— Vous voulez dire le Roi et Monsieur le Cardinal ? Vos critiques visent haut !

— A Dieu ne plaise que j’aie cette audace ! Il reste que, pour le mieux-être de Madame Henriette, il serait peut-être salutaire de faire revenir les ambassadeurs anglais afin de préciser certains points. Je vous assure que la bonne volonté ne leur manque pas !

— Les ambassadeurs ? Tout de même pas Buckingham ?

A ce nom Anne d’Autriche s’empourpra et Marie, secrètement ravie de constater son émotion, jugea qu’il était temps d’en finir de cette joute stupide avec cette Lannoy qu’elle jugeait fausse et dissimulée. Une aide lui vint alors d’où elle ne l’attendait pas. La dame qui jouait aux échecs avec la Reine – jolie d’ailleurs ! Vive et brune avec des yeux pétillants de malice – prit la parole :

— Quelle conversation ennuyeuse et qu’avons-nous à faire des traités ? Au lieu d’agresser Mme de Chevreuse sur un sujet qui ne la concerne pas, il serait plus amusant pour la Reine, comme pour nous toutes, de l’écouter nous décrire la cour anglaise, les fêtes du mariage, les modes et ces gens qui composent l’entourage de notre princesse !

Des applaudissements accueillirent la proposition de la nouvelle dame d’atour nommée en remplacement de Mme du Vernet. C’était la marquise du Fargis, née Madeleine de Silly de la Rochepot. Son époux Charles d’Angennes occupait alors le poste – ô combien délicat ! – d’ambassadeur de France à Madrid et, pour Marie, ce n’était pas une inconnue puisqu’elle était la belle-sœur de sa voisine, la fameuse marquise de Rambouillet, chez qui elle l’avait rencontrée à plusieurs reprises. Ce qui ne veut pas dire qu’elle l’aimait beaucoup, la soupçonnant d’un certain goût de l’intrigue et d’un amour évident du faste. En fait si elle ne s’en rendait pas compte, c’était peut-être parce qu’elle lui ressemblait…

De toute façon son intervention tombait à merveille et l’on fit cercle autour de la Reine, remise de son émotion, et de la conteuse. Pendant un long moment, celle-ci s’en donna à cœur joie d’égratigner les Anglais en général, les dames en particulier sachant que cela plairait à son auditoire. Et si elle oublia pudiquement Lady Holland, elle n’épargna ni la mère ni l’épouse de Buckingham, l’une représentée comme une redoutable mégère et l’autre comme une gentille bécasse perpétuellement entre deux grossesses… Elle obtint un franc succès et bien souvent le rire de la Reine se mêla à celui de ses dames. Cependant Marie devinait à certaines expressions de ses beaux yeux verts qu’elle aurait aimé poser d’autres questions et aussi s’entretenir sans témoins avec son amie…

L’occasion se présenta vers la fin de la journée au cours d’une promenade autour de l’étang aux Carpes, en attendant le retour des chasseurs. Anne d’Autriche prit alors le bras de Marie et ralentit le pas, indiquant ainsi qu’elle souhaitait s’isoler avec elle.

Pendant un moment, néanmoins, elle ne dit rien, se contentant de cheminer un sourire aux lèvres en respirant l’air rafraîchi par une brise légère. Supposant qu’elle ne savait peut-être pas trop comment engager le dialogue, Marie prit l’initiative :

— Il vous aime toujours, madame, et plus que jamais ! murmura-t-elle, heureuse de sentir Anne tressaillir. Vous êtes l’unique objet de ses pensées, de ses rêves. Pour retrouver la douceur de votre regard, il est prêt à toutes les folies, tous les renoncements !

— Il m’a grandement offensée, Marie. Comment a-t-il pu, même une seconde, supposer que je pourrais…

— Vous abandonner à lui ? Il se croyait aimé et les minutes lui étaient chichement comptées. Il avait oublié ce que vous êtes l’un et l’autre et s’est laissé emporter par sa passion ! C’est un homme, madame, et chez eux, le langage de l’amour, poussé à son comble, se confond avec d’irrésistibles élans de la chair. Vous êtes si belle que même en vous adorant comme une déesse il ne peut s’empêcher de vous désirer comme une femme…

— Ainsi de Lord Holland envers vous ? Il est votre amant, n’est-ce pas ?

— Oui… et jamais je n’aurais pensé connaître cet éblouissement qui renaît chaque fois que nous sommes l’un à l’autre. Le pauvre George lui, a cru un instant pouvoir vous emporter jusqu’à ce point sublime. Souvenez-vous, madame : vous étiez seuls au cœur de la nuit, au creux d’un jardin. Il vous tenait dans ses bras. Il vous respirait…

— Tais-toi, Marie ! souffla Anne bouleversée. Tais-toi ! Tu ne dois pas prononcer de telles paroles et moi je n’ai pas le droit de les écouter ! Je suis reine !

