Elle avisa un banc de pierre où elle s’assit après avoir vérifié à l’aide de son mouchoir si le velours de sa robe ne risquait rien. Comme ce n’était pas très large, le jeune homme fut obligé de rester debout. Il n’était pas content :

— De choses sérieuses ! Mais de quoi, mon Dieu ? Vous devriez être rassérénée puisque vous voici revenue à la Cour.

— Ah ! Vous trouvez ?… Laissons de côté les considérations oiseuses et allons droit au but ! Quoique serviteur du Roi – comme tout le monde d’ailleurs ! – vous êtes très lié avec Monsieur ?

— En effet. Je crois qu’il m’a en affection…

— Alors il faut que vous preniez, pour un temps, la place que tenait d’Ornano !

— Surintendant de sa maison quand je suis déjà…

— Je sais ce que vous êtes ! s’emporta Marie. Et ne m’interrompez pas à chaque phrase ! Il est question de le remplacer dans ses conseils parce que Monsieur doit se sentir assez solitaire. Et ne me dites pas qu’il a une horde de gentilshommes autour de lui ! Vous devez obtenir de Gaston qu’il mette une condition à ce maudit mariage : la libération de d’Ornano, son mentor et son plus vieil ami. Qu’il fasse jouer ce qu’il veut : mauvaise santé, âge, n’importe quoi, mais qu’il exige son élargissement.

— Vous pensez qu’il a une chance d’être entendu ?

— Aucune ! Quand ce damné Cardinal tient une proie, il ne la lâche pas mais les discussions – et il y en aura ! – nous donneront du temps. Celui de faire disparaître Richelieu et de mettre Monsieur à l’abri dans une place forte des frontières… à Metz par exemple ou à Sedan, c’est-à-dire dans une ville dont le maître est de nos amis. Eh bien ? Qu’y a-t-il ? Vous en faites une tête !

— Vous dites des choses terribles ! Faire disparaître le Cardinal… mais jusqu’à quel point ?

— En voilà une question ! Jusqu’à ce qu’il ne soit plus gênant. On peut l’enfermer… ou mieux l’éliminer définitivement ! Comprenez donc que sans lui, nous n’aurions plus aucune peine à circonvenir le Roi ! D’ailleurs vous n’ignorez pas, ainsi que moi-même… que Sa Majesté est souvent malade ! Avec un peu de chance, notre prince ne resterait pas longtemps éloigné de nous. Mais nous n’en sommes pas là et il faut aller au plus pressé : engager des pourparlers pour tirer d’Ornano de Vincennes et pendant ce temps monter une gentille conspiration contre le Cardinal. Ce ne sera pas aussi difficile que vous le pensez car nous avons des amis sûrs. Alors, êtes-vous prêt à faire ce que je vous demande ? Je vous rappelle qu’il n’y pas si longtemps, vous m’imploriez en disant : commandez, j’obéirai !

— Certes, mais il s’agissait de vous servir vous. Pas d’entrer dans un complot…

Les yeux pleins d’éclairs et la lèvre méprisante, Marie se leva si brusquement qu’il dut reculer :

— Brisons là, monsieur ! Et veuillez me pardonner de vous avoir pris pour ce que vous n’êtes pas : un cœur vaillant !

— Permettez, madame ! J’ai fait mes preuves !

— A la guerre ? Au milieu d’une armée ? C’est plutôt facile ! Exécuter des ordres est à la portée de n’importe qui mais moi je n’aimerai jamais n’importe qui. Un chef oui ! Ce que vous ne pouvez être ! Adieu !

Elle voulut sortir de la grotte mais il lui barra le passage :

— Un moment encore, je vous en supplie ! Ne me condamnez pas si vite ! Je suis prêt à lui transmettre vos conseils.

— Ce n’est pas suffisant ! Tant que d’Ornano n’est pas sorti de Vincennes il nous faut un chef ! Le serez-vous ?

— Ouuui, mais…

— Pas de mais ! Laissez-moi passer !

— Ecoutez ! Je conçois que Richelieu soit gênant pour vous bien que je ne distingue pas quel mal il a pu vous faire… Vous êtes encore libre.

— Et cela vous suffit ? Oui, je suis « encore » libre mais cela ne saurait durer car je ne souscrirai pas aux conditions que l’on m’impose justement pour que cela dure ! Sachez, monsieur, que, comme vous-même, Richelieu ne rêve que d’être mon amant… et que je me demande si, finalement, lui céder ne serait pas la meilleure manière de régler cette affaire. Il n’est pas laid, il a grande allure et si l’on en croit Mme de Combalet, sa nièce et sa maîtresse, il ne manque pas de talent au lit !

Un instant, Marie crut que Chalais allait la frapper. Son poing crispé se levait…

— Vous et lui !… Votre corps entre ses bras ?

Elle haussa les épaules, le défiant du regard, mais un regard à damner un saint :

— Dans les siens ou dans les vôtres ! A vous de choisir !

— Ce qui veut dire ?

— Décidément vous ne comprenez pas vite, mon pauvre ami ! C’est pourtant simple : je me donnerai à qui me débarrassera du Cardinal ou je deviendrai sa maîtresse.

Et cette fois, Marie sortit de la grotte et reprit à pas vifs le chemin du château. Eperdu, Chalais voulut lui courir après mais quand il la rejoignit, elle parlait avec un jeune et élégant promeneur qui était en train de lui offrir son bras. Du coup il bondit :

— Ah, madame ! C’est méchant de me délaisser au profit d’un autre ! Nous nous promenions ensemble jusqu’ici !

