— Rentrez à pied, je vous renverrai votre voiture. Evitez la cour du Cheval Blanc ! Sortez par la porte du jardin de Diane. Je vais m’occuper de la Reine.

Un regard de Marie sur la souveraine lui montra qu’elle était hors d’état de l’aider : elle venait d’avoir un malaise et « Stefanille » lui tapait dans les mains tandis que Mme de Lannoy, visiblement enchantée, lui faisait respirer des sels. Marie ne lui en adressa pas moins une belle révérence avant de s’élancer au-dehors, s’enveloppant de la mante en léger taffetas à capuchon qu’elle mettait lorsqu’il faisait doux et que l’on risquait une ondée.

Hormis dans l’antichambre où elle compta plus de gardes qu’à l’arrivée, elle ne rencontra personne. La Cour devait se concentrer chez le Roi afin de ne rien perdre d’événements dont plus d’un aurait lieu de se réjouir. Cependant le cœur battait fort à Marie quand ses petits souliers de satin rouge touchèrent le sable de l’allée. Bien qu’elle eût envie de courir, elle se contraignit à une allure plus calme afin de ne pas attirer l’attention : les fenêtres du Roi donnaient aussi sur le jardin de Diane ! Par chance le temps se maintenait : elle se voyait mal barbotant en robe de cour dans les flaques d’eau. Ses minces chaussures ne s’en seraient pas remises, en admettant qu’elles existent encore lorsqu’elle arriverait chez elle !

Elle approchait de la porte percée dans le mur d’enceinte quand elle entendit derrière elle des pas précipités tandis qu’une voix d’homme appelait :

— Madame !… Madame la Duchesse !…

Croyant qu’on la poursuivait elle eut un hoquet d’angoisse, hésita un court instant puis ramassant ses jupes, se mit à courir, obsédée soudain par cette ouverture sur la liberté… Où veillait cependant un corps de garde mais son poursuivant était plus rapide : il l’eut vite rattrapée. Au même moment elle se tordit le pied et poussa un cri de douleur.

— Par grâce, madame, ne vous sauvez pas. Je ne vous veux aucun mal… bien au contraire !

Elle s’aperçut qu’elle pleurait parce que dans le crépuscule elle ne pouvait distinguer les traits de son poursuivant. Qui d’ailleurs s’inquiétait :

— Vous vous êtes fait mal ?

— Un peu, oui. Que me voulez-vous ?

— Rien que vous servir si vous le permettez ! Oh, Madame la Duchesse, il y a si longtemps que je vous admire sans jamais oser me présenter à vous ! Et quand, de chez le Roi, je vous ai vue traverser le jardin…

— Vous m’avez reconnue ?

— Je sais tout de vous jusqu’aux couleurs de vos robes et j’ai reconnu cette mante du même bleu que vos yeux ! Ordonnez seulement et j’obéirai !

— Vraiment ? Eh bien, d’abord je voudrais sortir d’ici au plus vite ! Or le pied m’a tourné…

— Et vous souffrez ? Je suis impardonnable ! Prenez mon bras, je vais vous accompagner…

— C’est gentil à vous mais même avec votre appui, je ne sais comment je vais faire pour aller jusque chez moi. C’est beaucoup trop loin !

— Rien de plus vrai ! Où est votre voiture ?

Ce garçon était peut-être providentiel mais il devait être idiot, et Marie n’en sentit pas moins la moutarde lui monter au nez :

— Où voulez-vous qu’elle soit ? Dans la cour du Cheval Blanc, évidemment ! Vous venez de me dire que vous n’ignoriez rien de moi ! Et si je ne l’ai pas rejointe c’est que…

— … il valait mieux éviter de traverser le château après ce qu’il vient de se passer ! Mais moi je ne suis pas en péril et je vais vous la chercher…

— … et vous reviendrez avec les soldats chargés de la garder ! Allez plutôt prendre un cheval à l’écurie. Je pourrai me maintenir en croupe…

— Merveilleuse idée ! Je vais avoir l’impression grisante d’être votre chevalier !

En dépit de sa situation peu enviable, Marie ne put s’empêcher de rire. L’enthousiasme de ce jeune homme – elle le distinguait mieux à présent et il était loin d’être laid ! – la réconfortait :

— Pourquoi pas ? Maintenant, conduisez-moi jusqu’au banc qui est là et que l’on ne doit pas voir du château. Je vais vous y attendre.

Il l’y mena avec sollicitude, l’y installa comme il put et allait s’élancer pour accomplir sa mission quand elle le retint :

— Encore un instant ! Si vous me disiez qui vous êtes ?

Il s’attrista :

— Je savais bien que vous ne m’aviez jamais remarqué ! J’ai nom Henri de Talleyrand, comte de Chalais et je suis le Maître de la Garde-Robe de Sa Majesté le Roi…

Ce fut un trait de lumière pour Marie qui cherchait depuis un moment qui pouvait être ce jeune homme, assez beau et qui même lui rappelait un peu Holland. Cela remontait au temps de ses bonnes relations avec Louis XIII dont le jeune Chalais avait été enfant d’honneur avant de se voir offrir par sa mère la charge fort onéreuse de responsable des habits et joyaux du Roi. Depuis le drame de la salle du trône, Marie n’avait eu que de rares relations avec la maison du souverain. En revanche, il lui semblait avoir aperçu ce visage dans les entours de Monsieur… C’était étonnant qu’elle n’y ait pas attaché plus d’importance. Justement à cause de cette vague ressemblance…

Quand il revint tout fringant, en selle sur un grand cheval moreau en croupe duquel il l’installa en lui recommandant, avec un tremblement d’émotion dans la voix, de mettre ses bras autour de lui, elle lui posa aussitôt la question qui la tracassait :

— De par votre charge vous êtes au Roi, pourtant j’ai l’impression de vous avoir rencontré chez le duc d’Anjou ?

