Afin de réchauffer encore l’atmosphère, il ordonna que l’on apportât du vin cuit et des craquelins puis se carra plus confortablement dans son fauteuil tandis que les dames abandonnaient leurs pelisses au dos des leurs.

— Sa Majesté sait que je lui suis tout dévoué, commença-t-il en croisant ses mains sur son giron avec une onction de prélat. Que veut-elle de moi ?

L’honneur d’ouvrir le feu revenait à Louise de Conti, la plus ancienne et la plus titrée des deux visiteuses :

— Permettez-moi d’abord une question, colonel ! Comment Monsieur ressent-il l’annonce de son prochain mariage avec Mlle de Montpensier ?

D’Ornano ne répondit pas immédiatement. Son œil rond s’attachait à la personne de la princesse. On disait Bassompierre toujours fou d’elle et en fait on pouvait le comprendre : en dépit de son âge, la sœur des Guise était toujours une femme superbe ! Quant à la petite Chevreuse, c’était un morceau de choix ! De la façon dont débutait l’entretien, le rusé entrevit une longue suite de visites et de conversations qui pouvaient devenir fort agréables… Cependant il fallait répondre…

— Eh bien ? s’impatienta Marie.

— En vérité, je ne saurais trop le dire. Le Prince est parfois difficile à déchiffrer, même pour moi. Lorsqu’il a appris la nouvelle, il a certes ressenti du mécontentement : il n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite et il pense être assez grand pour choisir lui-même son épouse. Mais, rassurez-vous, il s’est calmé et à la réflexion le projet lui est apparu paré d’une certaine grâce…

— Ne nous dites pas qu’il a déjà accepté ? s’exclama la princesse.

— Non, mais je pense que cela ne saurait tarder : Mlle de Montpensier possède de grands avantages.

Marie échangea avec son amie un coup d’œil inquiet :

— Moins grands cependant que ceux auxquels il renoncerait en se mariant aussi sottement !

— Sottement ? Peste ! Comme vous y allez, Madame la Duchesse !

— Oh ! je ne retire rien ! C’est faire preuve de bêtise que convoler avec une Montpensier aussi riche soit-elle quand, avec un peu de patience, on pourrait épouser une reine…

— Une reine ? Vous ne parlez pas de la nôtre ?

— Mais si ! Justement !

— Réfléchissez un moment ! reprit Louise de Conti. Et laissez-moi vous brosser le tableau : Monsieur épouse la fiancée qu’on lui réserve et quelque temps après le Roi meurt. Vous n’ignorez pas combien sa santé est fragile…

— En ce cas puisqu’il ne laisse pas de descendant Monsieur devient roi…

— Avec Montpensier comme reine ! s’écria Marie. Elle est de bonne naissance, j’en conviens, mais ce n’est pas et de loin une infante ! Qu’on leur renvoie Anne d’Autriche sous des voiles de veuve ne fera aucun plaisir aux Espagnols. Une guerre pourrait en résulter ! Tandis que si la mort de son aîné trouve Monsieur libre de toute attache, il ne lui reste plus qu’à épouser sa veuve et tout le monde sera content.

— C’est l’évidence mais…

— … sans compter, reprit l’astucieuse Duchesse, les honneurs et la puissance ne manquant pas de récompenser celui qui aurait su éviter un tel pas de clerc…

— Le Prince est charmant, relaya Louise, mais il est léger, inconscient, peu fait pour le règne : il aura besoin auprès de lui d’un homme sage, énergique, aussi entendu à la guerre qu’aux affaires de l’Etat et, surtout, d’un mentor dont l’influence sur lui soit absolue…

Le portrait était trop bien brossé pour que Jean-Baptiste d’Ornano ne s’y reconnût pas. Il buvait les paroles de la Princesse avec une délectation qui fit sourire Marie. Tout à coup cependant, il parut retomber de cet immense ciel bleu où il voguait depuis un instant :

— Cela ne me dit pas ce que veut la Reine. N’est-ce pas à elle que je dois le plaisir de votre visite, mesdames ?

— Vous avez raison ! assura Marie. Et nous pensions qu’après ce que vous venez d’entendre, vous aviez compris. Sa Majesté désire que vous opposiez des obstacles au mariage du Prince. Il faut lui faire entendre où se trouve son intérêt véritable. Monsieur vous écoute et suit vos avis. C’est le moment d’en faire la preuve et la Reine vous en saura un gré infini ! D’autant que ce sera un premier pas vers l’exil de cet insupportable Richelieu qu’elle déteste chaque jour davantage. Savez-vous, ajouta-t-elle en baissant la voix, qu’il ose lever les yeux sur elle ? Le colonel sursauta :

— Que dites-vous là ? Il ne se peut ! Un homme d’Eglise !…

— Un prince de l’Eglise, rectifia Marie, ce qui réduit la distance. Et j’ai de bonnes raisons de croire que l’affaire du jardin d’Amiens lui a ouvert des horizons et qu’il ne détesterait pas pallier les déficiences d’un roi incapable de nous donner un dauphin. Déficiences qui ne sauraient que s’aggraver…

— Je pense que vous exagérez, madame ! La situation du Cardinal auprès du Roi n’est pas suffisamment solide pour qu’il ose rêver à ce point… Ce serait de la lèse-majesté !

