Ce fut la femme qui l’emporta. Au matin, il lui faisait remettre par son valet une lettre dans laquelle il se soumettait entièrement à ses volontés, l’adjurant cependant de ne pas faire durer trop longtemps son martyre : « Votre beauté m’a rendu fou, disait-il. Faites de moi ce que vous voudrez mais apaisez, je vous en supplie, le feu qui me brûle… »
En recevant cette capitulation enflammée, Marie eut un sourire radieux. Allons, tout n’était pas perdu et ce qui ne s’était pas produit un jour pourrait l’être le lendemain !…
Elle donna ensuite l’ordre de préparer ses coffres. La Cour rentrait à Paris et elle n’était pas fâchée de voir ce que devenait son époux. Mais lorsqu’elle arriva rue Saint-Thomas-du-Louvre, ce fut pour apprendre que Monseigneur était parti l’avant-veille pour Dampierre : une partie du parc s’était trouvée inondée par la rupture d’une vanne et Bois-pillé appelait d’autant plus au secours qu’une tractation, engagée avec un voisin pour l’acquisition d’une parcelle destinée à l’agrandissement des jardins, soulevait des difficultés. Chevreuse s’y était rendu sur-le-champ.
Déçue, Marie hésita un instant à le rejoindre bien qu’elle éprouvât l’envie extrême de se retrouver à Dampierre à quoi, à chaque revoir, elle s’attachait davantage. Elle aurait voulu aussi embrasser ses enfants. Qu’elle aimait en dépit du peu de souci qu’elle prenait à le leur montrer. Mais consciente du danger que pouvait présenter pour eux le nœud d’intrigues dont elle tissait les fils, elle choisit finalement de rester à Paris afin de les en tenir écartés. C’était valable aussi pour Claude. En l’éloignant de Fontainebleau, le Roi, sans doute, voulait l’isoler d’elle mais peut-être aussi épargner des angoisses à un homme qu’il aimait bien…
De toute façon, Claude reviendrait quand il saurait que le Roi était de retour dans sa capitale.
Pas pour longtemps ! En se rendant au Louvre un matin, Marie trouva le palais en plein remue-ménage et la Reine fort troublée : Louis XIII venait d’apprendre, via le Cardinal, que César de Vendôme, retranché dans sa Bretagne, était en train d’y lever des troupes. Dans quel but ou contre qui, c’est ce qu’il s’agissait d’éclaircir. Aussi l’urgence commandait-elle de se diriger vers la Loire avec pour première destination le château de Blois. Il appartenait à la Reine-mère mais celle-ci se faisait une joie d’y accueillir ses fils, consacrant ainsi la reconstitution de la famille un instant ébranlée.
En effet, Louis XIII, Marie de Médicis et Gaston d’Anjou avaient signé la veille un document soigneusement préparé par le Cardinal aux termes duquel tous trois juraient de vivre désormais dans la plus étroite union. Aux assurances de bonne conduite données par Monsieur répondait la promesse du Roi de traiter à l’avenir son frère comme son propre fils. Quant à la mère, elle se portait garante de cette double promesse. Entraîné par l’exemple, le prince de Condé faisait allégeance au Cardinal !
Une seule personne restait à l’écart de cet étrange traité : celle qui était à la fois l’épouse, la bru et la belle-sœur des membres de la touchante trinité familiale. Anne d’Autriche ressentait douloureusement un accord dont elle redoutait à juste titre qu’il se soit fait sur son dos, que le mariage Montpensier s’ensuivît et qu’en fin de compte sa répudiation probable se profile à l’horizon. Sans doute faudrait-il compter alors sur un Pape peu disposé à satisfaire un souverain qui le traitait si mal, mais Anne savait qu’en politique rien n’était impossible. Surtout si l’on parvenait à obtenir contre elle une quelconque preuve de son adhésion au Parti de l’Aversion et à ce qui s’en était suivi.
Dans ces conditions, elle ne pouvait qu’appréhender le voyage en direction de la Loire au bout de laquelle était la Bretagne.
— Je ne vous cache pas que je suis inquiète, confia-t-elle à Mme de Chevreuse. Nous emmenons plus de troupes que n’en comporte l’escorte habituelle et je crains fort que le Roi ne veuille attaquer le duc de Vendôme pour lui arracher son gouvernement.
— Lever des troupes ne signifie pas forcément que l’on va rentrer en rébellion !
— Allons donc ! Vous connaissez mieux que moi le duc César !
— Je le crois déterminé à forcer un destin dont il estime qu’il lui a été contraire. Il aurait dit à l’un de ses familiers qu’il espérait ne revoir le Roi son frère qu’en peinture.
— Voilà un familier fort bavard ! Sait-on si le Grand Prieur l’a rejoint ?
— Demandez à Mme du Fargis ! C’est elle qui me l’a appris !
— Que cette dame d’atour est donc bien renseignée ! marmotta Marie qui commençait à trouver encombrante une femme aussi remuante qui fourrait son nez partout. Je me demande d’où elle le tire… Quoi qu’il en soit, il est facile de savoir si Alexandre de Vendôme est dans son palais du Temple. Je lui ferai parvenir un billet pour m’en assurer… et l’engager à ne quitter Paris sous aucun prétexte…
— Faites-le vite, dans ce cas ! Nous partons demain et vous serez avec moi. Je vous emmène.
