- Quereller, moi ? fit Courtenay avec dédain. Vous avez dû lui donner toute assurance sur votre sort ! Alors pour quoi est-il revenu ?
- A ma demande ! Nous étions tellement en souci de vous que ma chère grand-mère est tombée malade… et Maître Gildas étudie la médecine.
Elle n'eut pas le temps d'en dire davantage. Juliane arrivait en courant avec sur sa figure cette joie que le revenant espérait tant voir dans les yeux d'Aude. Sans un mot, elle se jeta à son cou et l'embrassa à plusieurs reprises à gros baisers sonores :
- Vous voilà enfin ! Mon Dieu ! Nous avions si peur et il était impossible d'apprendre la moindre nouvelle !... Ah que le Seigneur soit béni ! Vous êtes vivant ! Mais venez vite, notre bonne mère vous réclame avec impatience !... Elle décline, à l'évidence…
Sans plus s'occuper des autres, elle saisit Olivier par la main pour l'entraîner à sa suite. Il se laissa emmener, soulagé de rompre un entretien houleux qu'il commençait à se reprocher parce qu'il s'estimait ridicule de l'avoir engagé. Si peu de temps après avoir échappé à une mort abominable et fait tant d'efforts pour se tourner vers les splendeurs de l'éternité, il retombait sur la terre à un niveau indigne de lui. Assurément, il n'avait pas le droit d'aimer cette fille et moins encore de s'immiscer dans la vie qu'elle se choisissait. Il fallait oublier une bonne fois pour toutes les paroles de Bertrade. D'ailleurs, elle pouvait s’être trompée…
Mathilde reposait dans l'une des deux chambres de l'étage et il suffit d'un regard à Olivier pour comprendre que la fin approchait. La respiration était difficile, stertoreuse et, sur le visage décoloré aux yeux creux, les ailes du nez se pinçaient déjà, mais elle réussit à esquisser un sourire pour le visiteur. Elle souleva même vers lui une main qu'il prit dans les siennes.
- Vous êtes là, souffla-t-elle. Dieu… en soit loué !
- Ne parlez pas ! Cela vous épuise.
- Il faut… que je parle. A vous… seul !
Elle n'eut pas besoin de se répéter. Dociles, les trois femmes passèrent dans la pièce voisine cependant qu'Olivier s'agenouillait près du lit pour être plus proche de la malade :
- Vous avez quelque chose à me confier ?
- Mon fils ! Il devient fou… Il se croit… l'instrument du Grand Maître… et veut tuer le Roi. Il faut… l'empêcher !
- Comment faire ? Je ne sais même pas où il est !
- A Corbeil… chez les chanoines de Notre-Dame…
- Il travaille après avoir juré…
- Ce n'est pas… une cathédrale… et surtout… il attend que… le Roi… comme chaque automne… aille chasser… à Fontainebleau. Il croit…
Une crise d'étouffement lui coupa la parole et la rejeta sur le côté. Olivier la prit dans ses bras pour la soulever et l'aider à respirer. Ce faisant, il vit qu'elle avait subi plusieurs saignées et qu'il n'y avait sans doute plus beaucoup de recours. Doucement, il la reposa sur les oreillers, prit au chevet une petite écuelle à demi pleine d'un liquide foncé qu'il huma et dont il but quelques gouttes. C'était une tisane où entraient certainement du lierre et de l'aunée - preuve que le jeune Gildas n'était pas si maladroit ! Il souleva de nouveau Mathilde pour lui en faire boire mais elle n'en avala qu'à peine une gorgée et détourna la tête en crachant le reste.
- Non, inutile ! souffla-t-elle. Je vais mourir et c'est bien ainsi. Vous… par pitié, allez rejoindre… mon fils ! Il faut… le sauver… de lui-même.
Elle ferma les yeux avec un gémissement qui fit accourir Juliane. A l'aide d'un linge, celle-ci essuya le liquide qui avait coulé sur le menton et le cou, puis arrangea le drap, les oreillers.
- Je vais rester près d'elle à présent, mais vous, messire, il faut vous cacher. Aubin a été chercher le curé d'Argenteuil : il ne va pas tarder à arriver.
- Me cacher ? Non. Je m'en vais. J'étais seulement venu vous dire adieu.
- Adieu ? Mais pourquoi ?
- Je suis banni du royaume. Le Roi a ma parole…
- Oh, mon Dieu ! Où devez-vous aller ?
- En Provence. Je rentre chez moi, à Valcroze… si tant est que j'aie encore un chez moi !
- Et si vous n'en aviez plus ?
- Il me restera le pays… mes belles gorges du Verdon et tous les braves gens qui me connaissent… Je saurai y vivre : une hutte de berger suffira…
A l'évocation de ses terres d'enfance, le dur visage se chargea d'une lumière de tendresse, mais l'agonisante avait entendu :
- Alors… vous n'aiderez pas Mathieu ?
Elle se mit à pleurer et bien sûr à tousser, et le bruit de sa respiration était effrayant. Juliane s'empressa pour l'aider en murmurant :
- Elle ne cessait de dire que vous seul pouviez détourner Mathieu de son dessein. J'avais beau lui répéter que vous étiez prisonnier… que peut-être on ne vous reverrait pas, mais elle s'entêtait à assurer que vous reviendriez. Et vous êtes là.
