— Qui êtes-vous. Monsieur ? demanda Marie.
— Madame la Duchesse ne me remet pas ? Je suis Higgins, le valet de Mylord Holland, et c’est lui qui m’envoie…
— Lui ? Donnez-moi vite de ses nouvelles ! Comment va-t-il ? Mais asseyez-vous ! Vous semblez fatigué…
Il accepta volontiers, ainsi que le verre de vin que Marie lui porta elle-même. Ce fut seulement quand il eut bu qu’il tira une lettre de sa poche et l’offrit à la Duchesse :
— Mylord ne va pas bien, Madame, et il vous réclame… Il vous envoie ceci.
Quelques mots seulement sur l’étroit papier que l’on avait plié plusieurs fois afin qu’il tînt le moins de place possible : « Si vous m’aimez encore un peu, Marie, vous suivrez Higgins que je vous envoie ! Il faut à tout prix que je vous revoie mais, par pitié, ne posez aucune question !… »
C’était la dernière chose à écrire car justement Marie brûlait d’en savoir plus :
— Mylord me demande de ne pas vous interroger. Voulez-vous m’accorder deux questions, très petites ?
— Cest selon…
— Est-il malade ?
— Non.
— Où m’emmenez-vous ? Naturellement, je vous suis dans l’instant !
— À Londres. J’ai un bateau à Ostende. Veuillez vous vêtir avec simplicité et le noir serait le mieux. Les usages ont changé chez nous ! À présent je ne répondrai plus.
— Le temps de prévenir ma fille, de me changer, et je vais avec vous…
Tout en troquant ses atours contre la robe de laine noire sans autre ornement qu’une guimpe blanche qu’elle réservait aux offices de la Semaine Sainte, Marie prévint sa fille de son départ sans entrer dans les détails, se contentant de dire qu’elle allait à Londres. Charlotte eut le bon goût de ne pas chercher à en savoir davantage. Elle connaissait trop sa mère à présent pour se tromper sur l’expression tendue de son visage. Elle l’aida à chausser des bottes souples et à endosser une épaisse mante à capuchon doublée de fourrure noire : on était en janvier, et s’il n’y avait pas de neige, si le temps restait sec, le froid n’en était pas moins mordant. Puis, au dernier moment, elle l’embrassa avec une chaleur qui émut la Duchesse.
— Prenez soin de vous et que Dieu vous garde à mon affection, ma mère !
Marie la serra dans ses bras sans répondre. Dans la cour, elle rejoignit Higgins qui parlait avec Peran. Celui-ci était équipé pour le voyage et il y avait trois chevaux. Marie ouvrit la bouche pour protester mais le Breton ne lui en laissa pas le loisir :
— Je vous empêcherai de partir sans moi. Il y a trop de dangers de l’autre côté de la mer !
En dépit de la saison, le voyage fut étonnamment rapide. Higgins avait tout préparé avec soin. Un bateau solide monté par trois pêcheurs attendait en effet à Ostende. Il tenait bien la mer et les vents furent favorables : quelques heures après son départ, Marie posait à nouveau le pied sur la terre anglaise près de Rochester, d’où elle avait fui l’arrivée de Claude. Non sans y mettre des précautions : les « Têtes rondes », comme l’on avait surnommé les nouveaux maîtres à cause de leurs cheveux courts, surveillaient les côtes mais Higgins semblait disposer de connivences et l’on put rejoindre Londres sans autre inconvénient que le froid.
En abordant la capitale, la nuit tombait et Marie eut peine à la reconnaître. Les quais du port gardaient quelque animation mais on y voyait aussi des soldats casque en tête et mousquet sur l’épaule. Les rues étaient tristes, silencieuses si l’on se souvenait du charivari d’autrefois. Les tavernes étaient fermées…
— Et pas seulement les tavernes, dit Higgins, répondant à son œil interrogateur, mais également les maisons de jeu, les maisons de prostitution, les théâtres. Combats de coqs et courses de chevaux sont interdits et le dimanche on doit rester chez soi à chanter des cantiques…
— Ce n’est pas possible ? souffla Marie abasourdie. Même les maisons de commerce sont fermées ? interrogea-t-elle en montrant les volets clos d’un drapier.
— Non… mais hier le Roi a été décapité sur un échafaud construit sous ses fenêtres à Whitehall. Le peuple, même s’il l’a voulu, doit avoir un peu de peine à s’en remettre…
— Mon Dieu ! gémit Marie en fermant les yeux et en joignant ses mains qui tremblaient… Le Roi exécuté ? Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar ?
— C’est hélas un cauchemar qui dure, mais prenez garde de montrer trop d’émotion. Nous arrivons !
Elle laissa retomber ses mains et vit que l’on abordait l’Auberge du Lion d’Or qui était l’une des meilleures de Londres, située au carrefour toujours animé de Charring Cross. Là il y avait du monde mais le soupir de soulagement qu’allait pousser Marie en se préparant à entrer dans l’hôtellerie s’étrangla dans sa gorge : tous ces gens étaient en train de regarder un échafaud s’élever au centre de la place. Elle devint si pâle que Higgins craignit de la voir s’évanouir et, aidé de Peran, la fit entrer dans l’auberge. Dixon, l’aubergiste, pour qui la Duchesse n’était pas une inconnue, vint la recevoir mais fit semblant de ne pas la reconnaître. Visiblement, il mourait de peur.
