— Ils n’y paraissent guère disposés.
— Et que dit Monsieur ?
— Toujours égal à lui-même, il se range du côté de vos adversaires. Il aurait même dit à M. de Marcheville qui s’est hâté de le répéter qu’on vous faisait revenir dans le but de donner plus de moyens à la Reine de faire un enfant…
— Le petit misérable ! Après le mal que je me suis donné pour le porter au trône et lui faire épouser sa belle-sœur ! Ce pauvre Chalais est vraiment mort pour rien !
— Cela ne vous surprend pas, j’espère ? Ou le charme de Gaston vous aveuglait-il au point de le prendre pour ce qu’il ne sera jamais : un homme de cœur, franc et loyal ? Placer en lui le moindre espoir est jouer à fonds perdus. Il sera toujours prêt à entrer dans n’importe quelle conspiration où il verrait un quelconque intérêt mais en cas d’échec il abandonnera ses complices pour tirer son épingle du jeu et négocier au mieux son absolution !
Marie regarda son amie avec curiosité :
— Voilà un jugement sévère ! Vous l’aimiez bien, pourtant, quand nous endoctrinions d’Ornano pour qu’il accepte d’être le fer de lance de notre parti de l’Aversion ?
— Cela vient peut-être de ce que je ne le connaissais pas suffisamment. Cependant, ne vous souciez pas trop de son avis. Il est pour l’instant assez mal en cour parce qu’il voudrait se remarier.
— … et que le Roi trouve mauvais qu’il mette tant d’empressement à vouloir se donner un héritier alors que notre Reine n’en donne toujours pas ? L’énorme dot de la pauvre petite Montpensier, sa défunte épouse, devrait l’inciter à la patience.
— Oh ! ce n’est pas la raison ! Figurez-vous qu’il est amoureux !
Marie éclata de rire :
— Amoureux, cet égoïste forcené ? À qui le ferez-vous croire ?
— Mais… à n’importe qui car il semble décidé à rompre les lances contre tout venant pour les yeux de sa belle !
— Qui est ?
— La ravissante Marie-Louise de Gonzague, fille du duc de Nevers et héritière de Mantoue. Cette fois, il réunit l’unanimité : le Roi, la Reine, la Reine Mère, Richelieu, le reste de la Cour sont contre !
— La Reine Mère aussi ? Mais pourquoi ?
— D’abord parce qu’elle voulait lui faire épouser une princesse florentine, une de ses cousines Médicis, ensuite parce que le duc de Nevers a été l’un de ses adversaires acharnés au temps de sa régence après la mort du roi Henri. Son adversaire et celui de Concini forcément, et vous savez qu’elle ne pardonne jamais rien… Enfin – mais vous avez dû certainement l’apprendre dans votre thébaïde lorraine ! – nous sommes à la veille d’une guerre contre ses chers Espagnols pour établir les droits du duc de Nevers sur la succession de Mantoue.
Difficile, en effet, de ne pas être au courant d’une affaire qui depuis la mort du duc de Mantoue, Vincent II de Gonzague, survenue un an plus tôt, le 26 décembre 1627, agitait une partie de l’Europe.
Par testament le mourant avait désigné pour successeur son plus proche parent, le Français Charles de Gonzague de Clèves, chef de la branche cadette des Gonzague, et celui-ci était venu prendre possession de son héritage, composé du duché de Mantoue et du marquisat de Montferrat dont la capitale était Casal, une puissante forteresse du Pô.
Or, seize ans plus tôt, la France avait empêché le duc de Savoie de s’emparer de Casal et donc du Montferrat au nom de sa petite-fille, Marguerite, elle-même fille du prédécesseur de feu Vincent II Le Savoyard réitéra ses prétentions, réclamant le Montferrat pour Marguerite. S’en mêla alors l’Espagne toujours prête à profiter des situations difficiles et d’autant plus que la région en question avoisinait ses terres du Milanais. En outre le Mantouan dépendait de l’Empereur, le bon cousin Habsbourg, et celui-ci, à la mort du duc Vincent, se hâta de refuser l’investiture à Nevers. En outre, profitant de ce que l’armée française était retenue à La Rochelle, l’Espagne et la Savoie envahirent Montferrat. Seulement l’éclatante victoire de Richelieu contre les Anglais et les Rochelais venait de libérer les armes de la France et c’était, pour le Roi comme pour le Cardinal, une question d’honneur de ne pas abandonner le duc de Nevers.
On en était là au moment où Madame de Chevreuse rentrait à Dampierre pour y retrouver les siens. Et Madame de Conti venait de retracer pour son amie les grandes lignes du problème. Celle-ci l’avait écoutée avec d’autant plus d’attention qu’il s’agissait d’une situation comme elle les aimait parce qu’elle pensait toujours, et avant tout, qu’il serait peut-être possible pour elle d’en tirer un avantage personnel… De plus, si la France de Louis XIII et de Richelieu entrait en guerre contre l’Espagne, patrie de sa reine, elle était entièrement disposée à se dévouer sans compter pour servir une cause si chère à Anne d’Autriche. Enfin, quand un conflit éclatait, on ne pouvait jamais savoir qui en sortirait vivant. Que Louis disparût, et l’on pourrait reprendre joyeusement le dessein d’unir Anne d’Autriche à Gaston d’Orléans puisque la chance voulait qu’il fût veuf. Et le fait que tous ces beaux projets relevassent de la haute trahison n’allait pas empêcher Madame de Chevreuse de dormir…
Avec sa vivacité habituelle, celle-ci fit aussitôt part à son amie Louise des idées que venait de faire naître son récit et des merveilleuses perspectives qu’elle entrevoyait, mais, à sa surprise Madame de Conti – étant mariée secrètement elle portait toujours ce nom – non seulement ne la suivit pas mais s’efforça de modérer son enthousiasme.
