Il chercha un mot qui ne vint pas et ce fut Hervé qui, avec un grand sourire, se chargea de la conclusion :

- Pourquoi ne pas s'en tenir à « suspectes », puisque vos parents ne sont rien d'autre que les héritiers de cet Adhémar qui me semble avoir été, en son temps, fort industrieux ? J'avoue que, moi aussi, je trouve le lieu peu respectueux !

- Aussi n'est-ce pas à cet endroit que l'Arche reposera. Au cas où le château serait investi, ou même, en dépit des précautions prises, le secret de la cheminée et de la galerie découvert, cette salle apparemment sans autre issue suffirait à combler les cupidités. Personne n'irait chercha au-delà…

- Parce qu'il y a un au-delà ?

- Il y en a un et frère Clément ne l'ignore pas. Venez voir !

Suivi de Maximin, il se dirigea vers le fond le plus reculé, le plus obscur de la caverne, en déplaçant des coffres et trois jarres cachetées de cire qui, en apparence, n'avaient pas grand-chose à faire là. Le baron Renaud en soupesa une et sourit :

- Je garde ici quelques vins et liqueurs précieux que je préfère ne pas laisser traîner dans les caves exposées à des convoitises toujours possibles. Nous en avons bu trois en l'honneur de ton adoubement, Olivier. Les autres étaient destinées à ton mariage, à des baptêmes, mais maintenant...

- On ne sait jamais ! dit l'intendant avec, dans la voix, toute la chaleur de l'affection qu'il portait à son maître. En outre, les tessons de celles que nous avons brisées sont bien utiles.

En effet, derrière les grandes poterie de terre ocre, il y avait un tapis de débris rejoignant la paroi rocheuse qui, à cet emplacement, formait une avancée. Se penchant, Maximin repoussa les morceaux d'environ un pied, montrant les étroits rouleaux de fer sur lesquels reposait le morceau de rocher et ceux qui, à côté, en doublaient la surface. Après quoi, lui et le baron poussèrent le pan de pierre qu'ils firent glisser au prix d'un gros effort, mais qui en valait la peine : au-delà il y avait une large ouverture dans laquelle, un peu essoufflé, il s'engagea en levant haut la torche qu'il venait de reprendre. Ceux qui le suivaient découvrirent avec une admiration pleine de respect une grotte vaste comme une cathédrale au fond de laquelle s'ouvrait l'œil vert d'un tout petit lac alimenté par le ruissellement venu d'invisibles hauteurs. Des concrétions calcaires composaient des formes étranges d'une grande beauté. Près du lac où l'on descendait par des degrés naturels très praticables, la roche s'aplatissait en une longue table que Renaud désigna d'un geste :

- Voilà, dit-il, le lieu choisi par frère Clément ! Le baron Adhémar l'a découvert jadis mais, dans les temps reculés il a dû servir de refuge... et peut-être de sanctuaire.

Il désignait de bizarres figures sculptées dans la roche et représentant des chèvres à longues cornes et quelques figurations humaines.

- C'est magnifique ! soupira Olivier cependant qu'Hervé, le premier éblouissement passé, s'intéressait au système de fermeture. A l'intérieur le rocher était muni d'une forte poignée en fer grossièrement forgée, fixée avec solidité, qui, lorsque la « porte » était ouverte, la retenait bloquée contre la muraille. Elle permettait de refermer.

- Absolument incroyable ! émit-il enfin. C'est le travail de qui ?

- Le baron Adhémar naturellement ! C'était, je vous l'ai dit, un homme complexe et d'une intelligence capable d'appréhender bien des choses obscures pour les êtres humains moins versés que lui dans les sciences plus ou moins occultes.

- Il n'y a pas d'autre issue à la salle ? demanda Hervé.

- Pas que je sache, à l'exception du déversoir de la pièce d'eau, répondit Renaud en montrant le trou dans le rocher où coulait le trop-plein. C'est impraticable, mais il alimente le puits du château.

- Eh bien, conclut Olivier, je crois que l'on ne peut rêver meilleur endroit et, de toute façon, si frère Clément l'a choisi c'est une raison plus que suffisante. Avec votre permission, mon père, nous viendrons cette nuit y déposer l'Arche.

Ce ne fut pas une mince affaire en dépit du fait qu'ils étaient quatre hommes forts, plus le baron qui les guidait et les éclairait. Le plus difficile fut de hisser le grand cercueil jusqu'à l'ancien cabinet d'alchimie à cause de la configuration de l'escalier, une belle vis de pierre cependant, mais qui obligea souvent les porteurs à tenir le coffre vertical. Le baron Renaud, sourcils froncés, surveillait la progression en y donnant la main. Enfin le pesant fardeau fut déposé devant la cheminée où l'on s arrêta pour reprendre haleine et éponger les sueurs. Maximin hasarda alors :

- Ce n'était pas possible dans la cour ni au bas du degré, mais ne serait-il pas plus facile d'ouvrir cette boîte et de porter le contenu seul jusqu'à la salle souterraine ? Ce bois est en lui-même très lourd.