— Menez-moi dans une chambre, souffla Marie, je voudrais m’étendre…
Puis, se tournant vers Higgins qui la suivait de près :
— Est-il là ?
— Pas encore mais il doit venir…
Elle hocha la tête, rassurée. Tout était bien. Ainsi elle pourrait prendre du repos. Elle en sentait le besoin en songeant qu’elle devait être affreuse après ce voyage mouvementé. Il ne fallait pas qu’Henry soit déçu en la revoyant…
L’aubergiste ouvrit devant elle la porte d’une chambre mais sans s’incliner comme il l’eût fait autrefois. On était à présent en terre d’égalité : tous frères et sœurs comme on l’était aux yeux du Seigneur ! En entrant Marie vit contre la fenêtre une silhouette noire, celle d’une femme sans visage, celui-ci étant tourné vers l’extérieur obscur.
— Vous faites erreur, dit Marie avec nervosité. Cette chambre est occupée !
— Non. Elle est pour vous. Cette dame vous attendait…
La femme à cet instant se retourna et fit face à l’arrivante qui ne put retenir un cri devant ce fantôme d’autrefois… un autrefois vieux d’un quart de siècle. Croyant à une illusion de ses yeux fatigués, elle les essuya du bout des doigts. La femme, alors, se rapprocha de la lumière jaune d’une chandelle posée sur la table et Marie l’entendit rire. Un rire sec, sans la moindre gaieté :
— Allons, Madame la Duchesse, reconnaissez-moi ! Je n’ai pas conscience d’avoir tellement changé !
— Elen ! murmura Marie. Elen du Latz… ici !
— Ici, oui ! C’est moi qui vous ai envoyé chercher.
Le ton acerbe de son ancienne suivante remit Marie debout. Elle tira de son corsage le billet d’Henry :
— Et ceci ? C’est vous peut-être qui l’avez écrit ?
— Mais oui ! Je connais parfaitement son écriture ! Il y a longtemps, vous savez, que je vis auprès de lui !
— Vraiment ? La dernière fois que je vous ai vue vous entriez chez les Ursulines de Nantes pour y trouver la paix du Christ et le renoncement ! Cela n’y ressemble guère ?
— Oh, j’y suis entrée… pour y faire une simple retraite. Ensuite je suis venue à Londres. Je ne supportais plus l’idée de vivre loin de lui… et il l’a compris au point de me donner une maison au bout du parc de Chiswick où nous nous étions aimés la première fois… Il y venait quand il voulait, quand il avait besoin du réconfort d’un véritable amour, et nous avons eu des heures merveilleuses… Il est mon idole, mon maître.
Marie regardait Elen avec une stupeur mêlée de colère. Avec son visage étroit et ses yeux sombres habités par un feu fanatique, elle ressemblait à ces folles de Dieu qui hantent parfois les cloîtres. L’homme qu’elle appelait « Lui » l’avait enchaînée de telle façon qu’il avait effacé tout autre sentiment… sinon peut-être la haine qui vibrait dans sa voix.
— Sans parler de son épouse, comment vous arrangiez-vous de ses maîtresses ?
— Elles comptaient si peu ! Il ne les gardait guère et revenait toujours à moi. Parfois nous riions ensemble de leurs simagrées…
— Et moi ? gronda Marie. Vous ai-je beaucoup amusés ? Vous a-t-il appris qu’un jour il est venu à Dampierre pour me supplier de le suivre en terre d’Amérique ? Qu’auriez-vous fait si j’avais accepté ?
— Je vous aurais tuée… mais je n’ai jamais redouté de vous voir apparaître. Vous ? Abandonner votre vie brillante, vos titres, votre position, vos ambitions, votre luxe, pour ne plus garder que l’amour ? Voyons ! Vous êtes trop égoïste, trop calculatrice ! Vous avez l’intrigue dans le sang. Qu’en auriez-vous fait chez les sauvages ?
— Vous avez peut-être raison, fit Marie avec dédain. Cela signifiait cependant qu’il m’aimait vraiment. Et je suis la seule qui puisse s’en vanter…
— Aussi êtes-vous la seule que j’exècre. À cause de ces moments où il ne pouvait s’empêcher de parler de vous. Pourtant, moi aussi il m’aimait. Il savait me le prouver à la perfection…
Marie avisa un fauteuil de simple bois noir et s’y laissa tomber :
— Admettons !… Ce que je comprends mal, c’est la raison qui vous a poussée à me faire venir ? Pour me raconter votre histoire, une lettre aurait suffi ! À présent, dites-moi où il est et laissez-moi me reposer ! Vos confidences me fatiguent plus que le voyage et puisque aussi bien Lord Holland ne viendra pas…
— Mais si il viendra ! Demain matin sans faute !
— Je ne sais pas ce que vous cherchez mais je ne vous crois pas ! Le Roi vient d’être assassiné et votre dieu à cette heure doit être loin !
— À la Tour ! Et demain il sera là, sur cette place, parce que l’échafaud que l’on monte est pour lui ! Demain il mourra sous nos yeux et c’est la raison pour laquelle je vous ai appelée.
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