- Courtenay ? De quelle branche ?
- De Terre Sainte, sire ! Celle qui, au temps des premiers Rois francs de Jérusalem, régnait sur Edesse et Turbessel !...
Le vent des mers d'azur et des déserts brûlants entra peut-être sous la voûte de pierre à l'énoncé de ces noms prestigieux. L'immobile image de la majesté royale s'anima et les yeux de glace bleue se posèrent sur Olivier :
- J'ignorais qu'il en existât encore. Expliquez !
- Mon aïeul, Thibaut, élevé avec le roi Baudouin IV…
- Le Lépreux ?
- Oui, sire. Il a vécu avec lui au palais de la Tour de David, il fut aussi jusqu'à la mort sublime du Roi son écuyer et son fidèle ami. Mon père, Renaud, a servi le saint roi Louis en tant qu’écuyer de Monseigneur d'Artois, durant sa première croisade. Ma mère avait nom Sancie de Signes. Elle est retournée à Dieu il y a sept ans et je ne sais si mon père vit toujours sur ses terres de Provence.
- Vous avez des frères ?
Les mots tombaient de la bouche altière, aussi froids qu'en un tribunal ; mais Olivier, en parlant de ceux qu'il aimait, sentait se dissiper son malaise :
- Je suis enfant tardif. Après ma naissance, ma mère n'a plus procréé.
- Vous êtes marié, je suppose, car vous n'êtes plus un jouvenceau et si vous êtes le dernier d'une si noble lignée…
La pointe d'ironie teintée de dédain n'échappa pas à Olivier. Il sentit qu'au vu de son accoutrement n'évoquant en rien la grande noblesse, on ne le croyait pas tout à fait.
- Non, sire, et ce fut le grand regret de ma mère.
- Pourquoi ?
Le moment critique était venu. Olivier ne recula pas. Il s'était préparé à mentir afin de préserver la famille de Mathieu, mais en aucun cas pour lui-même. Sa franchise lui permettrait peut-être, avant de mourir, d'arracher la sauvegarde de Juliane, d'Aude, de Mathilde et de Margot. L'échine plus raide que jamais, il garda les yeux ouverts, ne cilla pas en répondant :
- J'avais choisi le Temple, sire, pour la gloire des armes au service du Dieu Tout-Puissant…
- Le T… ! Et vous osez me le dire en face ?
Dans son coin, Gontran Imbert émit un petit hoquet. Ce qu'il venait d'entendre devait lui déverser un plein tombereau d'espoir, mais Olivier ne s'en affecta pas :
- Pourquoi non, puisque c'est la vérité ? L'honneur commande de la dire au Roi et je n'en redoute pas les conséquences !
- Vraiment ?
- Vraiment. Ma vie n'a aucune importance.
- Nous allons en juger. Messire Alain… mettez cet homme aux fers… en attendant mieux !
Pareilles ne bougea pas. Il s'apprêtait peut-être à dire quelque chose quand Olivier le devança. A nouveau il plia le genou.
- Que, par grâce, le Roi m'accorde encore une minute et veuille se souvenir que je venais lui demander justice ! Ensuite il fera de moi ce qu'il lui plaira.
- Vous ne manquez pas d'audace !
- Je suis chevalier, sire… et c'est le plus éminent de nous tous que je prie au nom de la règle inflexible que nous recevons au jour de l'adoubement : protéger toute faiblesse…
- Soit ! Parlez… mais faites vite !
- Dans un clos de ce hameau vivent quatre femmes qui oui tout perdu. Elles ont trouvé refuge dans la maison de Dame Bertrade Imbert, la sœur de l'une d'elles, qui était à la robe de la reine de Navarre…
- Il est des noms qui ne nous plaisent pas à entendre !
- Que le Roi me pardonne, mais je ne peux éviter celui-là. Comme les autres serviteurs de cette princesse, Dame Bertrade, après avoir été tourmentée par le prince Louis dans son hôtel de Nesle, a été mise dans un sac et jetée au fleuve. Sa nièce, une pure jeune fille trop belle pour son malheur, a manqué subir le même sort. Elle, c'était parce qu'elle se refusait d'entrer au lit du prince…
- Comment le savez-vous ?
- J'y étais, sire. Avec quelques compagnons nous avons délivré les captifs de Monseigneur Louis.
- Ah, c'était vous ? Décidément votre audace ne connaît pas de bornes, mais poursuivez ! Votre cas s'aggrave d'instant en instant !
Pour ce qu'il avait à dire, Olivier préféra se relever.
- Encore une fois, c'est sans importance. Le Roi fera de moi ce qu'il lui plaira, mais qu'il veuille accepter d'étendre sa main souveraine sur ces malheureuses qui dans leur asile ont été, ce tantôt, menacées du pire par cet homme, continua-t-il en désignant Imbert. Le neveu du défunt mercier a eu connaissance de la mort de Dame Bertrade et venait prendre possession d'un bien qu'elle destinait à sa nièce et filleule. Devant leur refus il a promis de revenir en force pour les soumettre, faire d'elles ses domestiques et d'assouvir ses instincts sur la jeune fille ! Voilà pourquoi je réclame justice ! Le Roi, dans sa sagesse, a aboli le servage et comme nous ne sommes pas à Rome, nul bourgeois n'a le droit de réduire ses semblables à un esclavage honteux !
