Jamais elle n’aurait cru le jardin aussi vaste ! Le douloureux chemin lui semblait interminable d’autant qu’elle ne pouvait plus voir si Claude était toujours dans le pavillon. Elle atteignait au but quand elle entendit le bruit d’une chute suivie d’une série de jurons anglais. Elle comprit que Henry cherchait à attirer l’attention de Chevreuse pour lui permettre à elle de rentrer sans encombre. Elle aperçut en effet sa grande silhouette qui se relevait puis s’éloignait vers le pavillon, alors sans chercher à en savoir davantage, elle se précipita dans la maison, grimpa l’escalier en courant et s’engouffra dans sa chambre plongée dans l’obscurité : avant de partir, elle avait éteint la veilleuse comme elle le faisait habituellement lorsqu’elle allait s’endormir. Là elle jeta son manteau sur un fauteuil, chercha sa chemise de nuit à tâtons – dans la cheminée le feu n’était plus que braises rougeoyantes –, ne la trouva pas et se précipita dans son lit pour se réchauffer. Or s’il avait été bassiné dans la soirée, il n’en restait rien et les draps lui parurent presque aussi glacés que les carreaux du vestibule ou les marches de l’escalier…
Ce fut seulement quand elle eut retrouvé un peu de chaleur qu’elle fit une bizarre remarque : en rentrant elle n’avait rencontré personne et même le tracas venant du pavillon n’avait pas attiré le moindre domestique, la moindre femme de chambre.
Pendant ce temps Claude, sorti en trombe de l’édifice, rejoignait Holland qui arpentait tranquillement une allée en homme qui s’accorde une petite promenade hygiénique avant de s’aller coucher. Quand il le rejoignit, il lui mit son flambeau sous le nez :
— Que faites-vous là ? demanda-t-il avec rudesse.
— Que pourrais-je faire d’autre que me promener ? fit l’autre non sans insolence. Les fumées du vin, vous savez ! J’ai besoin de prendre l’air. Malheureusement j’ai rencontré un arrosoir oublié par un jardinier et j’ai chu. Mais vous-même, Duc ? J’ai entendu un fracas. Vous n’êtes pas blessé au moins ? continua-t-il avec une sollicitude qui ne dérida pas l’époux de Marie.
— Je vais à merveille, merci ! Une porte me gênait : je l’ai abattue… Vous n’avez pas vu ma femme ?
— La Duchesse ? Dans ce lieu et à pareille heure ? Je suppose qu’elle dort !
— Vous croyez ? Il me semblait qu’elle affectionnait particulièrement les promenades nocturnes au jardin et en votre compagnie depuis notre départ pour l’Angleterre…
— Vous avez absolument raison… mais c’était en été. L’hiver n’est guère propice, surtout la nuit, aux errances romantiques…
— Ah ? Eh bien, bonne promenade, Mylord ! Mais prenez garde à ce qui traîne ! Vous pourriez vous rompre une jambe… ou pire !
Et sans rien ajouter Chevreuse rentra chez lui, laissant son hôte plus soucieux qu’il ne voulait le paraître. L’attitude nouvelle de ce mari-là donnait à réfléchir et ce soir, Henry éprouvait la désagréable impression d’avoir eu devant lui un homme entièrement différent de l’aimable et fastueux imbécile qu’il croyait connaître. Ne serait-ce que sa façon d’avoir simulé l’ivresse touchait au grand art. Il allait falloir jouer beaucoup plus serré s’il voulait reprendre avec Marie le duo interrompu. Et il le voulait furieusement. Cette femme avait le don de lui mettre le sang en feu !
N’importe comment, il fallait trouver un prétexte pour changer de domicile : l’idée de continuer à manger le pain d’un mari dont l’œil soupçonneux ne le quitterait plus froissait son orgueil. Il en parlerait dès le matin à Carleton…
Il y réfléchissait en regagnant son appartement à travers l’immense hôtel sombre et silencieux, stupidement heureux à l’idée de s’y retrouver seul et momentanément à l’abri. Mais, en pénétrant dans le salon qu’il partageait avec son compatriote, il y trouva son valet, Pierson, qui lui apprit qu’une dame l’attendait dans sa chambre…
Persuadé que c’était Marie, il sentit monter sa colère. Il fallait qu’elle soit vraiment folle pour les mettre aussi délibérément en danger l’un et l’autre !… Or, ce n’était pas elle. La forme blanche qu’il découvrit assise près du feu qu’elle contemplait, les coudes aux genoux et le menton posé sur ses mains, appartenait à Elen.
— Déjà ? fit-elle sans quitter sa pose et sans cesser de regarder les flammes. Je ne vous attendais guère avant une heure ou deux.
— Que faites-vous là ?
— Je viens de vous le dire : j’attendais ! Avez-vous réussi à trouver un endroit à peu près… confortable comme vous dites chez vous ? L’herbe est rare en cette saison et, même sous d’épaisses fourrures, la terre ou le marbre sont durs pour une peau délicate, n’est-il pas vrai ? Vous eussiez été tellement mieux dans les coussins moelleux du pavillon !
— Il rime à quoi ce discours ?
Elle se leva et vint à lui, les paupières baissées mais le sourire aux lèvres.
