CHAPITRE XI
L’ATTENTAT
Les six jours qui suivirent furent un cauchemar. A chaque instant Marie s’attendait à voir sa maison investie par Du Hallier et ses gardes pour l’emmener elle et sous bonne escorte rejoindre les frères d’Ornano au donjon de Vincennes. Ses jours étaient vides et ses nuits sans sommeil. Il lui arrivait de se lever pour ordonner que l’on fît ses coffres, qu’on l’habille, qu’on attelle, prise d’une folle envie de fuir loin de ce palais que son imagination lui montrait à présent peuplé d’ennemis. Mais, la crise d’angoisse passée – elle s’apaisait toujours au moment d’appeler –, elle retournait se coucher ou alors se traînait appuyée sur une canne au petit jardin qui était derrière son logis et s’asseyait sur un banc de pierre près de la fontaine.
Chalais fidèlement venait tous les après-midi et s’efforçait de la rassurer. On ne parlait pas beaucoup d’elle à la Cour sinon pour supposer que Chevreuse, toujours introuvable, s’était hâté de l’emmener au loin afin de la soustraire à une éventuelle colère royale. Evidemment tout dépendait des aveux que l’on pourrait obtenir du maréchal d’Ornano. On les savait très liés, et selon ce qu’il dirait… Quant à Monsieur, il avait eu une longue conversation avec le Roi et le Cardinal mais de ce qui s’était dit rien n’avait transpiré. L’appartement du prince n’était plus gardé, cependant il n’en sortait guère et recevait de fréquentes visites de sa mère.
En réalité, il n’y avait aucune preuve contre Mme de Chevreuse alors que les lettres trouvées chez d’Ornano dénonçaient la collusion avec l’étranger mais, plus amoureux que jamais, Chalais s’évertuait à faire durer ces instants, magiques pour lui où, devenu son seul lien avec l’extérieur, il cherchait à s’introduire dans sa vie intime. S’il se montrait plutôt discret sur la température de la Cour, il ne tarissait pas lorsqu’il lui parlait de l’intensité de son amour. Au point parfois de l’agacer mais quoi ? L’écouter était un prix modique à payer pour s’assurer sa fidélité. Elle se montrait charmante avec lui, sachant néanmoins toujours l’arrêter quand il se risquait sur un terrain trop brûlant, et pour une simple raison : elle ne l’aimait pas. Certes il était jeune, bien fait, entraîné à tous les exercices du corps et d’agréable compagnie. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle songeait à en faire son amant. Même sa légère ressemblance avec Holland le desservait : il lui faisait l’effet d’une mauvaise copie et ses regrets de l’original n’en étaient que plus poignants !
Cet état de fait aurait pu durer longtemps mais, le septième jour, la grille s’ouvrait devant les chevaux de Louise de Conti, et leur maîtresse entrait en conquérante dans la maison de Marie.
— Hé quoi, ma chère ? Etes-vous souffrante ou bien, touchée par la grâce divine, entrez-vous en retraite avant de vous faire moniale ?
Marie lui tomba dans les bras :
— A Dieu ne plaise… encore que la seconde éventualité pût être envisagée ! En fait je ne sais plus trop à quoi me résoudre.
— Vous rendre chez la Reine me paraît une idée judicieuse. D’autant qu’elle vous réclame.
— Je ne souhaite que cela mais si l’on doit m’arrêter au seuil de ses appartements…
— Et pourquoi, diantre, vous arrêterait-on ? Il est temps, je crois, de faire le point de la situation. D’Ornano a été expédié à Vincennes pour avoir écrit des lettres à des souverains étrangers dans le but d’assurer leur appui à ce cher duc d’Anjou. Vous êtes de ses amies. Très bien ! Mais vous n’êtes pas la seule et vous n’avez jamais écrit quoi que ce soit à qui que ce soit !
— N… on, sauf peut-être à…
— … un certain Lord anglais qui vous tient à cœur ! Les lettres d’amour ne constituent pas un acte de trahison. Aussi n’y a-t-il pas de raison pour continuer à vous morfondre ici ! Allez vous habiller ! Je vous emmène…
Ah, la merveilleuse sensation de délivrance ! Marie en aurait pleuré de joie !… Pourtant avant d’appeler ses femmes, elle avait encore une question :
— Sauriez-vous où est celui de vos frères qui est aussi mon époux ?
— A Paris ! Il y est parti sur ordre du Roi peu de temps après l’arrestation avec défense d’en bouger. Ne me demandez pas pourquoi, ajouta-t-elle très vite en voyant Marie ouvrir la bouche. Et pour l’amour du ciel, hâtez-vous !… Mais qu’avez-vous au pied ?
— Plus rien qui vaille la peine d’en parler ! Vous m’avez guérie !
On perdit encore un moment, bien que Marie se fût précipitée à sa toilette parce que, à l’heure où l’on allait se mettre en route, Chalais fit son apparition avec sa moisson quotidienne de « nouvelles » plus ou moins expurgées. La vue de la princesse de Conti le stupéfia tellement qu’il resta sans voix un instant mais se reprit :
— Mme de Chevreuse va sortir ?
— Oui, elle va sortir, répliqua Louise. Oui, je suis venue la chercher, je l’emmène chez la Reine qui la réclame et non, elle n’a plus rien à craindre ! Vous voilà satisfait, j’imagine ?
