- Le Grand Maître et le Précepteur de Normandie n'ont pas eu à l'endurer, se hâta de dire le religieux qui reprenait courage. Je dois vous apprendre aussi qu'il vous est possible de changer la sentence et de périr par l'épée du bourreau.
- En échange de quoi ? Cette clause de mansuétude n'est certainement pas gratuite !
- Bien entendu. Le bûcher vous sera épargné si vous donnez les noms de ceux qui participaient à votre tentative d'arracher le Grand Maître à son sort.
- Je me disais aussi…
Le mépris arqua les lèvres de Courtenay. Apparemment, la disparition du Pape, celle de Nogaret n'avaient rien appris à Philippe le Bel. Jusqu'à son heure dernière sans doute, même s'il la croyait proche, il continuerait à traquer les pauvres vestiges du Temple jusqu'au fond de la terre afin d'en arracher les plus infimes racines.
- Je n'ai aucun nom à donner, dit-il enfin. Mes compagnons de ce terrible soir, je ne les connais pas…
- C'est un mensonge, mon fils, et vous le savez. Oubliez-vous Mathieu de Montreuil et son fils ?
- Evidemment non, mais ce sont les seuls - Dieu ait leur âme ! Les autres m'étaient étrangers.
- A qui le feriez-vous croire ? Il y en avait quantité qui travaillaient avec Mathieu sur le chantier des contreforts de Notre-Dame et vous y avez travaillé aussi. Vous ne pouvez pas les ignorer… Et songez, mon fils, que le mensonge détruit l'homme !
- Moins que le déshonneur… et moins surtout que les flammes qui demain me réduiront en cendres. L'épée me serait douce… Mais je n'ai rien à livrer pour l'obtenir.
- Réfléchissez, mon fils ! Jusqu'à l'ultime instant il vous sera possible…
- Par grâce, mon père, brisons là-dessus !
- Comme vous voudrez. Nous allons donc commencer les prières que nous poursuivrons tout au long de la nuit.
- Non. Pardonnez-moi, mais ce que j'attends de vous c'est que vous m'entendiez en confession et que demain vous m'apportiez le viatique pour le pénible voyage qui libérera mon âme. Pour cette nuit je prierai seul… et je dormirai !
- Dormir ? s'écria Sidoine presque indigné. Vous pensez vraiment y parvenir ?
- Il en sera ce que Dieu voudra. Je préfère être seul en face de Lui…
Avec un soupir résigné, le chapelain s'assit sur la couche de pierre, indiquant du geste à Olivier de s'agenouiller devant lui et, durant quelques minutes, la voix étouffée du pénitent se fit entendre. Il s'accusa, bien sûr, d'avoir menti et le confesseur l'interrompit :
- Dans un instant vous en serez absous, mais qu'en sera-t-il demain lorsqu'on vous posera à nouveau la même question ?
- Le silence n'avoue ni ne ment.
La confession achevée, Olivier reçut l'absolution que Sidoine lui donna en pleurant. C'était la première fois qu'il assistait un condamné à mort et le sort qui attendait celui-là le bouleversait. C'était un brave homme, simple comme une chèvre, et il avait remercié le Ciel que son office, dans ce petit château royal qui n'en avait vraiment pas l'apparence, l'eût tenu à l'écart durant les années écoulées du grand drame où s'était englouti le Temple. Et voilà qu'on allait encore en brûler un, le dernier de tous peut-être, et qu'il fallait que cela lui tombât dessus ! La pensée de devoir, le jour suivant, l'escorter au supplice et l'y soutenir jusqu'au bout lui mettait le cœur au bord des lèvres.
Après une dernière et tremblante bénédiction, il s'apprêtait à sortir quand le prisonnier demanda :
- Encore un mot, mon père ! Mon exécution sera-t-elle publique ?
- Non. Je vous l'ai dit, ce sera dans la cour, en bas, et les portes seront fermées jusqu'au moment où vos cendres seront jetées à la Seine… Le Roi veut le secret.
- Merci !
Olivier se sentit un peu soulagé. La pensée qu'étaient accourues avec les gens du hameau - et ceux de plus loin encore peut-être ! - à ce spectacle imprévu, les dames du Clos des Abeilles, et qu'elles pourraient assister à son affreuse agonie, le bouleversait. Se défaire lentement sans pouvoir peut-être retenir des cris de souffrance sous les yeux incrédules d'Aude lui était insupportable car ce serait cette dernière image qu'elle garderait de lui. Sans compter ce qu'elle pourrait tenter pour le sauver. Bertrade n'avait-elle pas dit qu'elle l'aimait ? Il l'imaginait allant se jeter aux pieds du Roi, implorer sa grâce et ne réussissant qu'à se mettre elle-même en danger. Or à cet instant où il savait n'avoir plus rien à attendre des hommes, il s'accordait le droit de s'avouer une vérité : il aimait la jeune fille avec une passion qui ne cessait de grandir au point de l'effrayer. La belle image de leurs âmes volant ensemble vers l'éternité lui apparaissait à présent comme un leurre. Ce corps merveilleux dont le souvenir l'habitait, il le désirait avec une violence qui l'épouvantait parfois. Il s'en était confessé au prêtre et avait été tenu quitte, mais cet aveu même, le simple fait d'en prononcer les paroles n'avait fait qu'accroître la brûlure.
