— Vous seriez…

— Rien ! Veuillez me pardonner ! Quoi qu’il en soit, sachez, Madame la Duchesse, que je ne suis pas seul à vouloir en purger la terre. La haute noblesse est de mon avis. On haïssait Richelieu parce qu’on le redoutait et que, d’une certaine façon, il était grand. Celui-là n’est rien qu’un ancien gratte-papier affublé d’une simarre cardinalice. Se soumettre à un tel homme, c’est manquer à l’honneur ! Notre petit Roi mérite meilleur mentor que cet histrion ! Nous ne tolérerons pas qu’il l’élève !

Ce qu’elle entendait était pour Marie plus que révélateur :

— Il est déjà suffisamment triste, murmura-t-elle, qu’il ose dresser une barrière entre la Reine et ses plus fidèles amis… Après tout ce que j’ai subi, c’est pour moi plus qu’une déconvenue : une vraie douleur.

— Elle ne vous reçoit plus ?

— Si, mais du bout des lèvres et comme n’importe quelle dame. L’élan d’autrefois, la confiance n’existent plus, fit-elle au bord des larmes, prise qu’elle était à son propre jeu.

De cet instant, l’alliance fut conclue. Elle allait donner naissance à ce que l’on appellerait la Cabale des Importants, rassemblant autour de Marie, de Beaufort et de Châteauneuf les Vendôme et leurs amis, les Guise, les Rohan et d’autres encore, à une seule exception mais de taille : la princesse de Condé, une Montmorency qui n’avait jamais pardonné à l’ancien Garde des Sceaux d’avoir fait condamner son frère. Sa fille, la belle duchesse de Longueville, partageait son indignation et, pour Mazarin, c’était une aide de poids. Cependant, il tenta de s’entendre avec Madame de Chevreuse qu’il pria de le recevoir, et vint rue Saint-Thomas-du Louvre. Ce qui était une concession : il aurait pu la convoquer.

D’emblée, il exposa le but de sa visite : effacer le malentendu qu’il sentait s’installer entre eux et dont la Reine lui avait fait part :

— En le déplorant, ajouta-t-il avec un sourire dont il espérait beaucoup. Nous ne souhaitons que vous plaire. Madame la Duchesse. Voyons, vous avez beaucoup perdu ces dernières années. Voulez-vous de l’argent ? Cinquante mille ? Cent mille ? Deux cent mille livres ?

La somme était superbe, ô combien tentante, mais Marie tenait à se donner les gants de l’élégance en face de ce prélat qui parlait comme un maquignon…

— Merci, Monsieur le Cardinal, mais c’est non. En revanche, mes amis ont à se plaindre.

— De quoi, mon Dieu ?

— Je vais vous le dire : le duc de Vendôme réclame son gouvernement de Bretagne qu’il tenait d’héritage et que Richelieu lui a enlevé, Monsieur de Beaufort souhaiterait l’Amirauté. Le duc d’Epernon s’indigne qu’on ne lui rende pas ses charges d’autrefois. Quant au prince de Marcillac, il désire le gouvernement du Havre…

— C’est très difficile : il faudrait enlever Le Havre aux héritiers du défunt Cardinal. Et en ce qui concerne la Bretagne, elle est à Monsieur de Brézé, son parent lui aussi…

— Le Cardinal est mort, que je sache ! fit Marie brutalement. Je ne vois aucune raison pour que ses héritiers se partagent la moitié du royaume. Il est juste que ceux qui ont eu à souffrir de lui reçoivent des compensations…

— Sans doute, pourtant ce n’est pas aussi simple que vous le pensez… Je verrai… je verrai…

Il n’avait pas dit non. Encouragée par ce qui lui semblait un succès, Marie multiplia les visites à la Reine sur laquelle, visiblement, elle essayait de reprendre son influence, alternant les grâces et les critiques voilées contre Mazarin, mêlées à des louanges pour Châteauneuf qui ne quittait plus guère sa maison de Montrouge. Têtue, mordante, fébrile parfois, elle ne se rendait pas compte qu’elle commençait à importuner. Mazarin lui fit savoir qu’elle devait perdre tout espoir de revoir Châteauneuf revenir aux affaires…

C’est alors que se produisit l’incident qui mit le feu aux poudres.

Ce jour-là, Madame de Montbazon étant souffrante recevait dans sa chambre en présence de Marie avec qui elle entretenait à présent les plus étroites relations. Après le départ des visiteurs, elles trouvèrent deux lettres non signées, fort tendres, perdues par le marquis de Coligny. Des lettres de femme bien entendu. Aussitôt, elles décrétèrent que l’auteur en était Madame de Longueville, la ravissante sœur du Grand Condé, et en firent des gorges chaudes, profitant même d’un rassemblement de la Cour lors des noces d’Elisabeth de Vendôme et du duc de Nemours.

Ce mariage était célébré dans l’ancien Palais-Cardinal devenu récemment Palais-Royal : le Louvre devenant impossible, la Reine et ses enfants venaient d’y emménager.

La princesse de Condé jeta feu et flammes, criant à l’insulte publique et à la calomnie, ce qui apporta à ces noces une animation inattendue. À l’indignation de Marie, la Reine lui donna raison. L’imprudente Montbazon dut se rendre à l’hôtel de Condé afin d’y présenter des excuses publiques. Dans un salon bourré de monde, la belle maîtresse de Beaufort s’exécuta mais dans un style bien personnel, lisant, à la manière d’une mauvaise comédienne et avec un sourire de mépris, un texte épinglé à son éventail qu’elle jeta ensuite dédaigneusement.

