Afin de conforter le Prince lorrain dans les bonnes dispositions où l’avait mis sa maîtresse et de faciliter leurs relations, Buckingham envoya à Nancy l’un de ses proches, Lord Montaigu, dont Marie avait fait la connaissance en Angleterre à l’occasion du mariage de Charles Ier avec Henriette-Marie de France. Elle en avait fait un ami. Sans plus. Il ne manquait pas de charme mais, passionnément éprise alors de Henry Holland et essentiellement occupée à entretenir son amitié avec Buckingham, elle ne pouvait s’intéresser à aucun autre homme.

Ce fut une autre histoire lorsqu’il vint la saluer dans sa maison de Bar et développer devant elle les plans ourdis par Buckingham pour réduire la France. Marie fut enchantée d’apprendre que le Duc était en train d’armer trois flottes de dix mille hommes, dans le but d’aller attaquer l’île de Ré et de prêter main-forte aux protestants de La Rochelle, mais si elle écouta beaucoup, elle regarda aussi l’arrivant d’un œil neuf. C’était un Anglais, blond, froid, distingué, élégant qui s’exprimait aisément en deux ou trois langues et qui, en outre, offrait une vague ressemblance avec le tant regretté Holland. Tandis qu’il lui expliquait que si la première flotte était destinée à La Rochelle, les deux autres devaient bloquer les vallées de la Loire et de la Seine, elle lui sourit beaucoup et Walter Montaigu, oubliant son magnifique self-control britannique, prit feu comme une torche approchée d’une flamme. Ce furent des amours d’autant plus excitantes qu’un parfum de conspiration s’y mêlait, mais des amours écourtées par la force des choses. Présenté au duc Charles avec un plein succès – le Lorrain avait cependant spécifié qu’il mettrait ses troupes en marche seulement quand les Anglais auraient débarqué –, Montaigu devait se rendre aussi en Savoie, en Suisse, en Hollande, à Venise et en Bretagne chez les Rohan, parents de Marie. Il partit donc tandis qu’elle se précipitait sur son écritoire pour exciter l’ardeur des divers souverains dont on espérait l’aide. On s’agita un peu partout, levant ou promettant des troupes destinées à récupérer pour leurs maîtres un morceau du gâteau France. Cela semblait marcher pour le mieux. De toute part on attendait que Buckingham mît ses troupes à terre pour lancer les autres invasions. Et, il faut le dire, Anne d’Autriche faisant fi de ses devoirs de Reine participait à la même espérance. Marie et ses amis n’oubliaient qu’une chose : la redoutable paire que formaient le roi Louis XIII et son ministre, le cardinal de Richelieu…

Tout commença bien : le 22 juillet 1628 Buckingham prenait pied sur l’île de Ré : cent navires, cinq mille hommes et cent chevaux débarquèrent. Impressionnant mais insuffisant pour réduire l’héroïque Toiras qui s’enfermait dans le fort Saint-Martin où il tiendra bon ! Le Roi et le Cardinal de leur côté se mirent en marche afin de le ravitailler et d’assiéger La Rochelle. Dans la nuit du 30 octobre, des troupes d’élite débarquèrent dans l’île de Ré. Toiras repoussa l’assaut des Anglais. Quelques jours plus tard, Ré était reprise par le maréchal de Schomberg. Poursuivis, Buckingham et Soubise rembarquèrent, laissant plus de quinze cents morts derrière eux. Ce qui restait de leurs troupes manqua alors d’approvisionnements et se vit décimé par la maladie sur une flotte qui avait grand besoin de réparations.

Les laissant à leurs problèmes, Richelieu, qui avait construit la fameuse digue, assiégea la ville qu’il réduisit par la famine. À la fin d’août 1628, Charles d’Angleterre et Buckingham s’apprêtèrent à lancer une nouvelle flotte, rassemblée plus mal que bien en raison de la haine que le peuple anglais portait au favori.

Le 2 septembre, à Portsmouth, John Felton, un officier poussé à bout par la misère et les injustices, assassinait le duc de Buckingham d’un coup de poignard en plein cœur…



Près de trois mois s’étaient écoulés depuis que Marie avait appris l’affreuse nouvelle de la bouche de Charles de Lorraine, mais le temps n’atténuait pas encore l’impression horrible qu’elle avait ressentie : c’était aussi déchirant que si elle avait perdu un frère follement admiré. Son amour pour Holland l’avait gardée de s’éprendre de lui mais à la souffrance qu’elle éprouva elle se rendit compte qu’elle aimait peut-être « Steenie » plus qu’elle ne le croyait… À peine Charles avait-il achevé son faire-part sans nuances qu’elle était tombée évanouie à ses pieds. Ce qui avait fort étonné le duc sans pour autant le bouleverser : les femmes pouvaient se montrer tellement imprévisibles ! Il avait appelé, on avait secouru la duchesse et, non sans peine et après plusieurs saignées, elle avait repris connaissance. Mais, dès lors, la donne avait changé : « Steenie » était la pièce maîtresse du dangereux jeu d’échecs qu’elle avait entamé contre Louis XIII et Richelieu. Il n’était pas difficile de deviner ce qui allait se passer : Buckingham mort, l’expédition anglaise ne reprendrait jamais l’île de Ré et les princes conjurés qui, tous, attendaient ce succès de l’Angleterre pour lancer leurs troupes sur la France, ne bougeraient plus… Surtout si La Rochelle affamée faisait sa soumission ! Le 1er novembre, c’était chose acquise. La ténacité de Richelieu l’emportait sur toute la ligne et le grand vainqueur c’était lui !