— La Reine ne craint pas de déplaire au Roi ?
— Un peu plus ou un peu moins, cela n’a guère d’importance tandis que votre présence en a. J’ai besoin d’une amie auprès de moi.
— Votre Majesté m’enchante… mais la princesse de Conti ?
— Ne nous accompagne pas. Elle m’a demandé un congé de quelques semaines pour se rendre dans ses terres de Picardie.
Marie en fut surprise, un peu froissée aussi. Sa belle-sœur et elle étaient très proches et elle ne comprenait pas pourquoi Louise lui avait caché son intention de s’absenter. Elle comprit même encore moins quand, rentrée afin de préparer le nouveau voyage, elle trouva chez elle un billet dans lequel celle-ci la priait de la rejoindre le soir même à minuit dans l’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés[25] mais s’y rendit ponctuellement sans chercher à en apprendre davantage ainsi qu’il convenait lorsque l’on était engagé dans une conspiration.
Ce fut pour y recevoir une preuve d’affection qui n’avait rien à voir avec les obscurités d’un complot : Louise-Marguerite de Guise, princesse de Conti, épousait secrètement cette nuit-là François de Bassompierre. Celle que le Roi appelait « le péché » et celui qui passait pour le plus grand coureur de jupons du royaume avaient choisi finalement de faire consacrer l’amour fidèle qui les unissait depuis longtemps. Elle avait quarante-six ans, il en avait quarante-sept. Pourtant, un tel bonheur irradiait leurs visages qu’il leur rendait l’éclat de leurs vingt ans et quand le prêtre unit leurs mains sous sa bénédiction, Marie, bouleversée, laissa couler des larmes, d’émotion sans doute, mais peut-être aussi d’envie car elles avaient un goût amer ! L’épouse de Claude pouvait mesurer à cet instant l’étendue de sa solitude…
CHAPITRE XII
DU SANG SUR LES MAINS…
La Cour mit quatre jours pour atteindre Blois par Chartres, Toury et Orléans d’où l’on descendit la Loire sur de grandes barques aménagées. Le temps de ces premiers jours de juin était délicieux et, en dépit du puissant appareil guerrier qui rejoignait la ville ducale par voie de terre – et ne laissait aucun doute sur l’intention du Roi de prévenir la révolte de son demi-frère ! –, la Reine et Mme de Chevreuse y prirent un certain plaisir. Et pour la meilleure des raisons : Richelieu n’était pas du voyage. Malade, il gardait le lit dans son château de Limours non loin d’Etampes.
Son absence ravissait aussi le comte de Chalais, obligé de suivre le Roi de par sa fonction de Maître de la Garde-Robe. Cela lui permettait de reporter à plus tard le projet d’assassinat dont Marie l’avait investi et il en éprouvait un soulagement. La santé du Cardinal n’étant guère plus solide que celle de Louis XIII, on pouvait même rêver de le voir partir pour un monde meilleur sans le secours d’un quelconque estafier. Ce qui serait un vrai cadeau du Ciel !
Quand on fut à Blois, il fallut bien constater que Louis XIII savait faire preuve de poigne sans l’assistance d’un ministre qui cependant semblait lui être devenu cher. Par deux fois, le Cardinal avait offert sa démission. Par deux fois elle avait été refusée. La seconde fois par une lettre ne laissant aucun doute sur la détermination royale à le protéger :
« Mon cousin, j’ai vu toutes les raisons qui vous font désirer votre repos que je désire avec votre santé plus que vous pourvu que vous le trouviez dans la conduite principale de mes affaires. Tout, grâce à Dieu, y a bien succédé depuis que vous y êtes et j’ai toute confiance en vous…
« Ne vous amusez point à tout ce qu’on vous en dira, je dissiperai toutes les calomnies que l’on saurait dire contre vous… Assurez-vous que je ne changerai jamais et que quiconque vous attaquera vous m’aurez pour second. »
Ce fut au lendemain de l’arrivée au château que prit fin l’illusoire euphorie du voyage. Ce jour-là, après avoir entendu la messe dans la chapelle du donjon[26], Louis alla saluer sa mère avec laquelle il s’entretint un moment puis partit pour une chasse au sanglier.
Les paroles échangées avec son fils procurèrent sans doute un vrai plaisir à la Florentine car elle se hâta d’en faire part à sa bru :
— La mansuétude de votre époux me charmera toujours, ma fille, lui dit-elle. Alors que le duc de Vendôme s’efforce de soulever la Bretagne contre lui et qu’au Temple, le Grand Prieur ne cache pas sa sympathie pour les ennemis du royaume, il leur offre la paix avant même que les armes aient parlé ! C’est la marque d’une grande âme, ne trouvez-vous pas ?
— Certes, madame, mais comment le Roi l’entend-il ?
— Des messagers sont partis l’un pour Rennes, l’autre pour Paris afin d’inviter les Vendôme à venir prendre langue avec lui et d’essayer de s’entendre. Une guerre est toujours un malheur et vous savez combien mon fils est économe du sang de ses soldats comme de celui de son peuple… Les Vendôme sont de vos amis, je crois ?…
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