- C'est ce qu'il faut essayer de savoir. Avec votre permission Rémi, je me présenterai à lui demain sous le prétexte de lui annoncer la mort de dame Mathilde. Nous verrons bien. Pour l'instant - pardonnez-moi, mon ami ! -, je voudrais que vous m'indiquiez une modeste auberge où je puisse trouver repos et nourriture…
- Oh, je vous supplie de m'excuser ! Je ne fais que parler de moi et des miens comme si vous ne veniez pas d'effectuer une route harassante ! Je vais vous conduire chez l'un de nos maçons, Paulin. Jacqueline, son épouse, tient auberge près du pont « Le Grand Saint-Yon », qui est minuscule mais propre. Elle possède suffisamment de poigne pour obliger ses clients à se bien tenir. Je vous y emmène.
Peu après, la femme du maçon, une solide commère, alerte et bougonne, pourvue de bras vigoureux et même d'une ombre de moustache, installait le voyageur devant un ragoût à la viande de bœuf généreusement parfumé à l'ail et au poireau, accompagné d'un pichet de cidre maison. Rémi avait présenté son ami comme un imagier de Provence qui avait travaillé un temps avec Maître Bernard et qui, ayant accompli une tournée dans le Nord, venait le rejoindre. Ce qui valut à Olivier la compagnie de Paulin. Celui-ci s'attabla devant lui avec un flacon d'eau-de-vie et entreprit de lui raconter sa vie tout en se versant de généreuses rasades. Olivier n'en accepta qu'à peine pour ne pas désobliger. Il se sentait tomber de sommeil et tous deux finirent par dormir avec application, l'un parce qu'il n'en pouvait plus, l'autre parce qu'il avait beaucoup bu… Cela ne parut pas poser problème à l'hôtesse. Elle desservit la table à sa façon en traînant son époux jusqu'à l'arrière-salle et en installant Olivier sur une couverture dans le recoin de l'âtre : il était trop grand et donc trop lourd pour qu'elle le hissât jusqu'à l'étage.
Ce fut là que Rémi le retrouva quand, au jour levé, il vint le chercher :
- J'ai parlé à mon père, cette nuit. Il accepte de vous voir, ce qui est plus que je n'en espérais.
- Le temps de me laver un peu et je vous suis.
Il faisait plus que frisquet ce matin-là. Cependant Olivier alla dans la cour tirer du puits un seau d'eau à l'aide duquel il réussit à faire une toilette suffisante, renonçant seulement à se raser : la froideur de l'eau aurait rendu l'opération pénible. Cela fait, il emprunta une brosse à Jacqueline qui le regardait faire avec admiration - son époux n'avait pas de ces délicatesses et c'est tout juste si elle parvenait à le traîner aux étuves un mois sur deux ! -, il remit de l'ordre dans ses vêtements, avala le bol de soupe qu'elle lui offrait avec une grosse tranche de pain et garda celui-ci pour le manger en route afin de ne pas mettre à trop rude épreuve la patience de « Maître Bernard ».
Ils le trouvèrent sur le chantier, occupé plan et équerre en main à donner des instructions à Cauvin qui salua Olivier d'une joyeuse bienvenue :
- Ça fait plaisir de retrouver la vieille équipe ! Il y a pas mal de bel ouvrage à réparer céans.
L'accueil de Mathieu fut moins enthousiaste. Après avoir répondu d'un mouvement de tête au salut de son ancien imagier, il lui fit signe de le suivre et le conduisit dans la cabane de la veille, mais ne l'invita pas à s'asseoir. Lui-même resta debout, adossé à la table, bras croisés de façon imparfaite, sa main droite soutenant son épaule blessée qui le faisait encore souffrir. Il en serait sans doute ainsi jusqu'à la fin de ses jours, surtout par temps humide et froid, pensa Olivier désagréablement impressionné par la mauvaise mine du maître d'œuvre. Son visage si plein, si majestueux autrefois s'était creusé d'une infinité de ravines comme en laissent en montagne les eaux de ruissellement. Le pli déterminé de la bouche se faisait amer et les yeux, sous le surplomb des sourcils presque blancs, étaient habités par une lueur bizarre, à la fois trouble et égarée que l'on n'y voyait jamais auparavant. Il attaqua sans s'encombrer de préambules :
- Ma mère est morte, m'a dit Rémi ?
- Oui. Saintement, en oubliant ses souffrances pour ne penser qu'à vous, maître. Si je suis ici, c'est parce qu'elle et dame Juliane l'ont demandé. Toutes deux vous implorent - et ce fut la dernière pensée de dame Mathilde ! - de renoncer au projet insensé qui est le vôtre et ne peut leur apporter qu'un surcroît de douleur et de larmes…
- Pourquoi ne parlez-vous pas de ma fille ? N'éprouve-t-elle pas les mêmes craintes ?
- Je ne lui ai point parlé, mais je sais qu'elle vous aime.
- Moins qu'elle ne vous aime vous, je pense, mais là n'est pas la question. Elles veulent que je revienne, n'est-ce pas ?
Olivier se contenta d'un soupir et d'un haussement d'épaules. Mathieu reprit alors, toujours sur le même ton tranchant :
- Jamais je ne reviens sur ce que je décide. Elles le savent fort bien !