— Oui, mais…
— Pas de « mais », mon ami ! coupa gentiment Marie. Vous m’avez été d’un secours extrême et je ne l’oublierai pas. Souffrez à présent que je reprenne ma place à la Cour.
— Alors je vais avec vous ! Et je vous suivrai partout où vous irez !
— Mais pourquoi ?
— J’ai peur que tout cela ne cache un piège.
— Un piège ? s’insurgea Mme de Conti. Vous êtes gracieux, vous ! Pour qui me prenez-vous ? Pour un agent du Cardinal ?
— A Dieu ne plaise, Madame la Princesse, mais la Cour est un endroit dangereux et Monseigneur de Chevreuse ayant disparu, il est bon qu’une épée au moins soit au service de son épouse…
— Soit ! Faites à votre guise mais souvenez-vous que vous n’avez pas le droit de pénétrer chez la Reine en l’absence du Roi ! Et que vous êtes toujours au service de celui-ci !
Une demi-heure après, les deux femmes se présentaient chez Anne d’Autriche. Celle-ci priait dans son oratoire. Quand elle en sortit ses amies remarquèrent ses yeux rougis par les larmes et peut-être l’insomnie, mais quand elle aperçut Mme de Chevreuse, elle se jeta dans ses bras en sanglotant sans se soucier du cercle figé de ses dames et demoiselles. Mme de Conti prit sur elle de leur demander avec une douceur inhabituelle, de bien vouloir laisser la Reine s’entretenir un instant avec son amie. Elle-même les suivrait.
La lente vague des révérences recula vers la porte que la princesse referma en personne cependant que Marie faisait asseoir Anne et s’agenouillait auprès d’elle, désolée de la voir dans cet état. La fière image de l’Infante cuirassée d’orgueil venait de s’effondrer, laissant place à une jeune femme plongée dans le désespoir.
Elle la laissa pleurer un moment, sachant à quel point un flot de larmes trop longtemps retenues pouvait apporter d’apaisement. Quand un instant de calme revint, elle lui fit boire un peu de vin, l’aida à s’étendre sur son lit et bassina ses tempes avec une eau de senteur. Et enfin demanda la raison de ce gros chagrin.
— Le Roi, mon époux, m’est venu voir pour me dire que Monsieur le Cardinal avait obtenu la quasi-certitude du prochain mariage.
— Le Cardinal ! Encore le Cardinal ! Il mène tout décidément… et le Roi avant le reste !
— C’est ainsi. En outre on m’a laissé entendre que si Mlle de Montpensier procréait un fils, je pourrais être répudiée afin qu’une autre épouse donne enfin un héritier au royaume !
— Quelle idiotie ! Le mal ne peut venir de vous : votre santé est toujours parfaite alors que l’on ne saurait en dire autant d’une autre !
— Avez-vous des nouvelles du Maréchal ? Sait-on si lui ou l’un de ses frères a parlé ?
— Cela m’étonnerait ! C’est un homme dur et déterminé que d’Ornano. Quant à ses frères, je ne pense pas qu’ils sachent grand-chose.
— En tout cas voilà notre Parti de l’Aversion sans chef. Autant dire démantelé ! Or nous en avons le plus grand besoin. Il nous faut quelqu’un d’assez proche de Monsieur pour le faire revenir sur son acceptation… et j’ai peut-être une idée !
— Laquelle ?
— Pardonnez-moi, ma Reine, mais il faut d’abord que je voie quel début d’exécution je peux lui donner ! Rappelez vos dames ! Moi je m’en vais !
— Déjà ? Mais nous n’avons rien dit !
— Oh, que si ! Je reviens bientôt !
Une rapide révérence et elle avait disparu, mais le martèlement rapide de ses talons claquait encore sur le marbre de l’escalier. Au dernier degré, elle trouva Chalais qui faisait les cent pas. Elle prit son bras au vol :
— Venez ! Nous avons à parler !
— Volontiers. Où allons-nous ?
— Dans le parc ! Nous serons plus tranquilles.
— Vous savez qu’il pleut ? Pas depuis longtemps, mais il pleut !
— Tant mieux, on ne nous dérangera pas.
Entraîné par elle, on traversa la cour de la Fontaine en courant pour passer dans le jardin des Pins[23] où l’on fut à couvert sinon à l’abri. Il pleuvait en effet mais modérément. En outre, il y avait à l’ouest de ce jardin une petite grotte remontant à François Ier dont quatre atlantes soutenaient l’entablement.
— Là ! fit Marie avec un soupir de soulagement. Nous y voici et vous voyez que vos rubans n’ont pas trop souffert. A présent causons !
Chalais, cependant, se méprenait sur ses intentions. Ravi qu’elle l’ait conduit dans cet asile écarté, il la prit par la taille :
— Quelle merveilleuse idée vous avez eue, ma chère ! Goûter un moment de solitude avec vous, j’en rêvais…
— Tenez-vous donc tranquille ! gronda-t-elle en le repoussant. Si j’avais envie d’un moment de solitude, je ne choisirais pas un trou de rochers parfumé à l’eau croupie. Nous avons à parler de choses sérieuses ! Alors du calme !
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