— Ce qui ne doit pas arranger son humeur mais encore une fois nous verrons bien… et n’oubliez pas que l’on ne fait pas la guerre en hiver.



On la vit beaucoup plus tôt que Marie ne se l’imaginait : deux jours plus tard, Claude revenait à Dampierre avec une lettre de Bassompierre pour Louise lui demandant de rentrer au plus vite et une moisson de nouvelles dont la plus grave était celle-ci : le Roi partait la semaine suivante pour le Montferrat dans le but de faire lever le siège de Casal.

— Quoi ? s’exclama Marie. En janvier et en pays de montagnes ?

— Eh oui ! Quand une ville est assiégée, il n’y a ni été ni hiver. M. de Nevers a besoin de secours et nous y allons !

— Et vous ?

— Naturellement ! En outre, c’est le meilleur moyen d’obtenir votre entière rentrée en grâce. Bassompierre part aussi, forcément ! C’est même à lui que le Roi a annoncé la nouvelle…

— Mais enfin, n’y a-t-il pas assez de maréchaux pour aller au secours de cette taupinière ? La santé du Roi…

Chevreuse eut pour sa femme un regard stupéfait :

— Vous vous souciez de sa santé ? C’est nouveau ça ! Quant à Casal, c’est loin d’être une taupinière.

— Et qui l’assiège ?

— Don Gonzales de Cordova, Gouverneur du Milanais.

— Ce qui veut dire que c’est la guerre avec l’Espagne, conclut Louise qui venait faire ses adieux à ses hôtes avant de regagner Paris. Les échos du Louvre doivent retentir des fureurs de la Reine Mère. Quand elle est en colère elle n’a pas pour habitude de tenir sa lumière sous le boisseau !

— Je n’ai rien entendu. Il est vrai que je n’ai pas eu l’honneur de la rencontrer mais elle reçoit malgré tout quelques consolations. D’abord, c’est à elle que le Roi remet la régence…

— Oh ! c’est indigne ! protesta Marie : la régence appartient de droit à la reine Anne !

— Pendant une guerre contre l’Espagne, ce ne serait sans doute pas une brillante idée. Marie de Médicis n’a jamais été une infante, même si ses sympathies vont de ce côté des Pyrénées. En outre, elle a la satisfaction de garder Gaston d’Orléans auprès d’elle…

— Que vient-il faire dans cette histoire ? demanda Louise.

Chevreuse se frappa le front du plat de la main :

— C’est vrai, j’oubliais que vous n’avez pas connaissance des derniers développements des amours de Monsieur. Tandis que nous fêtions Noël ici, Monsieur annonçait qu’il consentait à renoncer à Marie-Louise de Gonzague si on lui donnait le commandement suprême de l’armée… plus cinquante mille écus pour ses équipages…

Les deux femmes partirent d’un même éclat de rire :

— Celui-là ne perdra jamais une occasion de s’enrichir ! fit la Princesse. Mais de là à se faire payer pour commander en chef, ce dont il est incapable…

— C’est une des raisons pour lesquelles le Roi va assumer lui-même le commandement avec le maréchal de Créqui et Bassompierre. Il était délicat de refuser son propre frère, mais dès l’instant où c’est lui qui part, Monsieur n’a plus rien à dire…

— Sinon qu’il ne renonce plus à Marie de Gonzague, affirma la Duchesse sans crainte de se tromper. Il a l’amour tellement accommodant ! Au fait, vous ne nous parlez pas de ce cher Cardinal ? Il ne part pas, j’imagine ?

— Mais si. Sa Majesté est allée s’en assurer chez Son Eminence dans son domaine de Chaillot qu’il préfère pour raison de santé au Petit-Luxembourg…

— … où il doit se sentir moins à son aise depuis que le torchon commence à brûler entre lui et la Reine Mère ! ironisa Louise. Peut-être respirera-t-il mieux sur les grands chemins, même à la mauvaise saison…

— Quel dommage ! Ils formaient un si beau couple ! grinça Marie. Et il accepte qu’elle soit régente ?

— Seulement des provinces en deçà des pays de la Loire ! rectifia Chevreuse. Elle n’a aucun droit sur le Midi où les protestants échaudés à La Rochelle se regroupent. Elle serait capable d’ordonner leur massacre…



Louise de Conti repartie, Claude annonça qu’il la suivrait le lendemain pour faire préparer ses équipages. Ce qui lui laissait une dernière nuit avec sa femme.

— N’allez-vous pas être trop seule ici, mon cœur ? Voulez-vous que je vous laisse l’un de mes écuyers ?

Il en avait deux : La Ferrière et Loyancourt que Marie n’appréciait que modérément. Le premier était assez beau mais elle avait surpris le sourire, fat et déplaisant, qu’il avait souvent en la regardant et qui lui dormait régulièrement envie de lui taper dessus. L’autre était plus sympathique mais c’est tout ce qu’on pouvait en dire : un bon garçon placide sans aucun signe distinctif, sans aucun relief pour le signaler à l’attention d’une femme. Il n’avait même pas la chance d’être vilain ! Certaines laideurs sont parfois plus attractives qu’une beauté régulière et Gabriel de Malleville en était un exemple, mais aucune épice ne relevait le physique passe-partout de ce brave Loyancourt. Aussi Marie déclina-t-elle avec grâce la proposition de son époux :

— Puisque vous partez en guerre, je préfère vous savoir entouré au mieux. L’un comme l’autre vous sont dévoués. En outre, ici ils s’ennuieraient et je ne saurais qu’en faire…

— Cependant, vous laisser seule… Je ne peux oublier l’épreuve que vous avez subie sur la route du verger.

