— A son pavillon de Versailles si j’ai bien compris. Vous attendiez-vous à le trouver ici ? Il n’y vient guère, ajouta Anne avec un rien d’amertume.

— Parce que vous ne savez pas l’y retenir. Tiens, tu es là, toi aussi ? fit-elle en découvrant Mme de Chevreuse qui en se relevant entrait dans son champ de vision. Tu continues à faire parler de toi à ce que j’ai appris ? Quand donc ton benêt de mari se décidera-t-il à t’envoyer réfléchir un an ou deux dans un bon couvent ? Fontevrault ferait admirablement l’affaire : c’est beau, noble, assez éloigné et l’abbesse est toujours une princesse… Au fait, qui est-ce donc en ce moment ?…

— Madame ma mère, coupa la Reine plus amusée qu’agacée, ne voudriez-vous pas revenir à ce qui semblait si fort occuper votre esprit lorsque vous êtes entrée ?

— Vous croyez ?

— J’en suis certaine ! Vous évoquiez une affaire importante pour le bien du royaume si je vous ai comprise et sur laquelle il fallait se pencher dans la dernière urgence.

La Reine-mère resta un instant coite, visiblement à la recherche de son idée première, quand soudain la lumière se fit :

— M’y voici ! Il faut marier Gaston !

Et comme son auditoire n’avait pas l’air de comprendre, elle précisa mécontente :

— Le duc d’Anjou ! Mon fils cadet !

— Oh ! nous avions saisi, Majesté ! fit Marie qui s’était reprise la première. Ce qui nous échappe c’est pourquoi il y faut mettre tant de hâte ? Le Prince n’a que…

— … a maintenant dix-sept ans. A cet âge son frère avait pris épouse depuis deux ans. Il est temps de rattraper ce retard.

— Mais il s’agissait du Roi, émit Mme du Fargis, et pour le salut du royaume il importait qu’il fût marié…

— … afin d’assurer par un dauphin la continuité de la couronne. Jusqu’à présent, nous l’attendons toujours, ce petit prince, ajouta méchamment la Médicis. Et, toujours jusqu’à présent, l’héritier du trône, au cas où le Roi viendrait à disparaître, c’est son frère cadet. Voilà pourquoi il lui faut prendre épouse aussi vite que possible ! Mais je suis bien bonne de perdre mon temps à vous expliquer ce que vous savez ! C’est avec le Roi et le Conseil qu’il faut en débattre et comme le premier est absent…

Elle allait repartir comme elle était venue mais cela ne faisait pas l’affaire de Marie qui voulait en savoir un peu plus.

— Est-ce à dire, madame, que l’on va se mettre en campagne pour lui trouver une fiancée ?

— Il y a longtemps qu’elle est trouvée, sotte que tu es ! Dès avant la mort de mon époux tant regretté, une sorte de contrat avait été signé qu’il suffira de rafraîchir. Le Cardinal me l’a longuement expliqué puisque c’est lui qui l’a sorti des archives. Gaston épousera en conséquence Marie de Montpensier sa cousine. Elle n’a que trois ans de plus que lui, elle est l’unique descendante de cette branche cadette des Bourbons…

— … et la plus riche héritière de France si je ne me trompe, fit Mme de Chevreuse d’un ton rêveur avant de se mettre à compter sur ses doigts : Les duchés de Montpensier, d’Auvergne, de Saint-Fargeau, de Combrailles, la principauté des Dombes, le Beaujolais et quelques autres dont je ne me souviens pas…

— Y aurait-il quelque empêchement aux yeux de l’illustre dame de Chevreuse ? s’écria Marie de Médicis, exaspérée par cette énumération. Sachez, madame, que ce n’est pas ce qui compte mais le sang : la fiancée de Gaston descend de Saint Louis, comme lui…

— … et aussi, n’est-ce pas, de cette duchesse Catherine qui a si proprement fait assassiner Henri III ?

— Tu n’y connais rien ! Son Eminence me l’a aussi expliqué. Le grand-père de la jeune Marie n’est pas né de cette criminelle mais de la première épouse du duc Louis, qui s’appelait, si ma mémoire ne me fait pas défaut, Jacqueline de Longwy. Quoi qu’il en soit et qu’il ne t’en déplaise, la jeune princesse est d’aussi bonne maison que n’importe quelle infante. Peut-être même meilleure ! Parce que plus féconde !

Et sur cette flèche du Parthe, la royale mégère sortit tête haute et nez au vent dans un cliquetis de perles. Un silence suivit ce départ et les regards convergèrent vers la Reine qui était devenue soudain très pâle. Marie se précipita un flacon de sels à la main :

— La peste soit de la vieille harpie ! s’écria-t-elle. La Reine se trouve mal !

Elle voulut lui faire respirer le puissant révulsif mais, avec un faible sourire, Anne la repoussa :

— C’est inutile, Duchesse, je vais bien…

— On ne le dirait pas.

— Un doigt de vin d’Espagne peut-être ? proposa Louise de Conti en allant prendre sur une crédence une carafe et un verre qu’elle apporta.

