— C’est beaucoup dire ! A l’exception de la duchesse Françoise qui est la meilleure créature et la plus aumônière de la terre, je n’ai guère eu l’occasion de rencontrer le Duc, ni d’ailleurs le Grand Prieur !

— Eh bien, voilà un regret que vous n’aurez plus puisqu’ils vont venir ici… Le cadet surtout devrait avoir des choses à nous dire…

Comme d’habitude, après avoir craché quelques gouttes de son venin, la Reine-mère repartit de son pas lourd qui faisait craquer les parquets des palais loyaux. Un silence suivait généralement ses départs, mais Marie ne laissa pas s’éterniser celui-là. Elle haussa les épaules et se mit à rire :

— Quand je pense qu’elle est persuadée de nous faire énormément de peine ! Le duc César se gardera de quitter sa Bretagne. Quant à son frère, je lui ai fait porter une lettre…

Et pourtant, trois jours plus tard Alexandre de Vendôme arrivait à Blois. En dépit de l’avertissement donné par Mme de Chevreuse, il n’avait pu résister à l’appât tendu par Richelieu du fond de son lit : une possibilité d’obtenir la survivance de l’Amirauté laissée vacante par un Montmorency.

L’accueil qu’il reçut n’avait rien d’inquiétant. Le Roi se montra sinon aimable – il ne fallait tout de même pas lui en demander trop ! –, du moins très courtois, et s’étonna que César de Vendôme n’eût pas répondu lui aussi à son invitation :

— Il peut venir à Blois, dit-il. Je vous donne ma parole qu’on ne lui fera pas plus de mal qu’à vous-même.

Fort de cette assurance, le Grand Prieur, l’œil rivé sur l’Amirauté, adjura son aîné de le rejoindre pour en discuter. Il était indispensable, en effet, que César abandonne ses propres prétentions au commandement suprême de la Marine guigné par lui depuis longtemps. N’était-ce pas la charge idéale pour le maître de la Bretagne, cette terre de marins ? Et Alexandre de Vendôme fit tant et si bien qu’en dépit de sa méfiance et de sa haine pour Louis XIII – n’était-il pas le premier fils d’Henri IV ? – César, arrogant et superbe à son habitude, fit son entrée à Blois.

Il avait alors trente ans et c’était un homme magnifique. Grand, blond, avec une carrure d’athlète, il tenait du Béarnais son regard bleu et son nez Bourbon mais, en dehors de la bravoure, pas grand-chose de son caractère et surtout pas sa passion des femmes : quoiqu’il eût fait trois enfants à Françoise de Lorraine, son épouse[27], son goût prononcé pour les jeunes hommes et même les adolescents était connu. Comme sa violence, son orgueil et son manque total de diplomatie qu’il remplaçait par la ruse. Ainsi, après avoir clamé qu’il espérait ne jamais revoir son frère qu’en peinture, crut-il de bonne guerre d’afficher un sourire épanoui en abordant le Roi pour l’assurer de son obéissance.

— Mon frère ! s’écria Louis. J’étais en impatience de vous voir.

Ce n’était visiblement pas le cas de Marie de Médicis pour qui les enfants de Gabrielle d’Estrées, dont elle exécrait la mémoire, étaient absolument infréquentables et elle s’enferma chez elle pendant la durée de leur séjour au château.

Sa patience à dire vrai ne fut pas mise à trop longue épreuve. Dans la nuit du lendemain, à trois heures du matin, M. Du Hallier et le marquis de Mauny arrêtaient les deux Vendôme au nom du Roi, puis, par le fleuve et sous forte escorte, les conduisaient au château d’Amboise d’où ils iraient ensuite retrouver les d’Ornano à Vincennes.

Leur arrivée à Blois avait plongé Marie dans l’inquiétude ; leur mise sous les verrous l’épouvanta. D’autant plus qu’elle apprit presque en même temps la venue prochaine de Mlle de Montpensier. Il était urgent de faire quelque chose en profitant peut-être de l’absence du Cardinal qui n’avait toujours pas rejoint le Roi mais qui sans doute ne tarderait guère. Louis XIII lui avait en effet écrit :

« Mon cousin, ayant trouvé bon de faire arrêter mes frères naturels le duc de Vendôme et le Grand Prieur pour bonnes et grandes considérations à mon Etat et repos de mes sujets, j’ai bien voulu vous en donner avis et vous prier de vous rendre près de moi le plus tôt que votre santé le pourra permettre. Je vous attends en ce lieu et prie Dieu de vous savoir toujours, mon cousin, en Sa sainte protection. »

Marie estima donc qu’il était temps pour Chalais de se remettre à l’ouvrage. Cela lui serait facilité d’autant plus que Monsieur, fort mécontent que l’on veuille mettre sa « fiancée » quasiment de force dans son lit, recommençait à faire la mauvaise tête. Pour en sortir il n’y avait qu’un seul moyen : enlever Gaston quand il était encore temps et lui faire quitter la France…

A sa surprise, son amoureux essaya de la décourager. Au fond, ce mariage n’était pas si grave, même si un enfant venait à naître. D’abord rien n’assurait que ce serait un garçon et en outre le Roi qui semblait avoir recouvré la santé aurait largement loisir d’en faire un à sa femme : il la rejoignait presque chaque soir…

Marie ne riposta pas sur le coup, elle était trop fine pour n’avoir pas compris ce que cachait cette soudaine sagesse : Chalais avait écouté le chant d’une sirène nommée Richelieu qui avait dû lui promettre monts et merveilles ! Et comme il ajoutait :

— De toute façon, je ne vois pas comment nous pourrions dès à présent nous mettre à la traverse : le Roi vient d’envoyer le marquis de Fontenay avec une escorte de cinquante chevau-légers chercher Mlle de Montpensier à Paris. Dès qu’elle sera là le mariage sera chose faite !

