— Les couleurs de dame Philippa sont le violet et le blanc, précisa Flore. Vous n’aurez guère de peine à vous en souvenir…
Puis, se haussant sur la pointe des pieds, elle lui donna un baiser appuyé qui le fit frissonner, mais auquel il ne répondit pas. Ce qui la fit rire.
— Gageons que vous êtes puceau, mon bel ami ? murmura-t-elle.
— Demoiselle ! fit-il scandalisé. Voilà une question…
— Naturelle quand on a votre âge… et surtout votre inexpérience. Mais cela pourrait s’arranger… à notre commune satisfaction, ajouta-t-elle presque bas. En tout cas, soyez rassuré : si vous êtes aussi brave que vous êtes beau, vous ferez honneur à la maison !
Et elle l’emmena pour le conduire à sa maîtresse qui, cette fois, trouva pour lui un sourire et se déclara satisfaite. Plus encore en apprenant qu’il savait lire, écrire et possédait même quelques autres traces de culture :
— Peut-être serez-vous à la fin d’un commerce aussi agréable que mon pauvre Omer… Et puis si je veux rester quelque temps à Paris sans mon seigneur époux, il faut bien que je me résigne à accepter un défenseur solide.
Ce petit discours n’enchanta pas Renaud qui aurait volontiers, n’était sa bonne éducation, répondu que pour sa part il eût de beaucoup préféré compagnie masculine, au besoin avec des débuts difficiles, plutôt que se retrouver dans les jupes d’une femme qu’il jugeait déjà geignarde et peu gracieuse, dans un emploi qui tenait le milieu entre le valet et la fille de compagnie.
Pourtant, il n’en avait pas encore fini avec les examens. Le baron Raoul le fit mander ensuite dans la salle d’armes pour juger de ses capacités à manier l’épée ou la hache. Il se trouva face à un vieux sergent nommé Pernon, sec comme une trique mais d’une habileté quasi diabolique, soutenu par des jambes qui devaient être en acier.
Pernon avait appris les armes aux frères de Coucy, à leurs cousins et aux jeunes nobles que l’on mettait en apprentissage au château. C’était un maître en la matière et si, face à lui, Renaud passa quelques-unes de ces minutes pénibles au cours desquelles on s’aperçoit qu’on ne sait pas grand-chose, il eut du moins la satisfaction de l’entendre conclure à l’intention du baron qui regardait :
— Il a encore à apprendre et pas mal de défauts à corriger mais la base est bonne. Il a eu un bon enseignement.
— Qui vous a appris les armes ? demanda le baron.
— Mon père… adoptif, sire Olin des Courtils, qui est allé à la croisade sous monseigneur Jean de Brienne, roi de Jérusalem et empereur de Constantinople – que Dieu ait en Sa sainte garde !
Pernon fit entendre un petit sifflement comme pouvait seul s’en permettre un vieux serviteur :
— Cela dit tout, en effet. Outre que rien ne vaut l’affrontement aux Sarrasins pour apprendre la guerre, vous avez trop entendu vanter, sire Raoul, les exploits du roi Jean pour ne pas en connaître la valeur qui s’étendait à ceux qui le suivaient. Il faudra voir, ajouta-t-il en se retournant vers Renaud, ce que vous valez à cheval. Je crois sincèrement que ce garçon n’aura guère de peine à égaler vos meilleurs chevaliers. C’est dommage de le laisser ici. Il risque de s’amollir !
— Il n’en aura pas le temps. Dame Philippa ne s’éternisera pas au-delà du printemps et à Coucy tu pourras parfaire son entraînement. Pour l’instant, l’important c’est qu’il sache bien la défendre et donner confiance aux serviteurs en cas de mauvaise rencontre.
— Pour cela je crois pouvoir en répondre : il est solide.
— C’est le principal ! Achevez de vous revêtir, Renaud, et me suivez dans ma chambre, ajouta-t-il à l’adresse du jeune homme occupé à refermer sa chemise avant de repasser sa cotte. Un moment plus tard, il se retrouvait devant la table sur laquelle le maître écrivait précédemment. Celui-ci avait repris son siège, mais pas la plume. Il semblait soucieux. De temps en temps, comme s’il cherchait à se rassurer, il regardait le jeune homme puis, accoudé au bras du fauteuil, un poing sous le menton, il reprenait une rêverie que Renaud n’osait interrompre.
Enfin, il poussa un soupir puis se décida :
— Je me demande si je ne commets pas une grave imprudence en vous confiant, à vous si jeune, la sûreté de ma dame épouse ?
— Ce n’est pas moi qui peux vous répondre, sire baron. Sinon que je suis prêt à défendre la noble dame avec ce que j’ai de force et de sang mais, si Votre Seigneurie se tourmente à ce point, peut-être devrait-elle différer son départ… ou emmener dame Philippa ?
— Vous l’avez entendue tout à l’heure : l’un est aussi impossible que l’autre : je dois – et il appuya sur le mot – rentrer à Coucy et ma dame veut rester encore céans. Elle est très attachée à la Reine qui lui a montré une affection quasi maternelle quand elle était de ses demoiselles…
Renaud était encore trop frais émoulu de sa campagne pour savoir cacher ses étonnements :
— Quasi maternelle ? Mais on dit la Reine toute jeunette ?