- Et ce que vous décidez, c'est d'abattre Philippe sans vous soucier un seul instant des conséquences tragiques d'un tel geste sur vous sans doute - cela, je suppose, vous est égal ! -, mais aussi sur elles, ces pauvres femmes qui n'ont rien à faire d'un sacrifice offert aux mânes d'un mort parce qu'elles veulent simplement vivre. Et en paix si possible !
- Justement, ce n'est pas possible ! Philippe doit mourir parce que Maître Jacques l'exige.
- Votre foi en Dieu est-elle si faible et votre orgueil si grand que vous osiez vous croire choisi par le Seigneur pour être son envoyé ? Le Pape est mort, Nogaret est mot… et sans votre aide que je sache !
- Certes, certes ! Mais le Pape Clément était environné de cardinaux qui étaient autant d'ennemis potentiels, Nogaret universellement haï vivait en bourgeois. Le Roi, couronné à Reims, l'oint du Seigneur, c'est autre chose. Il faut qu'un homme se dévoue corps et âme à sa perte et cet homme, c'est moi !
- Belle certitude ! Où la prenez-vous ?
- Dans les commandements de Maître Jacques. Il m'est apparu à plusieurs reprises dans mon sommeil et ses paroles sont gravées en moi : « Frappe hardiment ! dit-il. Frappe sans hésiter et sans faiblir ! Tu délivreras tous ceux qui gémissent sous le joug de Philippe et ta récompense sera grande quand tu me rejoindras ! »
En parlant Mathieu s'exaltait en même temps que sa figure se tournait vers le toit de la cabane à défaut de ciel.
Olivier, lui, regardait Rémi. Celui-ci hocha la tête avec un mouvement d'épaules traduisant la résignation. Difficile, en effet, de discuter avec un homme en proie à de pareilles visions ! Un peu à bout d'arguments, Olivier reprit cependant :
- Et s'il ne va pas à Fontainebleau cette année ?
- Pourquoi dérogerait-il à une habitude qui lui est chère ? Il viendra. Maître Jacques l'a promis, répondit Mathieu avec l'obstination de l'illuminé tellement sûr de son fait qu'il écarte systématiquement tout ce qui tente de se mettre en travers de son idée fixe.
Depuis qu'il le connaissait, Olivier estimait infiniment l'intelligence, la clarté de vues et le talent de ce maître d'œuvre au grand cœur et il lui était douloureux de voir tant de belles qualités - à l'exception de l'art de construire toutefois ! - se dissoudre dans une obstination aussi pernicieuse mais, comme il n'aimait pas non plus s'avouer vaincu, il essaya encore quelque chose :
- Avez-vous songé que, le Roi mort, Gontran Imbert se croira peut-être autorisé à revenir assouvir à Passiacum une sorte de vengeance ?
- Il n'a pas été pendu, celui-là ?
- A mon grand regret il a seulement été condamné à être fouetté devant le peuple, exposé au pilori avec l'interdiction formelle de s'approcher du Clos des Abeilles à moins d'un quart de lieue… mais quand la poigne de fer de Philippe disparaîtra, le Hutin ne sera guère difficile à manœuvrer.
Mathieu lui jeta un regard furieux :
- On s'en occupera en temps utile ! N'importe, vous savez ce que je pense de cette maison ! Le plus tôt mon épouse et ma fille en sortiront sera le mieux. Et puisque la quasi-impotence de ma pauvre mère ne les y retient plus, je vais envoyer Rémi les chercher. Il y a suffisante place pour elles dans ce logis que les chanoines m'ont donné. Au moins, nous y serons ensemble et prêts à gagner la frontière de l'empire une fois ma besogne accomplie !
- Parce que vous imaginez que vous en sortirez vivant ? Même si votre cible vient ici en petit appareil, il y aura toujours au moins quelques gardes, et messire de Pareilles qui n'a pas les yeux dans sa poche et qui ne vous fera pas de quartier. Que deviendront-elles en ce cas ? Vous n'êtes pas assez fou pour penser que les chanoines les garderont benoîtement alors que vous aurez trahi votre engagement envers eux pour devenir régicide ?
- Dieu y pourvoira ! Dieu… et Maître Jacques !
Décidément c'était sans espoir ! Olivier baissa les armes :
- Vous avez vraiment réponse à tout ! Ecoutez… laissez-les en repos pour le moment ! La saison s'avance. Les chemins vont devenir difficiles, surtout si neige et gel sont précoces. Une dure épreuve pour des femmes dont le deuil vient à peine de commencer. Accordez-leur un peu de temps pour pleurer dame Mathilde, votre noble mère, si tôt après la fin cruelle de dame Bertrade !
Persuadé d'avoir remporté la victoire, Mathieu laissa son visage et sa poitrine se détendre en poussant un pro fond soupir…
- Peut-être, peut-être ! Patientons encore un brin ! Il suffira de les envoyer chercher quand… ma cible - le mot lui avait plu ! - s'annoncera. Pour l'heure remettons-nous au travail ! Vous pouvez en prendre votre part, Olivier, si, comme le prétend mon fils, c'est votre désir…
- C'est mon désir, mais pas aujourd'hui. Rémi a dû vous dire que je ne fais que passer sur la route qui mène en Provence, mon pays natal et que, si j'ai souhaité faire halte ici pour répondre à la demande de votre mère et aussi pour la joie d'œuvrer quelques jours sous vos ordres comme naguère, je n'ai plus le droit de revenir à Paris.
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