Jamais Marie ne l’avait autant haï. Il lui avait tout pris : son avenir, son espoir de revanche et jusqu’à son dernier amant ! Walter Montaigu, au moment où le couteau de Felton abattait Buckingham, était déjà emprisonné à la Bastille !

Trop sûr de lui, le diplomate anglais ne s’était pas méfié du réseau d’agents que le Cardinal tissait sur le royaume : deux Basques le suivaient à la trace à travers l’Europe et un soir, où justement il s’apprêtait à rejoindre Marie à Bar-le-Duc, ceux-ci avaient alerté M. de Bourbonne qui commandait le dernier poste avant la frontière lorraine. Celui-ci avec une poignée d’hommes franchit ladite frontière – le duché de Bar il est vrai était encore feudataire du roi de France – juste ce qu’il fallait pour s’emparer de Montaigu » de son valet et de sa valise bourrée de papiers dont nul ne savait au juste ce qu’ils contenaient mais que l’on pouvait supposer compromettants pour une foule de gens : les princes coalisés sans doute, Madame de Chevreuse à coup sûr et la Reine probablement…

Pendant des jours et des jours, des courriers sillonnèrent les routes. Le duc de Lorraine protestait contre la violation de son territoire par Bourbonne. Lui et le roi d’Angleterre réclamaient la libération de Montaigu dont les papiers par extraordinaire ne comportaient rien qui pût compromettre la Reine. L’un comme l’autre demandaient avec insistance le retour de Madame de Chevreuse, leur « amie très chère ». La Reine aussi soupirait après elle et enfin, le duc Claude pria qu’on voulût bien la lui rendre. Ce fut lui qui l’emporta. Durant l’absence prolongée de sa femme, il n’avait cessé de servir loyalement le Roi qui l’en avait récompensé en le nommant Premier Gentilhomme de la Chambre et Pair de France. Après mûre réflexion, Richelieu finit non seulement par accepter ce retour mais encore par le conseiller :

— Mieux vaut avoir la Duchesse en France où il sera facile de la surveiller, ce qui n’est pas le cas chez le duc de Lorraine dont elle fait ce qu’elle veut !

Louis XIII avait froncé le sourcil :

— Vous ne pensez quand même pas l’inclure dans les clauses du traité de paix comme veut le faire Charles d’Angleterre ?

— Ce serait lui faire trop d’honneur ! Puisque le traité sera signé au printemps, faisons-la rentrer avant la fin de l’année mais, naturellement, il ne peut être question qu’elle revienne à la Cour. Elle devra gagner Dampierre discrètement, y retourner sans éclats et s’y tenir tranquille. Proposons-lui cela !

— Elle acceptera ce que l’on voudra pour revenir en France, fit le Roi avec un haussement d’épaules. Elle promettra ! Mais quant à se tenir tranquille… Cette femme a l’intrigue dans le sang !

— Nous le savons l’un et l’autre, Sire, mais encore une fois elle sera plus facile à contrôler ici. En outre il se peut que la famille du défunt Chalais n’ait pas encore renoncé à le venger. Même Chevreuse devra se tenir sur ses gardes et agir comme nous l’entendons… si elle veut être protégée ! Il faudra l’en faire souvenir…

— Qu’il en soit donc ainsi que vous le voulez ! conclut Louis XIII avec un soupir.

Ainsi réglé, Madame de Chevreuse reprit le chemin de Dampierre, ramenant avec elle l’un de ces souvenirs de voyage dont elle semblait avoir le secret : quelques mois plus tôt, elle avait mis au monde une nouvelle petite fille, Charlotte-Marie, dont Chevreuse allait être obligé d’endosser la paternité et dont le duc Charles était parrain, sans qu’aucun d’entre eux pût démêler avec certitude de qui elle pouvait être l’enfant. Trois candidats étaient en lice en effet : le Prince lorrain, Claude lui-même qui avait naturellement pu l’engendrer lors de son voyage à Nancy, et enfin Lord Montaigu. Marie étant elle-même incapable de se prononcer et la petite ne ressemblant qu’à elle seule – une chance pour elle ! – le mystère restait entier.



Bien que l’on fût au 20 décembre lorsqu’on approcha de Dampierre, le temps sec et frais était agréable pour la saison et changeait des rafales glacées que l’on avait essuyées en quittant Bar-le-Duc. Grâce à Dieu, celles-ci abandonnèrent la partie quand on fut à Vitry-le-François et le carrosse de voyage à six chevaux, lourdement chargé, put poursuivre son long parcours d’environ soixante-quinze lieues dans des conditions plus acceptables, les routes séchées n’étant plus réduites à l’état de fondrières boueuses auxquelles il fallait parfois arracher les roues au moyen de planches ou de paille quand il ne s’agissait pas de mettre pied à terre dans les côtes pour alléger le véhicule. La Duchesse en effet rentrait sans faste et sans tapage ainsi qu’il le lui avait été prescrit.