En dépit de son courage il dormit peu cette nuit-là. Nul homme, si vaillant soit-il, ne peut envisager sans trembler la mort par crémation. Il pria intensément. Surtout pour que lui soit donné de calquer son attitude sur celle du Grand Maître. Lui ne maudirait personne. Ce serait la seule différence. Pas même ce roi qui lui refusait de périr sous le noble fil de l’épée à moins qu'il ne livre ceux de ses compagnons supposés encore vivants et surtout Hervé, son frère. Il espérait seulement que les souvenirs d'autrefois, le fier compagnonnage du Temple, le soleil d'Orient et surtout sa jeunesse à Valcroze entre ceux qu'il avait tant aimés le soutiendraient jusqu'au bout. Les flammes en faisant de lui un martyre allaient lui ouvrir les portes de la lumière ou il retrouverait sa mère, frère Clément et sans doute aussi son père dont il ne savait plus rien depuis si longtemps…
Le matin qui se leva était gris et brumeux. L'automne était arrivé et le temps, en vérité, avait passé vite. De toute façon, il ne lui en restait plus guère. Quand le père Sidoine vint, portant l'hostie et précédé d'un jeune clerc dont la sonnette agenouillait tout le monde sur son passage, Olivier le reçut à genoux lui aussi et communia avec une grande ferveur. Il y avait nombre de mois qu'il n'avait approché le Corps du Christ ! Au Temple, on ne le recevait que trois fois l'an, mais leur dernière rencontre était plus lointaine et le condamné y puisa un beau réconfort. Puis survinrent les soldats qui allaient l'escorter. Alors il ôta ses vêtements, ne gardant que sa chemise et ses braies. Puis, pieds nus et les mains liées devant lui, il les suivit dans l'étroit escalier.
Bien qu'il s'y fût préparé, ce qu'il vit dans la cour lui serra la gorge : à gauche il y avait un billot et une lourde épée appuyée dessus, et à droite le bûcher. Mais ce n'était pas l'amoncellement de bois et de paille de l'îlot des Juifs, celui-là n'était qu'un maigre tas de bûches et de paille autour d'un poteau muni d'une planchette pour les pieds. Cela voulait dire qu'on allait le brûler à petit feu et que son supplice durerait une éternité de souffrance.
En face de lui, Olivier devenu blême vit le Roi, assis devant l'escalier de la tour avec, auprès de lui, Alain de Pareilles et le vieux Fourqueux. C'est vers eux d'abord qu'on le mena. S'il plia le genou, il se releva aussitôt et planta, avec audace, son regard dans celui tellement immobile de Philippe. Comment avait-il pu espérer que les morts du Pape et de Nogaret inclineraient cette statue du pouvoir à l'indulgence ? Il découvrait à cet instant qu'il n'en était rien et que la cruauté de cet homme restait intacte. Il en éprouva un vague dégoût.
- N'avez-vous rien à dire ? demanda le Roi.
- Non, si ce n'est qu'en priant Dieu de me recevoir en Sa Sainte Grâce, je lui demande d'en faire autant pour le Roi de France, bien que cela me semble plus difficile !
Le beau visage ne frémit même pas. Au contraire, l'ombre d'un sourire flotta un instant sur les lèvres minces :
- Vous voyez là-bas l’épée du bourreau. Un nom seulement et c'est elle qui vous délivrera !
- Et mon âme lourde de honte ne pourra ouvrir ses ailes pour monter au Ciel ? Non, sire !
- Alors qu'il en soit fait à votre volonté. Messire Alain, l'accompagnez !
Le capitaine eut un mouvement de recul. Olivier crut qu'il allait refuser, ce qui le mettrait dans un mauvais cas. Cette exécution décidément ne ressemblait à aucune autre. Il dit :
- La présence d'un chevalier m'aidera.
Leurs regards se rencontrèrent et le condamné vit une larme dans les yeux de Pareilles. Le père Sidoine, lui, pleurait sans retenue en bredouillant les prières des agonisants tandis que le châtelain mâchait férocement sa moustache.
Au bûcher, l'exécuteur fit monter Olivier sur la planchette et le lia au poteau. Une pluie fine se mit à ce moment à tomber et le condamné pensa avec désespoir que le bois brûlerait encore plus mal. Il leva sa tête vers le ciel pour en sentir la fraîcheur sur son visage tétanisé par l'effort qu'il s'imposait pour maîtriser sa peur. En lui-même il priait éperdument le Seigneur et Notre-Dame de le secourir, de l'aider à bien mourir. Quand il vit le bourreau approcher sa torche, il ferma les yeux… et les rouvrit presque instantanément en entendant la voix coupante du Roi :
- Arrête, bourreau !
Surpris, l'homme se détourna mais la paille s’enflammait déjà. Pareilles alors se jeta sur lui, l'écarta et se mit à piétiner furieusement les flammes. Puis il se tourna vers son maître :
- Que veut le Roi ?
- Déliez cet homme, messire Alain, et me l'amenez !
Ce fut fait avec diligence et un enthousiasme qui en disait long sur les sentiments intimes du capitaine, mais il lui fallut soutenir Olivier qui, les jambes fauchées, manqua tomber, se ranima en sentant, avec bonheur, le sol froid sous ses pieds nus. Cependant, quand Pareilles le lâcha devant le Roi, il se reçut sur les genoux sans que sa volonté y fût pour quelque chose mais sa tête ne se courba pas.
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