- J'aurais pourtant bien voulu l'amener au jugement de Dieu, les armes à la main ! maugréa le baron Renaud. Dieu, j'en suis certain, m'aurait donné le pouvoir de le vaincre...
- Je n'en doute pas, mais pourquoi déshonorer votre épée ? Ce misérable sera plus sûrement vaincu par le cachot souterrain où on l'enterrera vivant jusqu'à ce que mort s'ensuive... Au fait, vous êtes vraiment certain qu'il s'agit bien de ce Roncelin dont vous m'avez conté les crimes ?
- Ma haine l'a reconnu avant même que je ne voie son visage !
- En outre, appuya Hervé, il n'a point nié quand le baron Renaud l'a reconnu. Et ses hommes devaient le savoir aussi car aucun n'a paru surpris... Mais au fond, pourquoi ne pas le livrer à la justice de l'évêque ou même du Pape ? Le Temple, en effet, ne prononce pas de sentence de mort !
- Il est Templier, mon frère et doit être jugé par ses frères. Leur sentence lui fera d'abord perdre l'habit après quoi on scellera son sort... Et je n'y peux rien, ajouta frère Clément avec un geste d'excuses à l'adresse de Renaud. Ce sont nos règles et le Grand Maître lui-même leur obéit...
- Une bonne exécution capitale ferait mieux notre affaire ! grogna Olivier. Les morts ne reviennent pas...
- Un homme condamné au « mur » jusqu'à la fin de ses jours n'en revient pas non plus...
- Ne puis-je aller exposer les outrages dont furent victimes la Vraie Croix, ma défunte épouse et moi-même ? pria Renaud. Je pense que je saurai trouver les mots...
- C'est impossible, mon ami. Les chapitres sont secrets mais votre fils y assistera. Il pourra porter votre parole.
- Je le ferai ! affirma Olivier. Il ne faut pas que ce démon en réchappe...
- Je vous aiderai de mon mieux, assura frère Clément, mais nos lois sont nos lois ! Pensez seulement que l’in-pace fait souffrir un homme plus cruellement... et dure beaucoup plus qu'un coup de hache.
Ainsi que l'avait prédit frère Clément, Roncelin de Fos, alias Antonin d'Arros, fut dépouillé du manteau blanc et lié par des chaînes solides au fond d'un caveau ténébreux où on le descendit par une trappe pratiquée dans la voûte. Il devait y rester jusqu'à ce que mort s'ensuive...
- A son âge, dit frère Clément pour apaiser Olivier, cela ne demandera certainement pas très longtemps !
CHAPITRE IV
REQUIEM POUR UNE PRINCESSE
Ce jour-là qui était le jeudi 12 octobre de cette même année 1307, l'apparat des grandes funérailles se déployait pour la Très Haute et Très Puissante Dame Catherine de Courtenay, comtesse de Valois, d'Alençon, de Chartres et du Perche, impératrice titulaire de Constantinople et belle-sœur du Roi, morte au château de Saint-Ouen dans sa trente-troisième année, des suites d'une brève maladie. Le temps était gris avec cette sorte de ciel uniforme et bas, sans pluie cependant, qui donnait l'impression d'un couvercle posé sur Paris dont les lointains s'estompaient dans la brume. Le sceau du deuil marquait la ville capitale de ses lugubres tentures coulant des fenêtres sur le passage du cortège. Des cierges brûlaient devant les saintes effigies des « montjoies » quand on eut rejoint le grand chemin reliant Saint-Denis au cœur de la capitale. Petites flammes à peine lumineuses dans l'air humide, elles étaient encore plus tristes que les torches portées par une multitude de valets. Pourtant elle ne laissait pas beaucoup de regrets, cette jeune femme mariée depuis six ans à l'aîné des frères du Roi, le pompeux, l'arrogant Charles de Valois qui ne retenait d'elle que ce titre à la fois prestigieux et dérisoire d'empereur de Romanie où il ne mettrait sans doute jamais les pieds, et les quatre enfants qu'en six ans de mariage elle lui avait donnés. Ces quelques années, elle les avait vécues presque toutes dans cette demeure de Saint-Ouen pourvue d'un beau jardin descendant jusqu'à la Seine, où les jours d'été et toujours plus ou moins enceinte, elle pouvait oublier les puanteurs de la grand-ville et rêver, devant un ciel bleu reflété par le fleuve, à ce royaume de Naples, baigné par la Méditerranée où elle avait vu le jour.
Elle était cependant proche de la couronne de France par sa mère, Béatrix d'Anjou-Sicile, fille du Roi Charles, dernier frère de Saint Louis, et de Béatrix de Provence, dernière sœur de la reine Marguerite, sa belle épouse. Son père, c'était Philippe de Courtenay, le dernier du nom né dans la pourpre – Porphyrogénète ! - ce qui faisait d'elle la petite-fille de Baudouin II, l'éternellement impécunieux empereur qui avait dû fuir son palais en semant sur son chemin les insignes du pouvoir impérial...
