— Vous comptiez sur l’aversion que je lui inspire pour vous éviter l’échafaud ?

— Certainement pas ! A ce jour j’ai vécu de nombreuses années et je ne crains pas la mort, vous le savez pertinemment. Je reconnais volontiers d’ailleurs que vouloir embrocher ce bellâtre n’était pas une bonne idée, mais j’étais fou de rage à la pensée que vous osiez l’un et l’autre souiller ma demeure…

— N’oubliez-vous pas un peu vite qu’elle était mienne avant notre mariage ?

— Voilà un argument de chicanière ! fit Claude avec dédain. Que vous le vouliez ou non, elle porte mon nom, tout comme vous. J’entends qu’au moins l’une des deux me reste fidèle.

— Et l’escarmouche de cette nuit vous a rendu la paix de l’âme ? osa Marie, narquoise.

— Oui. Parce qu’elle m’a fait comprendre que je ne vous aimais plus !

— Vous m’aimiez donc ? Ce n’était pas le cas lorsque je vous ai quasiment obligé à m’épouser !

— J’étais partagé entre mon amour et ma loyauté au Roi. Le désir que j’avais de vous a été le plus fort. Mais je vous adorais, Marie, et c’est sans doute là qu’il faut chercher la raison de ce que l’on a nommé mon aveuglement, voire ma complaisance. J’avais peur de vous perdre, j’imagine…

— Et vous n’éprouvez plus cette peur ? Je pourrai partir avec lui lorsqu’il s’en ira ? fit-elle avec une insolence à laquelle il répondit, désabusé :

— Pour vous retrouver au ban de deux cours royales ?… Si vous avez envie d’essayer, ne vous gênez pas, ma chère !

— Osez dire que cela ne vous déplairait pas !

— Non. Je vous le répète : je ne vous aime plus !

— En effet ! fit-elle froidement. Et vous avez aussi cessé de me désirer ?

— Complètement ! Pour le moment du moins, répondit-il sans sourciller. Cela tient, je crois, au spectacle que m’a offert votre lit ouvert. Vous étiez là nue, tremblant encore d’un froid qui vous donnait la chair de poule, dans vos draps souillés de terre et de sang ! Le spectacle n’avait rien d’excitant sinon à la colère ! Alors, je le répète, si vous voulez partir avec votre amant, vous êtes libre.

— Libre ? Je vous rappelle que vous m’envoyez à Dampierre.

— Que vous prétendez aimer. Je n’aurais jamais cru que ce pût être pour vous une telle punition ! Mais qu’à cela ne tienne ! Quand vous serez prête vous pourrez vous entretenir avec cet homme quelques instants dans le salon des Muses. S’il vous emmène, c’est moi qui partirai pour Dampierre afin d’y attendre que vous ayez tous deux débarrassé les lieux ! Préparez-vous !

Et il sortit sans attendre de réponse…

Restée seule Marie s’accorda un temps de réflexion. Les nouvelles n’étaient pas fameuses mais auraient pu être pires : Holland perdu à jamais pour elle, soit qu’il eût été tué, soit que l’accès au royaume lui soit à jamais interdit comme à Buckingham. Cependant, le nouveau personnage que révélait Claude posait un sérieux problème. Partir avec Henry pour l’Angleterre était la solution la plus séduisante, celle que réclamaient son cœur et ses sens en lui montrant des nuits d’amour à n’en plus finir. Pourtant une voix secrète lui soufflait qu’elle paierait peut-être cette félicité largement au-delà de sa valeur. Sa position en France était superbe, même compte tenu de l’animosité du Roi. Qu’en serait-il à Londres où elle ne serait plus qu’une épouse adultère enfuie avec son amant ?…

Elle pensa soudain que les pourparlers n’étant pas encore terminés, elle avait devant elle quelques jours pour réfléchir. Le mieux serait peut-être de prier Claude de remettre à plus tard l’entrevue qu’il proposait et de partir pour Dampierre. Claude avait raison en disant qu’elle aimait ce château. C’était, sans doute, dans ce cadre aimable où chantaient les eaux qu’elle prendrait d’elle-même le meilleur conseil. Il serait peut-être même possible d’y faire venir Henry – en secret évidemment ! – afin de voir avec lui, mais hors de toute surveillance, quel meilleur parti l’on pourrait tirer de la situation…

Elle venait de donner l’ordre de faire les préparatifs pour un séjour à Dampierre quand les portes de l’hôtel de Chevreuse s’ouvrirent devant un envoyé du Roi. Marie se précipita à la fenêtre et reconnut avec inquiétude M. de La Folaine, gentilhomme de la Chambre et capitaine des Commandements. Celui-là même qui quatre ans plus tôt, était venu lui apporter l’ordre de quitter la Cour. Son cœur s’affola. A qui en avait-il ?

N’étant qu’à demi vêtue, elle ne pouvait descendre ainsi, mais incapable d’attendre pour savoir, elle envoya Elen aux renseignements. Celle-ci, aussi anxieuse que sa maîtresse, ne se le fit pas dire deux fois, partit en courant et revint presque aussi vite, mais cette fois Claude l’accompagnait. Devant le négligé de sa femme il fronça le sourcil :

— Quoi ? Pas encore prête ?