Il y avait un reproche dans sa voix, dans ses yeux qui suppliaient. Il se sentit soudain las. En venant avant la séparation définitive, il espérait un moment de sérénité, d'affection née de l'inquiétude où l'on avait été de lui, quelque chose à emporter avec lui comme un viatique et qui lui tiendrait chaud le reste de sa vie. Mais il avait trouvé Aude bavardant avec Gildas désormais en pied dans la maison. Si Juliane s'était jetée à son cou avec cette fougue, c'était parce que la prédiction de Mathilde se réalisait et que l'on comptait sur lui pour ramener Mathieu à la raison. C'était triste mais il fallait accepter les faits comme ils viennent : dans cette demeure il n'avait été qu'un passant secouru qui avait encore une dette à payer.
- Où se trouve Corbeil ? demanda-t-il.
- A sept ou huit lieues au nord de Fontainebleau et Fontainebleau est…
- Je sais où c'est. Il m'est advenu… en d'autres temps, de me rendre à la grande commanderie de Dormelles et même d'y séjourner. Ce n'est pas très loin et je connais le manoir royal.
- Vous voulez y aller ?
- Pourquoi pas ? C'est la route du sud que je dois emprunter et l'on ne m'a pas imparti une durée précise pour la parcourir. Avec votre permission, je vais prendre dans le fruitier les quelques hardes que j'y ai laissées et je pars…
- Quoi ? Déjà ? La journée est avancée. Restez au moins cette nuit.
- Non. Je n'aime pas les adieux qui s'éternisent. D'ailleurs…
Le son d'une clochette venait de se faire entendre au-dehors : le curé d'Argenteuil arrivait avec les Saintes Espèces, flanqué sans doute d'un enfant de chœur. Olivier descendit juste à point nommé pour voir le prêtre pénétrer dans la maison, tenant en main le ciboire protégé sous son étole violette. Olivier mit genou en terre sur son passage et se releva quand l'escalier grinça sous son pas. Aude était devant lui, mais Gildas était derrière elle. Il s'inclina en un froid salut :
- Adieu, demoiselle ! Je vais faire en sorte de ramener votre père à la raison et de vous le renvoyer.
- Il ne reviendra pas parce qu'il ne veut pas habiter dans ce qui m'appartient.
- Nous verrons ! Ma tâche accomplie, je poursuivrai mon chemin…
- Mais il ne vous écoutera pas ! Il est furieux de ce que vous avez tenté pour nous.
- Soyez sûre que je ferai en sorte qu'il m'écoute. Rémi est avec lui, je suppose ?
- Oui, mais…
- A nous deux nous réussirons ! Adieu, demoiselle ! Votre mère vous appelle pour la cérémonie.
Et il sortit de la maison. Aude voulut le suivre, mais Gildas la retint.
- Vous devez monter ! Moi je vais lui parler.
Le jeune homme gagna le jardin au moment où Olivier entrait dans son ancien logis et, n'osant pas l'y rejoindre, il choisit de l'attendre. Pas longtemps d'ailleurs : au bout de quatre ou cinq minutes, Olivier sortit avec à l'épaule un sac où il avait mis ses vêtements de rechange, qu'il avait trouvés propres et repassés. Il fronça le sourcil en se trouvant nez à nez avec Gildas :
- Que voulez-vous ?
- Savoir pourquoi vous me détestez. Car vous me détestez, n'est-ce pas ?
- Je n'ai guère de raisons de vous aimer. On vous avait interdit de venir ici et vous avez sauté sur le premier prétexte venu pour accourir et vous rendre utile. Vous avez fait du bon travail, je le reconnais, mais pour un futur prêtre vos raisons profondes me semblent un peu troubles…
- Je serai médecin… et non clerc, n'ayant pas la vocation suffisante comme je le croyais.
- C'est la fille de la maison qui vous a converti ?
- Vous devriez me comprendre. N'étiez-vous pas Templier ?
- Je le suis toujours. Mes vœux, à ma connaissance, ne sont pas rompus.
- Un légiste dirait qu'ils sont caducs puisque le Temple n'existe plus. Cela ne vous empêche pas d'être amoureux d'elle comme je le suis. Devons-nous pour autant être ennemis alors que nous avons combattu ensemble ?
- Je ne suis pas votre ennemi. Je veux seulement que vous me laissiez en paix. J'ai une longue route devant moi.
- Commençons-la ensemble ! Dès que le prêtre en aura fini, je prendrai congé et nous rentrerons à Paris.
- Paris m'est interdit.
- Dans ce cas il faut que vous franchissiez la Seine. Raison de plus pour que j'aille avec vous. Nous trouverons sans doute une barque et je vous ferai traverser.
- Et moi j'entends me passer de votre compagnie…
Ecartant le jeune homme, Olivier se dirigea rapidement vers la clôture, mais Gildas ne voulait pas en rester là. Il lui emboîta le pas et sortit avec lui sur le chemin qui menait à la Seine.
- Au nom de Dieu, ne soyez pas si têtu. Laissez-moi vous apporter le peu d'aide dont je suis capable.
- Pourquoi ? Pour pouvoir vous en vanter auprès de votre belle ?
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