Mathieu fit un geste pour écarter son fils, mais sa main retomba.
- Après tout… qu'elles le gardent ! Lorsque j'en aurai fini elles pourront nous rejoindre. Viens, nous partons !
- Pas moi, mon père ! Qui les protégera si je vous suis ? Aubin est bien vieux…
- Elles ont Philippe ! Que pourraient-elles craindre avec un tel protecteur ? Les chanoines de Corbeil attendent un maître d'œuvre et un imagier.
Rémi montra du doigt les poutres du plafond :
- Il y en a un bon qui, là-haut, est peut-être promis à la mort. Si par malheur cela devait arriver…
- Je le répète : il a choisi son destin !
- Mais Aude en éprouverait une telle souffrance : il faut que je reste.
- Ta mère saura mieux que toi panser une blessure de cœur.
Juliane intervint encore :
- Cette fois ton père a raison. Et moi je préfère te savoir avec lui. Nous n'avons rien à craindre ici tandis qu'il va se mettre en danger…
Elle attira le jeune homme contre elle en glissant ses bras autour de son cou pour mieux approcher son oreille :
- Tu pourrais te mettre à la traverse de son projet insensé… Je vais prier pour que tu réussisses, souffla-t-elle.
- Je ferai de mon mieux, répondit-il en lui rendant son baiser. Puis tout haut, il ajouta : Il en sera comme vous le désirez, père, mais par grâce, accordez-vous, et à moi aussi, un moment de repos. Nous partirons à l'aube. Je vous en prie… Je… je suis las et vous devez l'être plus que moi !
L'œil sombre de Mathieu ne s'éclaira pas :
- Peut-être, admit-il. Mais qu'on ne m'importune point !
Et il alla s'asseoir près de la fenêtre sur laquelle fleurissaient un pot de giroflées, sans plus adresser la parole à personne. Avec un geste d'impuissance vers les deux femmes, Rémi le regarda s'installer puis sortit dans le jardin à la recherche de sa sœur. Il la trouva assise près du puits, les coudes aux genoux, le menton relevé sur ses mains croisées, regardant vers ce qu'il pensait être le ciel. En s'approchant, il vit - chose dont il ne s'était pas aperçu - qu'à cet endroit une trouée dans les arbres permettait d’entrevoir la haute tour du château. Il alla s'asseoir à côté d'Aude et, l'entendant renifler, comprit qu'elle pleurait. Il entoura alors de son bras les épaules de la jeune fille :
- Il ne faut pas en vouloir à notre père, murmura-t-il. Depuis la mort du Grand Maître, cette blessure qui l'a amoindri et la fin tragique de notre tante, il n'est plus le même. Je m'en suis rendu compte quand nous étions à Gentilly ces jours derniers…
- Ce n'est pas sur lui que je pleure, mais sur celui qui est captif. Ce qu'il a obtenu du Roi tient du miracle et j'ai tellement peur pour lui ! Pensez-vous qu'il serait possible de l'ôter de là ?
Rémi sursauta :
- Une évasion ? C'est à cela que vous songiez ? Je comprends pourquoi vous pleurez ? C'est absolument impossible !
- Et pourquoi non ? Le Roi est reparti : il n'y a plus ici que le vieux châtelain et quelques hommes…
- ... plus de grosses murailles, des portes solides, sans compter que nous ne savons pas où se trouve sa prison. Ne rêvez pas, ma sœur, et sachez que je suis aussi malheureux que vous ! Je l'aime bien…
- Moi, je l'aime ! C'est toute la différence. Il est une partie de moi et, s'il meurt… de cœur ne me restera plus. Alors aidez-moi !
Il la regarda avec un étonnement mêlé de tristesse. Les larmes ne coulaient plus. La voix était soudain ferme et Aude paraissait transformée : elle n'était plus une jeune fille rêvant un impossible amour, mais une femme aussi déterminée que l'étaient sa mère, sa grand-mère, et prête à tout risquer pour l'homme qu'elle aimait.
- Je le voudrais bien mais je ne vois pas comment.
- Un geôlier, ça s'achète !
- Vous délirez ? Nous n'aurons bientôt plus ni sou ni maille. Avec quoi le pourrions-nous ?
- Avec ceci !
Aude fouilla dans la petite aumônière pendue à sa ceinture et en tira un objet rond et dur qu'elle lui mit dans la main. A la lumière de la lune, Rémi vit que c'était un fermail précieux orné de belles pierres dont la couleur ne se révélait pas. Sans lui laisser le temps de poser une question qui coulait de source, Aude y répondit :
- Ce joyau ornait le plus beau manteau de Madame Marguerite. Elle me l'a remis au moment où elle est partie, en disant que ce serait ma dot s'il lui était impossible de le réclamer…
- Ce qui me surprendrait beaucoup : si même on la tirait de Château-Gaillard, ce ne pourrait être que pour un couvent sévère… mais par quel moyen avez-vous réussi à conserver ce bijou ?