— Mlle du Latz veille à mon départ. A ce sujet, je souhaitais vous dire que je vais me rendre dans notre campagne, et quant à l’entrevue que vous me proposiez avec Mylord Holland…

— Elle aura lieu tout de suite ou pas du tout ! Le cardinal de Richelieu a eu vent de l’affaire du Pont-Neuf certainement par l’un de ses espions et dès le petit matin, il a obtenu du Roi qu’il dicte une lettre à l’intention de Lord Carleton lui apprenant, dans les formes requises, que Lord Holland n’était plus persona grata auprès de lui et qu’il devait retourner à Londres dans les plus brefs délais. Au surplus, la sagesse et les remarquables talents du seul Carleton étaient plus que suffisants pour discuter des affaires délicates touchant les deux royaumes. Autrement dit Carleton reste – il ne peut pas faire autrement ! – et Holland s’en va…

— Quoi ? Pas dans l’immédiat tout de même ?

— Dans une heure il aura déguerpi. Alors si vous voulez lui parler il est temps. Achevez de vous habiller, ajouta-t-il avec un sourire cruel que sa femme ne lui connaissait pas. Il ne saurait être question de vous livrer à vos ébats habituels dans le salon des Muses…

Pour cette parole insultante elle aurait pu se jeter sur lui toutes griffes dehors mais le temps pressait trop pour en soustraire même une parcelle au bénéfice d’une querelle. Se contentant d’un haussement d’épaules, elle passa dans sa chambre pour achever de s’habiller. Ce fut vite fait car elle ne permit pas à Anna de la coiffer et ce fut avec la masse de ses cheveux fauves tombant sur ses épaules qu’elle descendit rejoindre Holland.

Il l’attendait debout près d’une console supportant une statue de Terpsichore, en marbre blanc. C’était une œuvre pleine de grâce, la muse de la Danse semblait sur le point de s’envoler. Avec colère, Marie le vit caresser d’un doigt le visage rayonnant de la danseuse sacrée. Il n’avait pas l’air ému le moins du monde :

— Je trouve qu’elle vous ressemble, dit-il sans la regarder. Si j’étais en position de demander un souvenir à votre époux c’est elle que je choisirais…

— Il vous offre cent fois mieux puisque vous pouvez m’avoir, moi !

Abandonnant la statue, il tourna vers elle un visage sévère :

— Si c’est une plaisanterie elle est malvenue… Nous sommes ici pour nous dire adieu, pas pour…

Il n’acheva pas sa phrase. Déjà Marie s’était élancée vers lui le visage rayonnant de joie :

— Notre amour est ce que j’ai de plus beau, de plus cher, s’écria-t-elle avec passion, et je ne saurais plaisanter avec lui. Ce que je viens vous dire, Henry, c’est que je pars avec vous. Aux yeux de tous j’abandonne ce qui fait ma gloire : rang, fortune, époux, enfants… et même l’amitié de la Reine pour le seul bonheur d’être auprès de vous dans les bons comme dans les mauvais jours…

Elle s’attendait à ce qu’il la prît dans ses bras mais, avec infiniment de douceur, il la repoussa :

— Vous voulez ma tête, Marie ? fit-il avec un rire désabusé. Si je vous emmenais, votre époux ne manquerait pas de m’en demander raison, ce qui, au cas où je survivrais, me mènerait sans doute à l’échafaud que me prépareraient votre Roi et son cardinal…

— En aucune façon ! Nous avons causé cette nuit avec beaucoup de sérieux. Claude a compris combien je vous aime et il me laisse libre de choisir ma destinée. Et c’est vous que je choisis ! Nous allons partir ensemble. Je vivrai à vos côtés, dans votre ombre jusqu’à ce que vous ayez divorcé puisque cela est possible dans votre bienheureux pays ! Oh, Henry, être totalement à vous, rien qu’à vous ! Est-ce que ce ne sera pas merveilleux ? Je vais changer de foi, de pays ! Pour vous je me ferai huguenote et vous me ferez anglaise !

— Un beau rêve, Marie, mais impossible, comme souvent les rêves ! Du moins dans le présent !

— Que voyez-vous là d’impossible ? s’écria-t-elle, déjà prête à se fâcher. Mon époux n’entreprendra nulle poursuite et ne nous cherchera pas noise. Il me l’a dit !

— Peut-être… encore que l’on puisse maintenant s’interroger sur ses pensées profondes…

— Lui, des pensées profondes ? fit Marie en s’esclaffant.

— Plus que je ne le croyais et je n’y vois pas matière à s’en amuser. D’autres penseraient comme moi. Et je songe à mon Roi d’abord, à mon ami Buckingham ensuite. Si je vous amène à eux, ils seront furieux !

— Allons donc ! Ils m’adorent…

— Disons qu’ils adorent Mme la duchesse de Chevreuse, la cousine de l’un, la complice de l’autre. Charles ne vous pardonnerait pas d’apporter le scandale à sa cour en abandonnant aussi publiquement son parent. Quant à George, vous lui êtes trop précieuse dans les entours de la Reine pour qu’il accepte de gaieté de cœur de vous voir quitter votre poste. Sans compter ma famille… et celle de mon épouse !

Elle s’écarta de lui pour mieux le contempler mais son regard bleu était lourd de déception :