— Oui, merci, Princesse !… C’est ridicule, continua-t-elle après avoir bu une gorgée, je devrais être habituée aux paroles malveillantes de ma belle-mère mais je ne peux m’empêcher d’y réagir…

— Votre Majesté n’a aucune méchanceté, constata Marie. Elle offre de ce fait une cible trop facile dont la Reine-mère abuse. Il n’en reste pas moins que cette soudaine lubie de marier Monsieur ne me dit rien qui vaille.

— Pourquoi donc ? dit Mme de Lannoy en haussant les épaules. Qu’un fils de France se marie n’a rien que de très naturel et la Reine qui l’aime beaucoup devrait se réjouir si dans cette union il trouve le bonheur !

Marie darda sur la dame d’honneur un œil effaré :

— Le bonheur ! Voilà un mot qui sonne étrangement dans votre bouche, madame ! J’aurais juré que vous ne le connaissiez même pas !

Sentant venir une querelle, Anne d’Autriche coupa court en déclarant qu’elle voulait se retirer dans son oratoire mais ajouta à l’attention de Marie :

— Venez avec moi, Duchesse ! Prier vous fera à vous aussi le plus grand bien et j’ai à vous parler.

Le ton un peu raide compensait la faveur accordée et amena un sourire entendu sur les lèvres de quelques dames ainsi exclues. Très certainement Sa Majesté entendait chapitrer l’insolente. Marie ne s’y trompa pas non plus et prit un air contrit pour suivre la Reine dans sa chambre où « Stefanille » vaquait à divers rangements. Ensemble, les trois femmes allèrent s’agenouiller dans la minuscule chapelle sur laquelle régnait une admirable image de la Vierge des Douleurs apportée d’Espagne par l’Infante lorsqu’elle était venue épouser le roi de France. Derrière la Reine à demi prosternée sur les deux marches supportant l’autel brasillant de cierges, Marie, qui pensait employer ce temps de silence à réfléchir, se découvrit en train d’adresser à celle qu’elle appelait Notre-Dame une supplication comme elle ne se souvenait pas d’en avoir jamais formulé… La douleur du départ de Henry qu’avec sa légèreté habituelle, elle croyait endormir facilement, se réveillait d’autant plus mordante que l’atmosphère où flottait le parfum de l’encens était calme et propice au repli sur soi-même. En dépit de ses promesses de revenir rapidement, il était bel et bien en route pour son lointain pays. A l’idée qu’elle ne le verrait plus avant un temps qu’elle redoutait fort long, Marie se sentit soudain perdue, abandonnée au milieu d’un vide immense et les larmes qu’elle retenait si facilement tout à l’heure en face de lui jaillirent de nouveau en même temps que montait de son cœur douloureux une supplication fervente dont elle n’imaginait pas qu’elle était impie : « Rendez-le-moi, ô Notre-Dame-de-Pitié ! Le perdre à l’instant où la certitude de son amour m’a été donnée, est plus que je n’en puis supporter ! Puisque je suis certaine à présent d’être faite pour lui comme il est fait pour moi, permettez-nous d’accomplir, ensemble, ces grandes choses dont nous avons rêvé ! Rendez-le-moi ! Rendez-le-moi !… »

Elle était tellement absorbée par son invocation qu’elle ne s’aperçut pas que la Reine s’était relevée et la regardait avec un sourire attendri. Elle se mit debout aussitôt en s’excusant mais Anne d’Autriche prit son bras pour la ramener dans sa chambre :

— C’est bien, ma chevrette, de prier avec cette ferveur ! Elle me surprend agréablement car, je vous l’avoue, j’avais l’impression que votre foi était un peu tiède.

— Lorsque l’on souffre, n’est-il pas naturel de se tourner vers le Ciel ?

— Tu souffres donc, toi aussi ? Ce Holland, tu l’aimes vraiment ?

— Plus que je ne saurais dire, madame. S’il l’avait accepté, je serais partie avec lui ce matin… et j’en demande pardon à ma Reine ! Surtout à un moment où elle-même endure des maux si cruels…

— Et qui seront pires encore si Monsieur épouse Mlle de Montpensier, soupira Anne en se laissant tomber sur le bord de son lit où elle invita d’un geste son amie à la rejoindre, les isolant ainsi davantage grâce aux épais rideaux de brocart des courtines.

— Elle ou une autre, qu’importe ! Il ne faut qu’il se marie sous aucun prétexte. Le Prince est jeune, entreprenant, il aime les femmes et ses aventures sont déjà nombreuses. Ce qui, hélas, n’a jamais été le fait du Roi.

— Il est vrai qu’il est plus séduisant. Tel qu’on le connaît je ne donne pas huit jours après le mariage à sa femme pour se trouver enceinte, et si par malheur elle accouchait d’un fils…

— … alors que vous n’avez pas encore d’enfant et que la santé de notre sire est loin d’être florissante, Monsieur attirerait à lui tous les mécontents et Dieu sait ce qui pourrait se passer !

— C’est facile à deviner. Au cours d’une des maladies de mon époux, son état s’aggraverait et je n’aurais plus qu’à retourner en Espagne tandis que Gaston et sa « princesse » monteraient sur le trône ! Une chose me surprend cependant…

— Laquelle ?

— Que ce damné Richelieu donne la main au projet. Ce n’est pas son intérêt pourtant. Que Louis vienne à disparaître et il perdrait tout pouvoir !