— Et cela vous suffit ? Pourquoi pas finalement ? Je peux m’en contenter. De même il faudra que vous vous contentiez, vous… de me saluer de loin… et sans jamais plus m’adresser la parole. Sinon, c’est en public et non plus dans une lettre discrète que je vous traiterai de lâche !

— Vous me chassez ?

— A votre avis ? N’êtes-vous pas en train de me trahir ?

— En aucune façon. Nous nous heurtons à des difficultés insurmontables, et dans l’instant, persévérer serait folie. Ce n’est pas une raison pour nous brouiller. Par pitié ! Vous savez l’étendue de mon amour !

— Alors prouvez-le au lieu de bêler autour de mes jupes ! Soyez un homme, mille tonnerres ! Peut-être à ce moment redeviendrai-je une femme pour vous ! Encore que… non ! Disons-nous adieu et allez servir platement votre cher Cardinal ! Je n’aurai nulle peine à vous remplacer… A tous égards !

— Non, je vous en prie ! Pas cela !… Donnez-moi encore une chance ! Je verrai Monsieur… Il m’écoute et nous pouvons je crois le convaincre de refuser, même maintenant, le mariage jusqu’à ce que nous ayons fait le nécessaire pour sa fuite car il ne faut pas nous leurrer : l’issue en sera qu’il va être contraint d’épouser Mlle de Montpensier…

— Alors mettez-vous à l’ouvrage et, pour vous encourager…

Elle s’approcha de lui, mit ses bras autour de son cou et lui donna un long baiser. Un moment il l’eut tout entière contre lui, des lèvres aux genoux, et ce contact, ce parfum dont elle usait lui mirent le sang en ébullition, mais elle glissa de ses bras avant qu’il ait eu le temps de les refermer sur elle…

— Plus tard ! chuchota-t-elle. Je saurai vous récompenser, soyez-en certain, et plus encore que vous ne pouvez l’imaginer…

Chalais, une fois de plus, s’en alla voir Gaston d’Anjou.

Les circonstances servirent un moment les plans de Marie. Le Cardinal, pâle mais ferme sur ses jambes, ayant rejoint le Roi, celui-ci décida de se rendre à Nantes afin d’y présider les états de Bretagne et de juger par lui-même du degré de rébellion où l’avait amené César de Vendôme : il ne voulait pas laisser derrière lui un abcès qui ne fût pas complètement vidé. Le mariage de Gaston aurait lieu là-bas, voilà tout ! La fiancée d’ailleurs avait pris du retard et n’aurait qu’à suivre. Cela laissait du temps à Marie et à la poignée de gentilshommes encore sur la brèche pour monter et exécuter un plan. La médaille cependant avait son revers : la distance pour sortir du royaume serait plus longue de Nantes que de Blois… à moins de partir par la mer ?

Le cortège royal quitta donc Blois le 27 juin. Marie et la Reine avaient repris courage, Chalais semblait avoir retourné Monsieur comme prévu : le Prince faisait un caprice, jurant à qui voulait l’entendre que, à la réflexion, il avait de moins en moins envie d’épouser Montpensier si cousue d’or qu’elle soit ! Il avait entendu dire qu’elle était de faible santé et ce n’était pas l’épouse qu’il lui fallait.

Le 29 on arrivait à Saumur. C’est là qu’eut lieu un incident qui allait bouleverser une fois de plus le fragile édifice que Marie s’acharnait à construire autour d’Anne d’Autriche.

Louvigny avait pris avec bonne humeur l’histoire des lettres échangées. Il avait remis à Chalais celle qui lui revenait de façon discrète et en riant énormément : il ne fallait pas prendre au sérieux les injures d’une femme en colère, les campagnes de guerre accomplies par son ami le mettant à l’abri de l’accusation de lâcheté. En revanche il aurait aimé savoir ce que Mme de Chevreuse lui écrivait à lui. Chalais répondit, avec désinvolture, que c’était un billet sans importance dont il ne savait, à la réflexion, ce qu’il en avait fait : la Duchesse avec infiniment d’amabilité lui demandait de l’excuser de ne pouvoir, à ce moment, lui accorder l’entretien privé qu’il espérait. Il s’était ensuite hâté d’en avertir Marie qui ne l’avait pas démenti. Les déplacements continuels de la Cour, à ces moments-là, donnaient quelque crédibilité à cette version que Louvigny accepta. Ou du moins parut accepter sans pour autant cesser de courtiser Marie…

— Qui ne tente rien, n’obtient rien, confia-t-il à Chalais. Elle vous accorde ses préférences mais elle peut changer d’idée. Sans pour autant faire tort à notre amitié…