— Ainsi c’est votre réponse au don que je vous fais ? Mieux vaudrait me dire que vous ne me voulez pas ! C’est simple d’ailleurs, continua-t-elle avec tristesse. Vous n’avez jamais éprouvé pour moi que du désir et jamais ne m’avez aimée…
Il tendit les bras, la serra contre lui comme s’il voulait incruster son corps dans le sien :
— Oh si, je vous ai aimée… et je vous aime toujours plus que n’importe qui !
— Comment vous croire ? Pas une seule fois ne l’avez dit…
— Parce que je ne voulais pas que vous puissiez mesurer l’intensité de la passion que vous m’inspirez… Vous êtes une femme terrible pour qui s’éprend de vous, mon amour, et je refusais d’être un jouet entre vos mains !
— Est-ce pour combattre cette irrésistible attraction que vous avez couché avec Elen, ma suivante ? Un joli moyen, j’en conviens ! Elle est devenue folle de vous…
— Elle guérira ! Non, ce n’est pas pour lutter contre ma passion que je l’ai prise, c’est pour en faire ma créature, mes yeux et mes oreilles durant nos séparations. Sa jalousie au service de la mienne, vous comprenez ? Mais je n’en ai plus besoin puisque les choses sont tranchées. Je ne renonce pas à vous, Marie, comprenez-le ! J’en serais déchiré et je vous jure de faire l’impossible pour revenir vers vous dès que les circonstances me le permettront. En secret… Il va de soi…
— En secret ! soupira Marie avec amertume…
— Pour le moment, mais je ne désespère pas de venir quelque jour vous réclamer hautement comme mon bien le plus précieux…
— Quand ?
— Quand Buckingham se présentera ici les armes à la main pour conquérir la femme qu’il aime dans les ruines fumantes du Louvre. Elle sera veuve alors car nous y veillerons. Nous en ferons peut-être une régente ? N’importe comment je serai avec lui et vous serez ma récompense !
— Henry, murmura-t-elle bouleversée, vous m’aimez à ce point ?
— Et plus encore, Marie ! Je saurai vous le prouver !
Elle défaillit sous son baiser qui fut cette fois trop bref pour leur faire perdre la tête. Cependant, elle titubait un peu quand il la lâcha. Il s’éloigna de trois pas pour prendre son chapeau posé sur un siège et balayer le sol de son panache en un salut profond :
— Madame la duchesse de Chevreuse, croyez-moi à jamais votre esclave…
— … et moi votre servante, Mylord Holland ! répondit-elle avec sa plus belle révérence… tandis qu’il sortait du salon.
Quelques minutes plus tard, les roues du carrosse de voyage qui l’emmenait loin d’elle faisaient résonner les gros pavés de la rue. Marie tendit l’oreille jusqu’à ce que leur écho fût éteint. Une horrible impression de vide s’emparait d’elle comme si elle se retrouvait seule sur un rocher au milieu de l’océan… Que Henry eût enfin avoué qu’il l’aimait ne la consolait qu’à peine : elle s’était habituée à aimer pour deux.
La maison autour d’elle était silencieuse. On aurait dit qu’elle entrait en sommeil ainsi que lors du départ du maître… et c’était pour celle qui restait un moment de grâce : le tohu-bohu habituel lui eût été insupportable… Lentement, elle se dirigea vers la statue de Terpsichore qu’il venait de caresser en disant qu’elle lui ressemblait, la prit dans ses bras et se mit à pleurer…
Elen se glissa sans faire de bruit hors de sa cachette : une encoignure masquée par une tapisserie qu’elle connaissait bien, comme toutes les cachettes possibles dans une demeure dont elle n’ignorait rien. Perdue dans sa douleur, Marie ne l’entendit pas et pas davantage quand elle ouvrit puis referma la porte. Son visage était d’une pâleur mortelle et sa figure inondée de larmes. Ce qu’Elen venait d’entendre l’avait écrasée. Un moment, elle avait cru mourir sous le coup brutal que Holland lui assenait sans le savoir : un instrument ! Elle n’était pour lui qu’un instrument, un moyen commode de surveiller Marie à distance !… Incapable de s’attarder plus longtemps à écouter pleurer sa rivale, elle sortit du salon, de l’hôtel et courut se réfugier sous les ombres de Saint-Thomas mais pas pour y sangloter aux pieds de la Vierge, ni pour la supplier d’adoucir sa souffrance. Ce qu’elle voulait c’était rencontrer au plus vite le père Plessis qui lui avait dit servir un haut personnage. Après tout, ce qu’elle venait d’entendre était-il autre chose que le prélude à un complot contre le royaume ? Si le peu qu’elle en savait pouvait interdire à Holland le retour en France ou encore le faire surprendre quand il essaierait d’y pénétrer ! Et pourquoi pas l’abattre ?… L’important était de le séparer à jamais de sa maîtresse ! Au moins l’insolente créature à qui tout réussissait si bien aurait de quoi pleurer ! L’amour comme l’amitié venaient de se changer en haine…
Cependant, dans le salon des Muses, Marie peu à peu se calmait. Elle abandonna Terpsichore dont, après ses yeux, elle essuya le marbre, renifla deux ou trois fois, se moucha et se disposa à remonter chez elle. Elle vit alors que son époux était là qui l’observait sans mot dire :
— Je… je ne vous ai pas entendu entrer.