- Tu as raison, approuva Renaud qui refermait avec soin la porte de la pièce.

Quelques instants plus tard, l'Arche débarrassée des tissus de laine destinés à lui éviter les chocs éclairait le poussiéreux cabinet de tous ses ors anciens. A sa vue, le baron ne put dissimuler son émotion à la pensée non seulement de ce qu'elle contenait, mais aussi au souvenir de celui qui était allé chercher son contenu jusque dans les entrailles de l'ancien temple de Salomon à Jérusalem et l'avait rapporté en terre de Champagne : frère Adam Pellicorne, le Commandeur de Joigny qui avait pris soin de lui à une heure de grand péril et mené à Paris où sa vie avait commencé... Il s'agenouilla devant elle pour une fervente prière d'accueil, puisque sa demeure en serait désormais la gardienne puis en baisa la base avant de glisser lui-même dans les anneaux prévus à cet effet aux flancs dû reliquaire l'un des longs bâtons de cèdre terminés par des têtes de lion en or qui permettaient de la porter à deux hommes, comme cela allait être le cas, ou à quatre lorsque les chérubins y étaient fixés.

Olivier et Hervé en chargèrent leurs solides épaules dès qu'on lui eut fait passer l'ouverture assez basse de la cheminée, mais ensuite le chemin ne présenta plus de difficultés, tout ayant été laissé ouvert au plus large et, quelques minutes plus tard, le fantastique trésor reposait sur le tapis précieux dont Renaud avait couvert l'antique autel païen.

Un peu plus tard encore, les chérubins débarrassés de leur emballage reprirent leur place dans les encoches de métal et Renaud alluma dans une cassolette de bronze les morceaux d'encens apportés par les Templiers tandis que tous, conscients de la solennité de cet instant, priaient à voix contenues pour que le Seigneur Dieu garde à jamais Son Ecriture à l'écart de l'avidité des hommes...

Afin que les ténèbres n'engloutissent pas trop vite la merveille, deux cierges de cire blanche furent allumés puis en silence, presque sur la pointe des pieds, les cinq hommes se retirèrent. Le rocher reprit sa place, les jarres et les tessons la leur et l'on se retrouva, un peu hagards et le souffle court devant la cheminée où les cendres à leur tour furent de nouveau répandues, supprimant toutes traces de passage.

Restait le faux cercueil et les caisses. Quelques coups de hache les réduisirent en morceaux que l'on fit brûler sur place jusqu'à ce qu'il n'en reste que de nouvelles cendres. On les mélangea soigneusement aux anciennes et, quand Renaud referma la porte, rien ne subsistait de l'étrange coffre amené de si loin, d'autant plus dangereux qu'il était plus sacré. Rien, sinon, pour ceux qui venaient d'accomplir cette tâche, un souvenir qui ne s'effacerait plus.

On avait peiné durement pour en arriver là et la nuit était avancée quand on descendit enfin aux cuisines où Barbette, qui avait veillé en priant sans savoir trop pourquoi, les attendait avec des bolées de vin chaud aux herbes pour les remettre.

On but en silence, debout près de l'âtre, chacun enfermé dans ses pensées. Ce fut Olivier qui parla le premier :

- Avec votre permission, mon père, nous repartirons demain afin de rendre compte.

- Toujours avec le chariot ? émit Anicet que la perspective n'enchantait visiblement pas.

- Jusqu'à la commanderie de Trigance seulement où nous le laisserons avec les chevaux ainsi que l'a prescrit frère Clément. En échange, on te donnera une monture... convenable pour un cavalier. Et nous regagnerons Paris.

- Par le même chemin ? grogna Hervé. L'idée de revoir Richerenques et son commandeur ne me tente guère.

- Nous devrions tous les deux demander pardon à Dieu de ce mauvais sentiment mais... moi non plus. Soyez tranquille ! A Carpentras nous changerons de route pour rejoindre Montélimar par Vaison et Valréas...

Avant d'aller prendre un peu de repos dans la grange aux laines, Olivier accompagna son père jusqu'à la chambre qui avait été celle des époux. L'ancien chevalier de Courtenay semblait bien las tout à coup et son dos, toujours si droit, se courbait sous un poids que le fils devinait sans peine. Et, de fait, il alla s'asseoir avec une lourdeur qu'on ne lui connaissait pas dans le fauteuil d'ébène à haut dossier garni de joyeux coussins verts où Sancie avait aimé s'installer pour filer ou broder avec ses femmes. Renaud demanda :

- Dois-tu vraiment repartir là-bas ? C'est si loin... et j'ai si peur de ne te revoir jamais !

- C'est là que je sers. Je dois y retourner... même si le cœur me manque à vous laisser ici... sans elle !

- Pourquoi frère Clément ne revient-il pas au pays et toi avec lui ? N'est-il plus Précepteur de Provence ?

- Il est aussi Visiteur, ce qui le mène un peu partout... et moi avec lui ! Ne perdez pas courage, père ! Il est possible que je revienne bientôt. Et vous vivrez encore de longues années.