— C’est vrai. Je dois ma fidélité à notre sire mais depuis longtemps le Prince m’honore de son amitié… J’avoue que je l’aime bien. Il est toujours si gai, si avenant…

— Je ne saurais vous le reprocher. Est-il indiscret, en ce cas, de vous demander si vous vous êtes joint à ceux de L’Aversion ?

— Disons que j’y suis de cœur sinon de fait. Je ne vous cache pas qu’après ce qui vient de se passer, je suis fort en souci de Monsieur. M. de Tresmes a reçu l’ordre de garder son appartement.

— Sait-on pourquoi l’on s’est saisi du maréchal d’Ornano ?

— A cause d’une correspondance avec le roi d’Espagne et le duc de Savoie dont les gens du Cardinal se seraient emparés…

— Le Cardinal ? Encore lui ! Quand donc le Roi comprendra-t-il que ce trublion n’aura de cesse de l’isoler de sa famille et de sa noblesse afin de mieux s’assurer le pouvoir ?

Chalais n’ayant pas jugé bon de répondre, Marie n’insista pas. On arrivait à destination et elle était trop inquiète de son propre sort pour essayer de savoir ce qu’il pensait au juste de Richelieu. Cependant le petit hôtel était aussi paisible et silencieux qu’au moment où elle l’avait quitté. Un valet armé d’un flambeau sortit précipitamment quand le jeune homme arrêta son cheval devant le perron :

— Madame la Duchesse est blessée, allez quérir ses femmes et un médecin ! lui ordonna Chalais.

— Pas de médecin, s’il vous plaît ! coupa Marie. Ma vieille Anna en sait autant et je ne veux pas d’un inconnu chez moi ! Où est Monseigneur le Duc ?

Le serviteur répondit qu’il n’était pas rentré et demanda s’il fallait envoyer à sa recherche. Ce que Marie déclina. Cependant Chalais l’avait enlevée de selle et sans lui demander son avis, gravissait le perron en la portant dans ses bras, ce qu’il faisait aisément et avec une joie si visible qu’elle remarqua :

— Vous auriez pu demander un fauteuil et deux laquais ?

— Et me priver de cet instant de pur bonheur ? J’aurais voulu que notre chevauchée dure des heures et que cette demeure fût plus vaste que le plus grand des palais !

Après tout, ce mode de locomotion plaisait assez à la jeune femme. Son porteur était grand, mince, mais vigoureux. Il y avait une éternité que des bras virils ne s’étaient pas refermés sur elle et son pied ne la faisait pas suffisamment souffrir pour l’empêcher d’apprécier ce plaisir. Elen et Anna qui accouraient les rejoignirent vers la moitié de l’escalier et voulurent aider, mais Chalais ne consentit à lâcher son fardeau que sur les coussins du lit à colonnes où il la déposa avec une délicatesse… et un regret infinis. Quand ce fut chose faite, il s’agenouilla sur le tapis :

— Que puis-je faire à présent pour vous être agréable ? Je suis à vous et vous n’avez qu’à ordonner !

— Je ne suis guère en disposition de commander, mon cher comte, mais je souhaiterais que vous vous dépêchiez de retourner au château afin de voir où en sont les choses pour Monsieur et ses amis. Au cas où vous entendriez de mauvais… bruits me concernant…

— Vous en serez prévenue aussitôt. De même si personne ne s’en est emparé, je vous ramènerai votre voiture. Vous pourriez en avoir besoin…

— Pour m’éloigner en hâte ? J’espère encore ne pas y être obligée et qu’alors mon époux viendrait à mon secours si cela arrivait. A bien y réfléchir j’aimerais que vous le cherchiez…

— Soyez sans crainte, je vais m’enquérir de lui dans l’instant mais il se peut qu’il soit déjà en chemin…

— Nous verrons ! Revenez dès que possible !… et si vous réussissez à approcher Monsieur, veuillez lui dire que je demeure plus que jamais sa fidèle servante et amie…

Elle s’efforçait au calme et même à une sérénité qu’elle était bien loin d’éprouver. En outre, son pied la faisait réellement souffrir à présent. Quand Anna avait ôté son soulier et son bas, il était apparu gonflé, d’un bleu presque noir. Cependant la Bretonne l’avait rassurée : puisqu’elle n’avait pas mal au cœur, il n’y avait rien de cassé. Une simple foulure peut-être qui l’empêcherait de marcher pendant plusieurs jours. Il ne manquait vraiment plus que cela !

Pourtant, si Marie pensait être parvenue au plus creux de l’inquiétude elle s’aperçut rapidement qu’il n’en était rien… Une heure plus tard Peran ramenait le carrosse et rapportait un billet de Chalais : il lui avait été impossible d’approcher Gaston d’Anjou et le duc de Chevreuse semblait avoir disparu. Chalais ne l’avait trouvé nulle part et personne n’avait pu lui dire ce qu’il était devenu !…