L’« autre » se mit à rire. Il se nommait Roger de Gramont, comte de Louvigny, et c’était l’un des bons amis de Chalais.

— Si c’est le cas, tu as commis une grosse faute en abandonnant Madame ne fût-ce qu’un instant. Et moi je ne renoncerai pas à cette fortune inattendue qui m’échoit. Je suis votre admirateur passionné, Madame la Duchesse, même si je n’ai pas encore osé vous le dire, et ne demande qu’à vous servir !

Marie se mit à rire, de ce rire plein de gaieté auquel nul ne pouvait résister :

— Je ne me savais pas aussi riche de serviteurs aimables et séduisants ! En ce cas, messieurs, offrez-moi chacun un bras et cheminons de compagnie !

Sa gaieté allégea une atmosphère que la poussée de jalousie éprouvée soudain par Chalais risquait d’alourdir. Et ce fut en bavardant de tout, de rien et en riant beaucoup que l’on se dirigea vers le château. La pluie avait cessé, le temps s’adoucissait et les oiseaux recommençaient à chanter. Arrivés dans la cour de la Fontaine, il fallut se séparer : la Duchesse remontait chez la Reine et Louvigny chez le Roi :

— Toi aussi, je suppose ? demanda-t-il à Chalais. Tu as ton service…

— Plus tard. Pour l’instant – et se redressant de toute sa taille il enveloppa Marie d’un regard significatif – je dois voir Monsieur. Depuis qu’on lui a enlevé son cher d’Ornano, il a besoin de réconfort. J’y vais !… A plus tard, madame ! J’aurai l’honneur d’aller vous présenter mes hommages !

— Hé là, quel ton ! ironisa Louvigny. On dirait qu’il s’en va mener l’assaut contre un bastion ennemi ! Il ne lui manque que mettre flamberge au vent en criant « Sus ! »

— Il y a peut-être un peu de cela, dit Marie en souriant. Monsieur a ceci de commun avec son royal frère, c’est qu’il n’est pas facile à consoler. Lorsque l’humeur noire le prend c’est le diable de l’en faire sortir !

— Alors souhaitons-lui bon courage !… Il m’en faut aussi à moi. Notre sire ne cultive guère la franche gaieté en son quotidien mais, en ce moment, il est franchement lugubre ! M’accorderiez-vous un viatique semblable à celui de Chalais ?

— Comment l’entendez-vous ?

— La permission d’aller vous saluer, chez vous ! Ou mieux de vous y raccompagner lorsque vous rentrerez ! Les mauvaises rencontres sont toujours possibles et puisque Monseigneur votre époux est absent…

Le regard dont il l’enveloppait osait bien davantage mais, outre qu’elle savait la manière de tenir à distance un amoureux trop pressant, Marie pensa que ce n’était pas le moment de décourager une bonne volonté soudaine : celui-là était aussi un proche de Gaston ! Et puis, une jalousie supplémentaire ne ferait aucun mal à Chalais.

— Pourquoi pas ? répondit-elle en lui tendant une main sur laquelle il se jeta.

Pendant ce temps, ledit Chalais gagnait l’appartement de Monsieur. Il y trouva le Grand Prieur de Vendôme…


En effet, le Parti de l’Aversion n’était pas aussi affaibli que le craignait Mme de Chevreuse. Les frères Vendôme pensaient, comme la Duchesse elle-même, qu’il fallait à n’importe quel prix faire libérer d’Ornano, empêcher Gaston de convoler, et que pour ce faire le moyen le plus radical était de mettre Richelieu hors d’état de continuer à nuire aux Grands. Lui disparu, on viendrait facilement à bout de Louis XIII. Cependant leurs vues différaient de celles de Marie en ce que celle-ci envisageait le discrédit et l’éloignement, alors qu’eux songeaient tout simplement à le tuer en vertu de ce principe que les morts viennent rarement vous mettre des bâtons dans les roues… Un projet, né de l’urgence, était déjà sur pied ainsi que Chalais l’apprit à Marie le soir même. Il fallait profiter du séjour à Fontainebleau qui ne durerait plus bien longtemps. La date du 10 mai fut donc arrêtée.

Ce soir-là, à l’issue d’une chasse un peu trop prolongée, du côté de Fleury, Gaston et quelques-uns de ses amis, pris par l’approche de la nuit, iraient demander le gîte et le couvert au Cardinal. Sous un prétexte quelconque et avec les fumées du vin une querelle éclaterait durant le souper. On en viendrait aux armes et dans le feu de l’action un coup de lame atteindrait le Cardinal. Mortellement si possible ! On tira au sort pour savoir qui porterait le coup fatal. Ce fut Chalais…

Le jeune coq vint s’en vanter à Marie. Franchement admirative, celle-ci lui promit d’être à lui dès que la mort de son ennemi serait proclamée et lui donna un baiser à titre d’acompte en ajoutant qu’elle passerait cette nuit-là en prière pour le succès de l’opération. Dieu, assurément, ne pouvait qu’approuver une action qui mettrait à terre celui qui osait défier le Pape, son vicaire. Anne d’Autriche fut, par elle, informée discrètement de ce qui se préparait. Inquiète cependant, elle demanda à Marie de passer avec elle cette journée cruciale mais aussi d’y rester après la tombée de la nuit. Ce faisant, elle voulait protéger son amie des suites possibles de l’attentat en la gardant au château.