— C’est sans importance. Puis-je savoir ce que vous avez décidé ?
— C’est l’évidence, je crois, fit-elle dans un éclat de colère. Il est parti et moi je suis restée.
— Vous pourriez être convenus de vous rejoindre plus tard afin d’éviter le scandale d’un départ à deux ! fit-il avec un demi-sourire qu’elle détesta :
— Vous savez parfaitement que je suis femme à en courir le risque.
— Mais c’est lui qui n’a pas voulu ? Vous me surprenez ! Il serait bien le premier à reculer devant la pire folie pour vos beaux yeux !
— Nous nous sommes mis d’accord sur le respect et l’amitié que nous devons l’un et l’autre au roi Charles. Il sera déjà suffisamment offensé, je pense, que ce Richelieu eût osé chasser son ambassadeur !
— C’est le Roi, il me semble, qui en a signé l’ordre !
— Ne soyez pas stupide ! Tout le monde sait que notre déplorable sire ne saurait éternuer sans lui en demander permission. A présent, Monseigneur, souffrez que nous en restions là ! Je ne veux pas arriver tard à Dampierre.
— Pourquoi tant de hâte ? En fait vous n’avez plus aucune raison d’y aller !
— Comment cela ?
— Cela coule de source, il me semble. L’intrus disparu, la vie ici peut reprendre son cours normal. Il vaut même mieux que vous remettiez à plus tard ce déplacement ! Ne serait-ce que pour les mauvaises langues ! Qu’iriez-vous faire là-bas en plein hiver ?
— Embrasser les enfants !
— Voilà une envie bien soudaine et qui, d’habitude, ne vous démange guère ! Croyez-moi, montrez-vous chez la Reine ainsi que de coutume. Plus belle et plus souriante que jamais ! Ainsi vous ferez taire les caquets !
— Et que dirais-je à notre bon roi si d’aventure je le rencontrais ?
— Il est parti pour son pavillon de chasse de Versailles où il m’a fait le grand honneur de m’inviter à le rejoindre !
C’était une incontestable bonne nouvelle. Néanmoins Marie eût aimé y trouver quelque chose à redire tant l’idée de laisser le dernier mot à Claude lui déplaisait. Elle s’y plia pour cette fois et, tournant les talons sans rien ajouter, s’en alla voir ses femmes afin de se faire habiller pour se rendre au Louvre.
Elen n’étant pas là, ce fut Anna qui dirigea le ballet rituel des caméristes, mais Marie ne s’en inquiéta pas. Après ce qui venait de se passer, elle se sentait même un peu soulagée de ne pas voir évoluer autour d’elle une fille dont elle ne savait plus très bien ce qu’il convenait de penser. Son absence lui donnait le temps de faire le point, encore qu’elle eût cessé de lui en vouloir. A la suite de ce dernier entretien avec son amant et ce qu’il lui avait appris de ses relations avec la jeune fille, elle se sentait même encline à la plaindre quand elle s’apercevrait qu’elle avait rêvé trop haut et qu’il lui faudrait se résigner à ce que l’unique nuit d’amour avec Holland restât sans seconde… A la réflexion, qu’elle se fût produite était déjà trop ! Il faudrait veiller qu’aucune autre occasion ne se présente lors d’un des discrets retours projetés. Pour cette raison, la Duchesse décida de garder auprès d’elle cette fille dont elle avait un instant songé à se séparer. C’était la meilleure façon de la surveiller, car, avec les hommes, après tout, on ne savait jamais…
Deux heures plus tard, rayonnante dans des atours de velours d’un bleu assorti à ses yeux, réchauffés et ornés de bandes d’hermine, une fortune de perles – jadis propriété de la Galigaï ! – au cou, aux bras et aux oreilles, Marie effectuait dans le Grand Cabinet d’Anne d’Autriche une entrée encore plus sensationnelle que de coutume. Les événements de la nuit ayant éveillé des échos toujours sensibles, on s’attendait davantage à apprendre son départ pour la campagne qu’à la voir arriver plus fringante que jamais !
La Reine parut enchantée de cette apparition quasi provocante et, à la déception générale, engageait la conversation sur un sujet qui n’avait vraiment rien à voir avec ce qui trottait dans ces cervelles féminines, quand Marie de Médicis pénétra chez sa belle-fille avec son sans-gêne habituel – sans se faire annoncer ! – et en poursuivant ce qui semblait être une passionnante conversation avec elle-même. Un léger travers qu’elle cultivait depuis l’enfance.
— … c’est pourquoi il me paraît essentiel qu’on en finisse avec cette affaire. Elle n’a que trop traîné et le bien du royaume exige une prompte et ferme décision !
En soliloquant, elle avait franchi le cercle des révérences et considérait d’un œil surpris la jeune Reine qui s’était levée pour la recevoir.
— Ah ! vous êtes là, ma fille !
— Certes, madame ! Cela vous surprendrait-il ?
— Euh… non ! Sauriez-vous me dire où est le Roi, mon fils ?
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