— Je vous rappelle que j’ai passé près de deux années en Lorraine sans qu’il m’advienne quoi que ce soit ! Et à Dampierre je ne crains rien. Il y a Boispillé, nos serviteurs sont en nombre et j’ai Peran, une force de la nature, un vrai chien de garde !

En parlant, s’efforçait-elle de se rassurer ? Elle était loin en effet d’oublier l’attentat dont elle avait failli périr et même si rien ne s’était passé durant son séjour chez le duc Charles, il n’était pas exclu que ce danger-là puisse renaître. Quelques poignées de mois ne pouvaient être suffisantes pour éteindre la haine chez les parents du malheureux Chalais… Comme elle gardait le silence, Claude qui l’observait dut saisir sa pensée contrairement à son habitude car il remarqua :

— Quelque chose me dit que vous n’auriez pas refusé Malleville. Il y a des moments où je regrette de l’avoir aidé à rejoindre la troupe de Monsieur de Tréville.

— Vous avez tort ! Gabriel est entré aux Mousquetaires comme on entre en religion… Au fait : je suppose qu’ils partent, eux aussi ?

— Evidemment. Le Roi ne saurait s’en passer. Permettez-moi de vous laisser quelqu’un ?

— Merci, Claude mais c’est non !

Il n’insista pas afin de ne pas entamer par une querelle cette nuit dont il voulait goûter chaque minute pour en rêver lorsqu’il serait loin d’elle. De son côté, Marie, pour atténuer l’effet de son refus, fit en sorte de le combler puisque c’était peut-être leur dernière nuit. Nul ne savait jamais qui reviendrait de guerre ou n’en reviendrait pas…



Au matin, ils se quittèrent avec l’élégance et la dignité qui conviennent à des adieux devant les gens du château et du village.

Lorsque les cavaliers eurent disparu dans la lumière froide de ce jour hivernal, le jeune Louis, venu saluer lui aussi son beau-père, alla prendre sa mère par la main pour la ramener à l’intérieur.

— Je suis heureux que vous me l’ayez donné comme second père, ma mère ! soupira-t-il. C’est un homme aussi vaillant que bon.

— Certes, Louis, et j’aime à vous l’entendre dire.

— Alors voulez-vous que nous allions ensemble prier pour lui à l’église du village ? Ses paysans en seront heureux…

— Allons ! Vous avez entièrement raison…

À vrai dire, l’oraison de Marie fut un peu distraite. Sa piété, un rien superstitieuse, était toujours aussi tiède. Elle songeait déjà aux lettres qu’elle allait écrire, dès son retour au château, au roi d’Angleterre et au duc de Lorraine pour qu’ils ne cessent pas leurs efforts en vue de son retour à la Cour. Être si près de Paris et n’y pouvoir aller alors que ses deux bêtes noires – le Roi et le Cardinal – s’en éloignaient était vraiment insupportable !

Ces lettres écrites, elle tenta de s’armer de patience pour attendre les réponses et en était à concocter une belle épître destinée à la Reine qu’elle essaierait de faire porter par Peran, mais remettre par qui ? Ce qui était facile depuis la Lorraine où elle pouvait user des courriers ducaux ne l’était plus depuis Dampierre. Si encore Louise de Conti était restée à Paris, la chose serait simple puisqu’elle conservait à la Cour son crédit et ses entrées, mais un mot d’elle venait d’ôter cet espoir à Marie : craignant par-dessus tout de ne plus revoir son cher Bassompierre, la Princesse avait tranquillement décidé de suivre les mouvements de la Maison du Roi : « À nos âges, écrivait-elle, les jours de bonheur peuvent nous être comptés chichement : je ne veux plus en perdre aucun… » Marie bien sûr avait compris, même si elle en voulait un peu à son amie de la délaisser sitôt après leurs retrouvailles mais Louise parlait le langage de l’amour et c’était le seul qui pût toucher Madame de Chevreuse.

Elle commençait à tourner en rond dans son beau Dampierre, échafaudant l’un après l’autre une quantité de projets plus insensés les uns que les autres quand, un soir, un cavalier franchit l’entrée du château et demanda à être reçu.

— Au nom de la Reine ! annonça-t-il sans révéler le sien et Marie eut besoin de son empire sur elle-même pour ne pas crier de joie en reconnaissant Pierre de La Porte, ce jeune « portemanteau » d’Anne d’Autriche qui avait été chassé de la Cour à la suite de l’aventure du jardin d’Amiens[5]. Elle le reçut dans le cabinet d’angle faisant suite à la chambre où elle se tenait la plupart du temps pour écrire ou rêver. Les tentures de velours jaune soleil et le grand feu brûlant en permanence dans la cheminée de marbre blanc y entretenaient une douce chaleur transformant en cocon cette petite pièce intime.