Afin de ne pas réveiller un abominable souvenir, il n'ajouta pas qu'elle était nue comme Eve au premier jour eu quittant la Tour de Nesle mais déjà Aude expliquait :
- C'est Gontran Imbert qui l'a rapporté sans le savoir dans le paquet de vieilles hardes qu'on lui avait remis là-bas et dont il n'avait pas osé se débarrasser avant d'arriver ici. Quand j'ai défait le ballot, le fermail m'est tombé dans la main : il était au fond d'un soulier usagé. Cette agrafe vaut très cher, savez-vous ? Madame Marguerite l'avait achetée à Maître Pierre de Mantes peu de temps avant de partir pour Maubuisson et…
Au lieu de prendre le joyau qu'elle lui tendait, Rémi referma sur lui les doigts de sa sœur.
- Si beau qu'il soit, si cher qu'il vaille, aucun geôlier ne l'accepterait, sachant bien qu'il y laisserait sa tête… et vous avec : il serait trop facile de vous accuser de l'avoir volé !
- Mais on peut le changer en pièces d'or. Maître Pierre de Mantes le reprendrait peut-être…
- Pour le revendre à qui ? Il n'y a plus de princesses au palais de la Cité et l'orfèvre n'aura pas la moindre envie de risquer la colère du Roi… ou même celle du Hutin. Je suis conscient de vous faire peine, ma sœur, mais tout ce que vous en pouvez faire c'est le tenir soigneusement caché… et prier, prier, prier encore afin que Dieu et Notre-Dame aient pitié de messire Olivier.
- Il doit y avoir une solution ! Voulez-vous donc l'abandonner… et moi avec ? S'il meurt…
- Pourquoi voulez-vous qu'il meure ? On s'est contenté de l'enfermer et de le laisser là alors qu'il était si facile de l'exécuter sur l'heure ou de le ramener au Châtelet comme Imbert afin de le livrer aux juges. Peut-être l'oubliera-t-on simplement ici ? N'importe, le temps me manque pour tenter quoi que ce soit : à l'aube je repars avec notre père.
- Que ne le laissez-vous poursuivre seul sa folie ? s'écria-t-elle avec une irritation qu'il ne lui avait jamais vue et qui le désola.
- Notre mère le veut pour que j'essaie justement de le défendre de lui-même. C'est mon père, Aude, et il m'est infiniment cher même si je n'arrive plus à le comprendre. Ne vous l'est-il plus, et cet amour que vous portez en vous comme une déchirure vous détourne-t-il de vos parents ?
- Vous savez bien que non.
Et elle se jeta à son cou. Pleurant de plus belle et ne sachant plus très bien si ses larmes lui venaient de l'angoisse sur le sort d'Olivier ou de la souffrance de voir sa famille ainsi éclatée par l'intransigeante fidélité de son père à ce qui n'existait plus…
Vers le milieu du mois d'octobre, Olivier apprit qu'il allait mourir.
Ce fut le chapelain qui vint le lui annoncer une heure environ après que l'arrivée soudaine du Roi dans le château eut déchaîné une sorte de branle-bas de combat. De toute évidence la commission ne lui plaisait pas. D'autant plus qu'elle lui inspirait le remords de n'être encore jamais venu voir le prisonnier. Non par choix délibéré ou parce qu'il le pensait présent pour longtemps et ne voyait pas l'urgence d'une visite, mais parce qu'il souffrait d'articulations rhumatisantes qui lui rendaient pénibles les raides escaliers du château. C'était déjà bien suffisant de monter deux fois le jour au premier étage du donjon pour les repas et les parties d'échecs du châtelain ! Le reste du temps, il ne quittait guère la maisonnette accolée à la chapelle. Aussi, le père Sidoine - c'était son nom - n'en était-il que plus malheureux de faire coïncider sa première entrevue avec une telle nouvelle. Il essaya de l'envelopper un peu en ajoutant qu'il resterait auprès du condamné jusqu’au moment fatal, mais il n'en fut pas plus à l'aise pour autant face à ce prisonnier aussi froid et silencieux que pouvait l'être le Roi Philippe. Il l'avait écouté sans broncher et, à présent, le regardait transpirer et chercher ce qu’il pourrait ajouter jusqu'à ce qu'enfin il émît d'une belle voix, à la fois grave et douce :
- N'est-il plus d'usage d'être jugé avant d'être condamné ? Je n'ai été traduit devant aucun tribunal, que je sache ?
- En… en effet, mais notre sire le Roi vous a entendu. N’est-ce pas le juge suprême ?
- Le juge suprême ? Je pensais que, pour un prêtre, aucun souverain terrestre n'avait droit à ce titre, fit Olivier avec dédain.
- Certes, certes ! Je voulais dire qu'en ce bas monde un roi possède toujours sur ses sujets droit de vie ou de mort. En l'occurrence, notre sire a pris longtemps conseil de lui-même et décidé en son âme et conscience. C'est pourquoi demain matin vous serez exécuté dans la cour du château… par le feu !
Le mot réussit à entamer la cuirasse qu'Olivier s'était forgée durant sa solitude. Sa gorge se sécha :
- Le feu ? Comme un sorcier, alors que je suis chevalier ?
- Vous étiez Templier, messire, et beaucoup sont morts sur le bûcher qui ne s'étaient jamais rebellés contre l'autorité royale. Le Grand Maître lui-même…
- N'essayez pas d'expliquer davantage, mon père ! Quand je me suis rendu ici, je m'étais préparé à la mort. Il est certain que ce visage-là n'est pas celui que je préfère… surtout si je dois subir la torture préalable.
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