Son exclamation naïve amena un sourire sur les lèvres de Raoul.
— Et ma noble épouse ne l’est plus vraiment ? Votre erreur vient que vous n’êtes pas au fait du palais. Il y a deux reines dont la plus importante n’est pas Marguerite de Provence épouse de notre roi Louis mais bien sa mère, la très haute et très sage Blanche de Castille qui est fort entendue aux affaires du royaume, l’a bien prouvé lors de la régence qu’elle a exercée durant la minorité de son fils, et dont celui-ci ne saurait négliger ses conseils. Mais revenons à ce dont nous causions ! Mon hésitation n’est pas signe de méfiance envers vous, Renaud, mais bien de ce que je ne suis pas certain que ma dame ne soit pas en danger…
— À cause du meurtre du précédent damoiseau ?
— En effet. Et ce n’est pas tout : nous avons eu, il y a deux ans, un fils qui semblait beau et bien constitué et qui cependant n’a point vécu ; il est mort à trois mois dans d’affreuses convulsions. Les enfants en bas âge y sont souvent exposés et les mires ont déclaré que c’était simple malchance. Mais depuis dame Philippa n’a pu concevoir. En outre, elle est parfois sujette à des malaises qui ont toujours lieu chaque fois que je me suis approché d’elle.
— C’est d’une grande tristesse… Mais pourquoi y aurait-il une relation avec la mort de son serviteur ?
— Là où j’en suis, je dois tout dire car vous l’apprendriez vite. Un mauvais bruit m’est revenu selon lequel mon épouse désespérant d’avoir un enfant de moi se serait… accordée à lui. Le chagrin qu’elle a montré à sa mort a renforcé ce bruit. Si dans un avenir proche il arrivait malheur à la baronne, c’est moi que l’on accuserait de l’avoir tuée…
— Mais… pourquoi ?
— Pour pouvoir épouser une autre femme… plus jeune et plus avenante. Ce qui, je tiens à vous le dire, ne peut en aucun cas effleurer mon esprit ni mon cœur.
Renaud avait encore dans l’oreille l’accusation lancée par dame Philippa à propos d’une dame de… ou du… il n’avait pas retenu le nom.
— Et qui oserait accuser Votre Seigneurie ?
— Mon beau-frère, le puissant comte de Dammartin qui aime fort sa sœur et pense que je la traite mal. Il y a aussi mon propre frère et il n’est pas impossible que ces deux haines se rejoignent. Voilà pourquoi vous devrez veiller de très près sur celle qui devient votre maîtresse. Et aussi sur vous-même, mais dans quelque temps. On ne saurait vous accuser d’être son doux ami alors que vous arrivez. Cela dit, je ne laisserai ici que des serviteurs dévoués sur lesquels vous pourrez compter. Pensez-vous toujours pouvoir remplir la lourde tâche que je vous confie ?
Il allait de l’honneur de répondre par l’affirmative et c’est ce que fit Renaud. Pourtant il trouvait cette histoire de plus en plus étrange. Frère Adam qui savait bien des choses devait cependant ignorer ce qui se passait au juste dans le bel hôtel tout neuf où il l’avait amené et plus encore quel poids de responsabilités allait retomber sur ses épaules. Il y avait jusqu’à ces confidences incroyables faites à un blanc-bec inconnu par un si haut personnage qui ne fussent à la limite du normal. Cependant Renaud ne pouvait se défendre d’une réelle sympathie pour son nouveau seigneur. Sa tristesse comme son inquiétude n’étaient pas feintes, il en aurait juré. Fallait-il en conclure qu’il fût dans une si grande détresse qu’il préférât placer sa confiance dans un jeune inconnu plutôt que dans un de ses nombreux écuyers, valets et autres gens déjà éprouvés qui composaient sa maison ?
Renonçant pour l’instant à dénouer cet écheveau un peu trop embrouillé, Renaud pensa que le mieux était de faire son service aussi exactement que possible et inaugura ses nouvelles fonctions en accompagnant dame Philippa et Flore d’Ercri à l’église proche de Saint-Jean-en-Grève promue paroisse du quartier depuis une vingtaine d’années pendant que l’on reconstruisait à de plus vastes dimensions la vieille chapelle Saint-Gervais-Saint-Protais. Elles allaient y entendre vêpres et s’y rendirent à pied – c’était si près ! –, voilées comme il convenait à de nobles dames.
La simple cérémonie qu’il suivit en habitué édifia fort Renaud. Le comportement de ceux qu’il allait servir était peut-être un peu bizarre mais la piété de ces femmes ne pouvait être mise en doute. Les voiles relevés, il put observer la ferveur de leurs prières. Même la belle suivante dont les manières lui étaient apparues si hardies offrait aux lumières de l’autel un visage empreint d’une grande dévotion. Quant à l’épouse de Raoul, elle ne songeait pas à cacher les lourdes larmes qui glissaient de ses paupières closes sur une douleur qui devait être profonde. Il put admirer aussi la grande générosité avec laquelle, au sortir de l’église, elle fit aumône aux nombreux miséreux qui s’y pressaient…
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