Quelques jours plus tard, inquiète tout de même de la tournure prise par les événements, Marie invita la Reine et les dames de la Cour à une collation dans ce que l’on appelait le Jardin Renart, un agréable endroit situé au bout des Tuileries où il était de bon ton de venir se divertir. Elle avait aussi invité la princesse de Condé. Celle-ci accepta parce qu’on lui avait assuré que Madame de Montbazon, souffrante, n’y serait pas. Or, en arrivant avec Anne d’Autriche, la première personne qu’elle vit fut son ennemie qui recevait en compagnie de Madame de Chevreuse. Elle voulut se retirer. La Reine l’en empêcha :

— Ce n’est pas à vous de quitter les lieux !

Et elle envoya Madame de Senecey prier la coupable de la tirer d’embarras en s’éloignant. Madame de Montbazon refusa, alléguant qu’elle était chez sa belle-fille. Indignée, Anne d’Autriche repartit, entraînant après elle la majeure partie des invitées. C’était le scandale.

Fou de rage, Beaufort se rua chez la Reine :

— Madame de Montbazon a fait ce que vous ordonniez, lança-t-il. Vous n’aviez pas le droit de l’humilier de nouveau…

— Il y a façon de faire les choses, mon cher Duc. Vous le ressentiriez comme moi si votre Duchesse ne vous était si chère…

Le malheur voulut qu’à cet instant Mazarin fît son apparition armé de son sourire que Beaufort jugea mielleux. Sa colère s’en trouva augmentée :

— On dirait que les temps sont révolus, Madame, où vous saviez entendre la voix de vos vrais amis. Celle des nouveaux l’étouffe sans que vous vous rendiez compte de leur peu de valeur…

Et, sans saluer, il sortit comme un ouragan et se rendit droit chez Marie où se réunirent les « Importants ». La nouvelle qu’apporta Beaufort mit l’agitation à son comble : Madame de Montbazon venait de recevoir un ordre du Roi l’exilant dans son château de Rochefort en Yvelines…

— Le Roi ! gronda Beaufort Le Roi a cinq ans ! Ne nous y trompons pas, c’est Mazarin qui ose exiler l’épouse du Gouverneur de Paris ! Allons-nous supporter cela sans réagir ?

— Que proposez-vous ? fit Marie.

— Il faut nous en débarrasser ! Il est moins brutal que le défunt Richelieu mais il est sournois. Non seulement il continue la politique de son prédécesseur, mais c’est sur nos dépouilles qu’il espère s’élever et continuer de bâtir une fortune déjà respectable. Il faut lui arracher la Reine… et aussi notre Roi bien-aimé !

Le plus simple étant évidemment le meilleur, on décida de supprimer Mazarin de la façon qui, jadis, avait si bien réussi au jeune Louis XIII pour éliminer du royaume Concino Concini, autre Italien. Ce fut Marie qui rappela cet événement dont son premier époux, Luynes, avait été la cheville ouvrière : Concini avait été abattu d’un coup de pistolet à l’entrée du Louvre. On ferait de même. Le Cardinal dont on connaissait les habitudes se rendait chaque soir au Palais-Royal pour conférer avec la Reine – il habitait alors l’ancien hôtel de Clèves. Il suffirait que le duc d’Epernon, Colonel des Gardes Françaises, fasse fermer les portes et ordonne à ses soldats de ne pas bouger, quelque bruit qu’ils entendent. Et Mazarin ne tomberait pas bien loin de l’endroit où Vitry avait fait feu sur le favori de Marie de Médicis. Marie voyait là un symbole, juste retour des choses d’ici-bas.

Le soir venu – qui était le 30 août –, les conjurés se réunirent sur le quai du Louvre à l’Auberge des Deux Anges. Seulement, la vue d’une dizaine de chevaux, sellés, bridés et armés, à deux pas de la demeure royale parut insolite. On prévint la Reine qui envoya immédiatement avertir son Ministre de ne pas sortir de chez lui…

Le coup était manqué.

Le lendemain, Monsieur de Guitaut, Capitaine des Gardes, arrêtait le duc de Beaufort et le conduisait au donjon de Vincennes.

Madame de Chevreuse dut se retirer à Dampierre mais n’y resta pas. On lui fit savoir qu’on la préférerait à Couzières où elle serait surveillée. Il fallut s’exécuter, la rage au cœur et emmenant avec elle sa fille Charlotte qui refusait de la quitter… et sans avoir revu son époux, résolument rangé dans le parti de Mazarin. Elle ne repartit pas cependant sans viatique : on lui donna deux cent mille livres pour qu’elle se tienne tranquille.

À cela près, l’histoire recommençait…

CHAPITRE XIII

LE COMPAGNON

Que faire à Couzières, sinon conspirer ?

En se retrouvant au point de départ de son périple hispano-britannique, Marie éprouva d’abord un sentiment de découragement. Tant d’aventures vécues, tant de peines dépensées pour en arriver là ! Seule différence positive, cette fois elle ne manquait pas d’argent encore qu’elle n’eût accepté celui de la Régence qu’avec un rien de répugnance : on la payait pour qu’elle se tienne tranquille, qu’elle laisse Anne d’Autriche et son Mazarin ourdir leurs petites affaires loin de ses oreilles et de ses yeux ? Eh bien, on allait voir !… Et ce fut la colère qui lui rendit sa combativité.