quatre tours d’angle et pourvue d’un grand nombre de chambres, mais son emplacement au bord du lac, au milieu de collines boisées et d’un superbe parc comportant de magnifiques roseraies, en faisait un lieu si rempli de charme que, peu à peu, il supplanta le palais de Munich pour devenir la véritable maison de famille de la nichée ducale, une maison que tous adorèrent.
Par ordre d’apparition, ladite nichée se composait de Louis, déjà nommé, d’Hélène, dite Néné, venue eu 1834 quelques semaines après l’acquisition de ce qui allait devenir le « cher Possi », Élisabeth, dite Sisi (ou Sissi) apparue la veille de Noël 1837 comme un cadeau du ciel, Charles-Théodore, autrement dit « Gackel », qui vit le jour en 1839, Marie, née en 1841, sans surnom connu, Mathilde, autrement dite « Moineau », à cause de sa fragilité (1843), Sophie, qui ne vint qu’en 1847, et enfin, fermant la marche, Charles-Emmanuel, autrement dit « Mapperl », apparu deux ans plus tard.
Tout ce monde formait une famille heureuse, joyeuse, élevée un peu à la diable par un père atteint de bougeotte chronique mais plein de tendresse et d’invention, de dons artistiques ainsi que d’une extraordinaire chaleur humaine, et par une mère en admiration perpétuelle devant son époux et devant ses enfants pour lesquels, très ouvertement, elle nourrissait une grande ambition. Née princesse « de » Bavière, Ludovica, en épousant son cousin Max, avait, peut-être, fait le mariage le moins brillant de sa famille car, de ses trois sœurs, l’une était reine de Prusse, l’autre reine de Saxe et l’aînée, Sophie, aurait dû être impératrice d’Autriche si elle n’avait obligé son époux à renoncer au trône en faveur de leur fils François-Joseph{2}. Le fait de se retrouver duchesse « en » Bavière ne représentait guère une promotion pour Ludovica mais, tout compte fait, elle était sans doute la seule qui eût connu le bonheur et ceci compensait bien cela. La duchesse en convenait d’ailleurs volontiers, ce qui ne l’empêchait nullement de rêver, pour ses filles, de destins moins « popote » que le sien.
En foi de quoi, durant le printemps de l’année 1853, Ludovica vivait sur des charbons ardents car, depuis plusieurs mois déjà, des échanges de correspondance et même des entrevues avaient eu lieu entre elle et sa sœur, l’archiduchesse Sophie, la tête pensante de la famille, en vue de conclure un mariage entre le jeune empereur François-Joseph et Hélène, l’aînée des filles de Max et de Ludovica.
Ce projet-là avait pris forme, depuis longtemps déjà, dans l’esprit de Sophie qui tenait beaucoup à réunir autour d’elle le plus de puissance familiale possible, mais il s’était singulièrement renforcé quand son fils, cet innocent, s’était avisé, pour ses vingt-deux ans, d’épouser la fille du prince-palatin de Hongrie, une princesse fort belle et fort intelligente qui lui avait inspiré des sentiments assez vifs. Sophie avait coupé le mal à la racine en peu de mots :
— La Hongrie est une province soumise et doit le rester. Ce serait impossible avec une Hongroise sur le trône à tes côtés.
Obéissant aveuglément, alors, à sa mère, François-Joseph fit taire ses sentiments au nom de la raison d’État et ne reparla plus du projet. D’ailleurs, il n’ignorait pas les vues de Sophie sur sa cousine Hélène et la réputation de la jeune fille étant des meilleures, il ne voyait pas d’inconvénient majeur à en faire sa femme si elle était aussi belle et charmante qu’on le disait… que le disait Sophie tout au moins !
— Elle est parfaite en tout point ! affirmait, péremptoire, l’archiduchesse.
Parfaite, elle l’était sans doute. Ludovica s’était donné assez de mal pour cela. On lui avait appris tout ce que devait savoir une impératrice d’Autriche : à parler plusieurs langues, à danser, à monter à cheval, à recevoir, à paraître avec aisance au milieu d’une nombreuse assistance, et même à s’ennuyer avec grâce, immobile des heures durant sur un fauteuil figurant un trône.
Aussi fut-ce le grand branle-bas de combat quand, un beau jour du mois de juin, la duchesse, qui venait de lire, durant le petit déjeuner familial, une lettre de sa sœur, s’écria, rayonnante de joie :
— Réjouissez-vous, mes enfants ! Votre tante Sophie nous invite à Ischl, au mois d’août, Néné, Sissi et moi, afin de l’y rencontrer. L’empereur viendra, lui aussi…
À cette nouvelle, Hélène devint rose de plaisir car l’idée d’épouser François-Joseph lui souriait depuis longtemps, mais Élisabeth ne montra qu’un enthousiasme méfiant.
— Est-ce que Charles-Louis sera là aussi ?
L’archiduc Charles-Louis, frère cadet de François-Joseph, était son chevalier servant attitré depuis que les deux adolescents s’étaient rencontrés trois ans plus tôt dans ce même Ischl. On avait échangé des lettres, et même, le jeune prince avait fait parvenir à la dame de ses pensées de jolis présents, une bague, un bracelet, encouragé en cela par sa mère, qui voyait d’un assez bon œil, pour plus tard, une seconde union avec les filles de sa sœur.
— Bien sûr, il sera là ! s’écria Ludovica en embrassant son bébé de quinze ans. Tu seras heureuse de le revoir ?
— Je crois, oui… Il est très gentil et je l’aime bien. Sur ces fortes paroles, on procéda aux préparatifs du départ, chacun selon ses aptitudes : la duchesse et Hélène en se jetant sur les armoires à robes avec l’aide de la baronne Wulffen, gouvernante des princesses, et Sissi en se précipitant dans le jardin pour donner à manger à ses animaux favoris et leur raconter les derniers événements de la maison.
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