— Marie, Marie, ne mettez pas la charrue avant les bœufs, n’allez pas plus vite que les violons et ne vendez pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué !
— Vous vous exprimez en proverbes maintenant ? C’est nouveau, cela. Tourneriez-vous au bel esprit ?
— Dieu m’en préserve ! Je veux dire seulement : primo que nous n’avons pas encore déclaré la guerre à l’Espagne. Secundo qu’un roi qui part en guerre a de grandes chances d’en revenir vivant, même le nôtre dont on ne peut nier qu’il soit d’une bravoure hors du commun et, tertio, qu’on ne vous a rappelée que du bout des lèvres et que votre retour en grâce étant loin d’être acquis, vous devriez garder raison et vous tenir tranquille pendant… quelque temps ?
— Oh ! ce n’est qu’une question de semaines… ou de jours ! fit la Duchesse avec insouciance. Avant de quitter la Lorraine j’ai acquis la certitude que le roi d’Angleterre comme le duc Charles s’employaient activement à ce que l’on me rappelle sans barguigner auprès de la Reine. Elle m’a même écrit qu’elle y mettrait tous ses efforts…
— Beaux avocats que avez là ! Charles Ier, qui vient d’être vaincu, en est aux pourparlers d’un traité de paix et n’est guère en position de réclamer quoi que ce soit. Notre cousin lorrain est sans doute un peu mieux placé puisqu’il a obtenu que l’on relâche Lord Montaigu, mais il n’inspire guère confiance. Quant à la Reine, elle est carrément tenue en suspicion depuis l’affaire Chalais ! Le Roi demeure persuadé qu’elle a comploté sa mort – avec vous, entre parenthèses ! – et lui pardonne d’autant moins qu’elle vient de nouveau de faire une fausse couche…
— Il arrive donc à son époux de la visiter ?
— Le plus rarement possible mais il s’y astreint dans l’espoir d’un Dauphin, espoir déçu jusqu’ici !
— Ce perpétuel malade ? Il n’y arrivera jamais ! Quel dommage que ce pauvre Buckingham soit mort !
— Qu’il n’ait pas pris La Rochelle, destitué ou fait assassiner Richelieu et le Roi ? Ne rêvez pas, Marie ! Votre beau piège n’est plus et vous n’êtes pas près d’en retrouver un aussi séduisant pour attaquer la Reine. Je sais qu’elle continue à le pleurer…
— Et moi aussi ! C’était un merveilleux ami ! Mais, dites-moi Louise, j’ai l’impression que nous ne sommes plus, vous et moi, du même côté de la barrière ?
— Comment l’entendez-vous ?
— En ce que vous ne me semblez plus aussi acharnée contre notre Sire et son abominable ministre. Vous rendez hommage à la vaillance de l’un et n’avez pas égratigné une seule fois le second. Est-ce l’influence de Bassompierre ?
La Princesse s’accorda un temps de silence. Appuyant son visage sur sa main où s’allumaient par instant les flammes pourpres d’un énorme rubis, elle laissa son regard doré se perdre dans les lointains brumeux des jardins que l’on apercevait à travers les fenêtres :
— Je ne sais !… Vous connaissez sa fidélité au Roi même s’il n’aime guère le Cardinal – qui l’aimerait ? Et pour rien au monde je ne pourrais agir à son contraire. Nous ne sommés plus jeunes et cet amour tissé depuis des années que nous venons de consacrer nous est infiniment précieux. Cela ne veut pas dire que je renonce à l’amitié de la pauvre Reine. Au contraire, je suis toujours prête à me dévouer pour elle, mais pas au point de soutenir le parti de l’Espagne si la guerre éclatait et vous devriez m’imiter parce que, songez-y, Bassompierre ira se battre… et votre époux aussi !
Un instant, Marie ne sut que répondre. Habituée à ne considérer les événements que d’un point de vue strictement personnel, l’idée de pratiquer ce genre de fidélité ne lui était jamais venue à l’esprit. Il est vrai que Louise, épouse du premier et sœur du second, ne pouvait user d’un langage différent. Elle choisit de s’en tirer par une pirouette comme elle s’entendait si bien à le faire.
— N’en parlons plus ! s’écria-t-elle. De toute façon, nous n’en sommes pas là puisque cette guerre n’aura peut-être pas lieu ! Vous savez à quel point Marie de Médicis est entichée des Espagnols qu’elle considère comme les seuls vrais soldats de Dieu et, au Conseil, sa voix pèse son poids !
— Moins que vous ne le pensez. Depuis quelque temps des divergences se sont élevées entre elle et Richelieu. Le Roi écoute de moins en moins sa mère…
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