Le regard devenu curieusement étincelant de Philippe se tourna vers le mercier tandis que du geste il ordonnait qu'on le lui amène. Un instant Olivier put croire qu'il avait gagné la partie tant Imbert semblait terrifié ; mais dans cette même terreur celui-ci trouva l'énergie de réagir et sa voix aigre s'éleva :
- Demandez-lui donc, sire, qui sont ces femmes ? Rien d'autre que la mère, la femme, la fille et la servante de Mathieu de Montreuil, le maître d'œuvre de Notre-Dame recherché par votre justice…
- Est-ce vrai ?
- Oui, sire, et moi je voulais vous les amener pour que les fassiez tourmenter afin qu'elles avouent où se cache ce misérable et…
Le coup de poing que lui assena Alain de Pareilles lui coupa la parole et l'envoya à terre :
- Jamais rien vu de plus vil, sire ! s'excusa le capitaine. Ça a été plus fort que moi !
Pendant une seconde Olivier eut l'impression qu'une ombre de sourire passait sur le visage de marbre :
- C'est parce que vous êtes un brave homme, messire Alain ! Allez mettre ça sous clef ! Et revenez !
Tout aussi rudement relevé, le mercier fut emporté plus que conduit, glapissant comme un chat en colère. Après son départ, le Roi parut oublier Olivier. Il regardait à nouveau au-dehors où une cloche sonnait l'angélus. Il se signa, priant sans doute dans un silence qui s'éternisa, olivier se mit en génuflexion derechef pour l'accompagner, mais se redressa quand Philippe revint à lui :
- Ce qu'a dit ce misérable est exact ?
- Oui sire. Mathieu de Montreuil est mort ainsi que son fils. C'est pourquoi je veux protéger sa famille : des femmes douces et bonnes qui n'ont jamais fait de mal à quiconque.
- Comment l'avez-vous connu ?
- Au temps de Saint Louis, mon père a connu Pierre de Montreuil quand il bâtissait la Sainte-Chapelle et les liens ne se sont pas rompus. En outre, c'est Maître Mathieu qui m’a permis de survivre après la grande arrestation…
- A laquelle il semble que vous ayez échappé ! Comment ?
- J'avais mission de me rendre au Temple de Londres avec mon habituel compagnon et nous étions en pleine campagne quand cela s'est produit. Revenu à Paris, j'ai retrouvé Mathieu : il m'a caché.
- C'est là que vous avez connu ces femmes ?
- A peine. Je vivais à l'écart : la règle de l'Ordre nous interdit de dormir sous le même toit qu'une femme. Pourtant j'y suis resté sept ans… et Mathieu a fait de moi un imagier.
- Un imagier ? Vous, un chevalier ?
- Oh, sans grand talent, mais c'est belle chose que faire sortir de la pierre le visage d'un saint… C'est encore servir Dieu. Autrement !
- Pour quelle raison n'être pas retourné en Provence ?
- J'étais au Temple de Paris. En outre, mon père, déjà âgé, n'y est sans doute plus. S'il était mort avant l'arrestation, ses biens revenaient au Temple et à présent…
En évoquant Renaud, Olivier oublia un instant sa situation critique. La question suivante, aussi glaciale, aussi sèche que les précédentes, l'y ramena.
- Donc vous étiez chez Mathieu ! Avez-vous pris part à sa rébellion ?
On en était au moment redoutable. Olivier s'y était préparé, pourtant il prit un temps avant de répondre, sachant que ce qu'il allait dire pèserait aussi lourd que l’épée du bourreau, mais il avait juré la vérité dont il ne s'était écarté qu'en affirmant Mathieu et Rémi disparus définitivement.
- Eh bien, s'impatienta Philippe. Avez-vous peur de répondre ou cherchez-vous une vérité différente ?
Le mot frappa Olivier comme la lanière d'un fouet. Il se remit droit, de toute sa taille :
- J'étais de ceux qui ont tenté d'enlever le Grand Maître et le Précepteur de Normandie. Ils ont refusé, choisissant ainsi leur mort abominable…
- Comme vous venez de choisir la vôtre !
Quelque chose se noua dans la gorge d'Olivier et un bref instant il ferma les yeux, les rouvrit presque aussitôt en sentant la main du capitaine se poser sur son épaule. Il se tourna vers lui pour le suivre après s'être incliné devant celui qui le condamnait quand il entendit encore :
- Vous allez comparaître devant vos juges… mais les femmes que vous avez voulu défendre ne seront pas inquiétées et garderont leur maison !
Une dernière fois, alors, il plia le genou :
- Grâces soient rendues au Roi ! Je peux à présent affronter messire de Nogaret et mourir heureux !
- Messire de Nogaret est mort la nuit dernière !
La nouvelle étourdit Olivier plus que ne l'avait fait la sentence royale. L'humeur sombre du Roi, ce besoin qu'il avait eu de se retirer dans ce petit castel de village moins éloigné que Maubuisson s'expliquaient d'eux-mêmes. Après le Pape, le garde des Sceaux ! L'année était encore loin de sa fin et deux étaient morts de ceux que le Grand Maître avait assignés au tribunal de Dieu ! N'en restait qu'un, le plus grand mais peut-être le plus vulnérable dans l’isolement hautain qu'il s'était choisi depuis le décès de son épouse. Sans doute le Roi pensait-il qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps avant de s'en aller répondre de son règne…
"Olivier ou les Trésors Templiers" отзывы
Отзывы читателей о книге "Olivier ou les Trésors Templiers". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Olivier ou les Trésors Templiers" друзьям в соцсетях.