Lorsqu'elle était venue épouser Charles de Valois, Catherine avait eu droit à un mariage quasi royal et, à présent, elle s'en allait entourée d'un cérémonial qui ne l'était pas moins mais entre les deux, elle n'avait existé qu'à titre de génitrice sinon à titre d'ornement prestigieux car le Ciel l'avait faite belle... et son époux fort ardent au déduit. En huit ans d'un premier mariage, il avait eu cinq enfants, tous vivants et les deux premières filles mariées. Avec les quatre qu'il lui devait, ou plutôt les trois - le petit Jean n'ayant pas vécu ! - il se trouvait à la tête d'une famille de huit enfants et entendait bien ne pas s'arrêter là. Tout en suivant le corps de la défunte, sous le noir qui le revêtait du chaperon aux souliers, il songeait déjà à celle qui remplacerait dans son lit la pauvre Catherine. Et pourquoi pas la charmante Mahaut de Châtillon encore un peu jeune sans doute mais qui à la beauté joignait une dot intéressante ? Ami du faste, c'était en effet un homme pour qui l'argent comptait beaucoup.
Quand le cortège où figuraient plusieurs grands du royaume atteignit le palais de la Cité, il s'ouvrit pour le Roi et ses enfants puis, par le Petit-Pont il gagna la rive gauche de la Seine afin de s'engager dans la Grand-Rue Saint-Jacques-des-Prêcheurs escaladant la montagne Sainte-Geneviève au sommet de laquelle était l'important couvent des Jacobins dont la chapelle allait recevoir le corps de la princesse. Ancien hospice destiné aux pèlerins en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle - le départ du pèlerinage se situant devant Notre-Dame -, c'était à l'exception du Temple, le plus vaste et le plus riche couvent de Paris grâce aux bienfaits dont n'avait cessé de le couvrir Saint Louis fort attaché à l'ordre des frères prêcheurs de saint Dominique qui, à cause de cette maison portaient désormais dans tout le royaume le nom de Jacobins. Les cœurs des fils du saint Roi y étaient déposés et le dernier encore vivant, Robert de Clermont, y aurait sa sépulture comme Charles de Valois lui-même et son frère Louis d'Evreux. La place de Catherine y était donc toute indiquée.
La Grand-Rue Saint-Jacques étant l'une des deux plus importantes de Paris, celle qui barrait la ville du nord au sud, les badauds s'y pressaient derrière le double cordon de francs-archers armés de guisarmes placés là autant pour l'hommage que pour endiguer une quelconque agitation venant des nombreux escholiers dont c'était le quartier. La mort était chose grave et trop respectable et trop respectée aussi, pour susciter le trouble. La foule était silencieuse, recueillie. Elle se contentait de regarder.
Plus que toute autre peut-être une jeune fille qui se tenait debout sur les marches de l'église Saint-Benoît-le-Betourné, entre deux hommes bien mis, comme elle-même, d'apparence respectable, l'un jeune - vingt, vingt-deux ans ! - l'autre beaucoup plus âgé et qui devait être le père des deux autres, sans doute frère et sœur si l'on en jugeait une ressemblance certaine bien que le jeune homme n'eût rien de féminin et que la jeune fille promit une vraie beauté. Elle était toute jeune - pas tout à fait quinze ans ! - mais ses cheveux d'un blond de lin, doux comme de la soie que cachait une partie de son capuchon de laine bleue, les traits délicats de son visage frais comme une fleur de pommier et surtout ses yeux extraordinaires, d'un gris pâle à peine bleuté qui avaient toujours l'air de refléter le ciel changeant de Paris, attiraient déjà l'attention des garçons au point que son frère Rémi en avait corrigé quelques-uns. Aussi ne sortait-elle jamais du clos paternel sans être escortée de sa mère, de la servante, ou, comme ce jour-là, de l'élément masculin de la famille. Mais la circonstance était exceptionnelle, Maître Mathieu de Montreuil, bâtisseur de son état, avait cédé aux prières de l'adolescente désireuse de voir le Roi et les dames et la Cour à l'occasion de ces funérailles princières. Un spectacle un peu triste peut-être mais magnifique et que dans son village elle n'avait aucune chance de contempler. Aussi Maître Mathieu avait-il choisi, en connaissance de cause, les marches de Saint-Benoît où il avait alors un chantier de reconstruction du chœur pour y mener sa petite Aude flanquée du grand Rémi. De là on voyait nettement le cortège commencer à gravir la pente et on pouvait le suivre des yeux jusqu'au porche d'entrée des Jacobins.
Le passage de Charles de Valois marchant devant le somptueux brancard de velours noir brodé d'argent fit froncer le petit nez d'Aude après que son père le lui eut nommé :
- Il n'a pas l'air d'avoir beaucoup de chagrin, souffla-t-elle. Son visage est aussi sec et aussi figé que celui des images de pierre qui naissent du ciseau de mon frère !
- Un prince ne pleure pas en public, chuchota Rémi. C'est contraire à la dignité... et puis cela dérange les lignes de la figure.
- S'en soucie-t-on lorsque l'on éprouve de la peine ? Les larmes coulent d'elles-mêmes et peu importe que le visage soit marqué des rides de l'affliction. Or ce prince n'en a pas un brin ! Elle était belle, pourtant... et jeune, ajouta-t-elle en considérant avec compassion le beau visage immobile de la morte que selon la coutume du temps on portait en terre à découvert. La mort avait effacé les traces des ultimes souffrances et, dans la splendeur des atours vraiment impériaux dont on l'avait vêtue, elle apparaissait aussi sereine, aussi belle qu'au jour de son mariage. La bouche que maintenait close la mentonnière de mousseline sous la couronne orfévrée offrait même une ébauche de sourire. Aude plia un instant le genou en se signant puis reprit :
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