— A rien d’autre que vous offrir cette nuit que l’arrivée intempestive de la vieille comtesse de Buckingham nous a empêchés de vivre à Chiswick. Souvenez-vous de notre déception à tous deux !
— Je m’en souviens !… Et vous-même, avez-vous oublié ces lettres que je vous avais demandé de me faire tenir par notre ambassade ?
— C’est que je n’avais rien à vous apprendre dont vous n’eussiez eu connaissance par les dépêches régulières ou par ce qu’avait à dire M. Bautru de Serrant…
— Justement ! J’ai su par lui que Mme de Chevreuse était en danger d’exil. Si vous aviez pris la peine d’écrire, je l’aurais su plus tôt et j’aurais pressé les choses. Ne vous ai-je pas dit que je voulais tout savoir de ses actes et si possible de ses pensées !
— Elle, toujours elle ! s’emporta Elen. En vérité j’en viens à me demander si ce n’est pas à cause de ma position auprès d’elle que vous m’avez fait l’amour !
— Ne dites pas de sottises ! Elle est, sur notre échiquier politique, un personnage de première importance ! Un pivot si vous préférez…
— Je m’en aperçois et je regrette, mais soyez certain qu’à l’avenir je vous tiendrai informé de ce que vous souhaitez savoir ! A présent, ajouta-t-elle en s’approchant davantage, ne pouvons-nous laisser cette histoire de côté et parler de nous ? Ce pavillon où vous souhaitiez tant vous rendre, ne pouvons-nous y aller ensemble ?
— Maintenant que sa porte est brisée et que les courants d’air y pénètrent comme chez eux ? Vous voulez rire ?
— Brisée ? La porte ? Mais par qui ?
— Par votre maître qui pensait nous y surprendre, la Duchesse et moi ! J’avoue qu’il s’en est fallu d’un cheveu et pour un peu je remercierais la personne qui a pris la clef ! L’aventure se serait terminée par un duel !
— Alors remerciez-moi ! La voici ! dit Elen en sortant l’objet de sa gorge à demi découverte et en la lui offrant, mais il la refusa d’un geste.
— Ainsi c’est vous qui l’aviez ? Pourquoi l’avoir prise ?
Elen releva la tête dans un joli mouvement de défi :
— Parce que je ne voulais pas qu’elle vous eût la première ! C’était trop injuste alors que nous avons été si brutalement séparés. Je voulais pour ce soir être à vous. Vous l’auriez rejointe demain mais cette nuit, je la voulais pour moi ! Si j’en crois ce que vous me disiez à Chiswick le crime n’est pas bien grand et vous devriez être heureux de cette preuve d’amour…
Elle était très belle à cet instant dans sa robe en soie blanche largement ouverte sur la chemise de nuit transparente et elle s’attendait à ce qu’il la prît dans ses bras. Mais au lieu de cela, il lui tourna le dos.
— Il se trouve que je ne le suis pas ! fit-il sèchement. Vous autres femmes croyez pouvoir régenter un homme dès qu’il vous a murmuré trois mots d’amour…
— Que voulez-vous dire ? murmura-t-elle, choquée.
— Qu’avec moi il faut savoir attendre son tour ! Ce soir, ma chère, c’est d’elle que j’ai envie ! Pas de vous ! Remballez tout cela et allez vous coucher !…
Blessée au plus profond par tant de goujaterie, Elen ramena machinalement les pans de son vêtement sur sa poitrine :
— Et vous disiez que vous m’aimiez ? fit-elle douloureuse.
— L’ai-je dit ? C’est possible. Mais ne me regardez pas de cet air de chien battu ! Je ne suis pas d’humeur ! Quand je le serai, je ne manquerai pas de vous le faire savoir. Bonne nuit, ma chère !
C’était plus qu’elle n’en pouvait supporter. Rapide comme un serpent qui attaque, sa main se leva et s’abattit de toute sa force sur la joue de Holland. La réaction de l’Anglais fut immédiate. Par deux fois, brutalement, il gifla Elen qui vacilla sous les coups. Puis, la prenant aux épaules, il l’expédia dans la galerie extérieure où elle alla s’écrouler contre le socle d’une statue, après quoi il claqua la porte derrière elle…
Plus meurtrie dans son âme que dans son corps, elle se releva avec peine parce qu’en tombant elle s’était fait très mal au genou. Se tenant aux œuvres d’art jalonnant le large couloir qui reliait l’aile réservée aux hôtes de passage au bâtiment principal, elle s’efforçait de rentrer chez la Duchesse quand soudain elle se trouva en face de Chevreuse qui arrivait en sens inverse, habillé cette fois pour sortir : chapeau en tête, manteau à l’épaule. Il l’arrêta au passage :
— Vous ici, mademoiselle du Latz ? Et dans cet appareil ?… Je devrais dire en cet état ?
Elle s’obligea à sourire, chercha une réponse et ne put que bredouiller des mots indistincts. Le Duc haussa des épaules désabusées :
— Vous êtes sa maîtresse, vous aussi ?…
— Monseigneur !…
— Décidément, il est grand temps que je débarrasse ma maison de ce renard voleur de poules !
Et d’un poing vigoureux, il fit retentir le bois sculpté de la porte sous ses coups redoublés.
— Ouvrez, Holland ! C’est le duc de Chevreuse qui vient vous demander raison !
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