— Pas si Louis XIII n’est plus ! Buckingham, lui, n’y regardait pas de si près qui, sans sa manie de couvrir d’or et de pierreries le moindre pouce de ses habits, a bien failli collaborer à la descendance des Bourbons ! Quant au Cardinal, je réponds de ses sentiments, intéressés ou non, pour la Reine ! Il n’y a pas si longtemps je lui ai laissé entendre que Sa Majesté aimerait le voir vêtu comme un cavalier et non sous sa robe rouge !

— Et ?

— Et il l’a fait, s’écria Marie en riant. Il est venu parader devant elle en pourpoint court, botté et empanaché ! Je gage que si je lui suggérais de venir danser la sarabande avec une guitare et des grelots aux genoux, il le ferait ! Mais laissons ! Quelle réponse devons-nous rapporter à celle qui met en vous ses espoirs ?

— Que je ferais de mon mieux en parlant à mon prince !

— Soyez-en remercié, mais il faut agir vite !

— J’agirai vite mais dans ce genre d’affaire, il convient non seulement d’y mettre du doigté mais aussi de se bien accorder. Monsieur n’est pas l’homme des décisions fermes et je pense qu’il faudra nous revoir…

Tout en parlant il regardait Mme de Conti à laquelle semblaient s’attacher ses préférences. Sans doute parce qu’elle ne s’appelait pas Marie ! Elle lui tendit aussitôt une main qu’il garda dans les siennes :

— Nous joindrons ainsi l’utile à l’agréable, murmura-t-elle avec un sourire qui le fit fondre…

Pour une fois, ce fut Marie qui prêcha la sagesse :

— Avant de parcourir le pays du Tendre, c’est du royaume de France qu’il convient de s’occuper ! Et je vous rappelle, colonel, que nous sommes avant tout au service de la Reine ! C’est elle qui a besoin de vous…

— Mettez-moi à ses pieds, Madame la Duchesse, et dites-lui que je suis son fidèle !

Il dut tenir parole car deux jours plus tard Gaston d’Anjou priait en pleine cour son frère de le laisser libre de décider lui-même du temps où il lui conviendrait de prendre femme :

— Ce n’est pas, dit-il, que j’aie de l’aversion pour la personne de Mlle de Montpensier. J’appréhende seulement de me lier si tôt !

Le ton était ferme pour une fois et ne laissa pas d’impressionner les esprits. Surtout celui de Richelieu. A la mine satisfaite de d’Ornano, son mentor habituel, on pouvait aisément conclure qu’il était à la source de ce soudain besoin de s’affirmer. Le Cardinal invita aussitôt le colonel à lui rendre visite au Petit-Luxembourg et l’y reçut avec une simplicité propre à effacer quelque méfiance que ce soit chez le Corse. Il souhaitait bavarder un moment avec lui et lui demander, d’homme à homme, ce qu’il pensait du mariage préparé depuis si longtemps et que, cependant, le jeune Gaston repoussait. Le consciencieux éducateur qu’il avait été pour lui – et avec quel succès ! – lui donnait-il des conseils ?

— En aucune façon, Monsieur le Cardinal ! Le Prince n’est plus mon élève et mes avis ne lui sont plus nécessaires. Dans cette affaire, dont je ne veux me mêler en rien, il prend lui-même ses décisions.

— Permettez-moi de le regretter ! A dix-huit ans on ne saurait se passer d’un guide sûr, exact à ses devoirs envers le royaume… et son souverain. Or le Roi désire ce mariage. Il pourrait l’ordonner mais répugne à contraindre un frère qu’il aime. Il préférerait que celui-ci se rallie à l’opinion d’un homme de haute valeur… occupant un rang lui conférant une influence certaine… comme…

— … le modeste surintendant que je suis, Monseigneur ! Veiller à l’ordre et à l’éclat de sa maison ne m’auréole pas d’une gloire suffisante pour impressionner un bouillant jeune homme tel que lui, ricana d’Ornano.

— … comme un maréchal de France ! acheva le Cardinal. Le Roi se plaît à reconnaître les mérites et les braves et loyaux services. Songez-y !

Le titre prestigieux coupa un instant le souffle du Corse. Son père l’avait porté avec orgueil. Il rêvait depuis longtemps de l’égaler un jour. Ce que ses fonctions auprès de Gaston d’Anjou ne laissaient guère espérer…

— Songez aussi, reprit Richelieu d’un ton patelin, qu’il vous faudrait prêter serment au Roi.

L’entrevue s’acheva là. Quelques jours plus tard, Jean-Baptiste d’Ornano recevait le bâton fleurdelisé… et prêtait avec assurance le serment de fidélité qui engageait son honneur. Monsieur applaudit vivement cette nomination et se rapprocha de sa mère que, ces temps derniers, il avait tendance à éviter. Tout sourires, tout charme – il n’en manquait pas quand il le voulait –, il n’eut aucune peine à reprendre sur elle l’ascendant que son refus d’épouser Mlle de Montpensier avait entamé. Elle l’accueillit avec d’autant plus de joie qu’il semblait disposé à envisager des fiançailles, demandant seulement qu’on le laisse profiter encore un peu de son agréable vie de garçon avant de prendre l’inexorable chemin de l’autel.