— Ce qui vous condamne à ne connaître jamais d’autres caresses que celles d’un époux incapable de vous aimer et pour qui vous n’êtes qu’un corps dont il veut tirer un enfant ! Je sais que vous portez couronne… mais ne fermez pas entièrement devant Buckingham les portes de l’avenir ! Songez qu’il est prêt à vous conquérir les armes à la main en passant sur les décombres de deux royaumes ! Alors au moins pardonnez-lui ! Ne le réduisez pas au plus funeste désespoir !…

— Je n’ai jamais rien souhaité de tel, mais que puis-je faire ?

— Me permettre de lui écrire son absolution et accepter de la lui confirmer s’il réussissait à revenir. Il connaît sa faute et ne cesse de la déplorer. Aussi souhaite-t-il reprendre depuis le commencement, à ces jours charmants où il est apparu au Louvre et où vous lui avez souri…

Le nuage qui assombrissait le front de la Reine se dissipa :

— Vous croyez ?

— Sincèrement, oui ! Donnez-lui une nouvelle chance… et vous verrez !

S’attarder plus longtemps eût été une faute. On rejoignit les autres dames pour revenir vers la cour du Fer à Cheval où se faisaient entendre les trompes de chasse…

Chevreuse avait galopé à la queue du cheval de Louis XIII durant la plus grande partie de la journée. Cependant il était sombre quand il rejoignit sa femme dans le logis qui leur avait été attribué, proche de l’appartement des Reines-mères. Ce qui n’enchantait ni l’un ni l’autre : lui aurait préféré être près du Roi et elle près de la Reine… Marie s’inquiéta de l’humeur de son mari :

— Rien de fâcheux, j’espère ?

— Oh si ! Un courrier est arrivé d’Angleterre et, après la chasse, le Cardinal m’a autant dire convoqué. Il m’a reproché ce qu’il appelle nos « intelligences préjudiciables au royaume autant qu’à la religion » et il a ajouté qu’il m’avertissait comme un ami d’y mettre bon ordre sinon cela pourrait nous causer du tort.

— J’ai eu droit, moi aussi, à quelque chose d’approchant. Qu’allez-vous faire ? Repartir en Angleterre ?

— Non. Je ne suis pas en état. Mon dos me fait souffrir au point qu’il a fallu m’aider à mettre pied à terre. J’ai proposé d’envoyer Bautru avec des lettres de moi suppliant que l’on veuille bien se rapprocher des clauses du traité de mariage…

— Avec votre permission je lui en donnerai une, pour Mylord Buckingham. Le mieux serait qu’il arrive à convaincre le roi Charles de le renvoyer à Paris. Je suis persuadée que l’on arriverait à des accommodements !

— Buckingham à Paris ? Vous rêvez ! Le Roi le hait !

— Qu’il haïsse l’homme autant qu’il veut mais il sera obligé d’entendre celui qui tient en main les rênes de l’Angleterre. Dites à Bautru de se montrer convaincant !

— D’autant que s’il n’y parvenait pas, ajouta Claude d’un ton piteux, vous pourriez être obligée de quitter la Cour…

— Encore ? C’est devenu une manie ! Qu’ont donc ces gens à vouloir me jeter dehors toutes les cinq minutes ?

— Depuis l’affaire d’Amiens, on vous sait proche de Buckingham. Si par conséquent il accepte de cesser de rendre la vie impossible à sa souveraine, on vous en saura gré, mais dans le cas contraire…

— Et vous me laisseriez chasser sans mot dire ? s’écria Marie indignée.

Le Duc haussa ses lourdes épaules. Pour la première fois, Marie remarqua qu’il se tenait moins droit – la douleur dont il se plaignait de temps en temps sans doute ? –, qu’il se voûtait un peu, qu’il y avait davantage de mèches grises dans ses cheveux blonds, en un mot qu’il vieillissait :

— Je vous l’ai dit et je le répète, soupira-t-il avec une lassitude inhabituelle. Je suis le fidèle sujet du roi Louis…

— Du Cardinal aussi dirait-on ? lança-t-elle, méprisante. Cet intrigant, ce valet de la Reine-mère…

— Traiter Richelieu de valet me semble excessif ! Quoi qu’il en soit, il a l’entière confiance du Roi…

— Comme ce freluquet de Barradat ?

— Ne mélangez pas ! Quant à moi, si l’on vous rejetait il y a gros à parier que je serais prié de vous accompagner. A présent souffrez que je vous quitte ! J’ai besoin de repos…

Perplexe, Marie le regarda sortir avec un vague pincement au cœur. Parce que cette nuit qui commençait serait la huitième depuis leur retour de Londres où il ne la rejoindrait pas. Qu’adviendrait-il de leur mariage s’il n’avait plus envie d’elle ?

Le fidèle Bautru – Guillaume, comte de Serrant – partit pour le royaume britannique dès le lendemain. Reçu immédiatement par le roi Charles, il lui expliqua que l’on rendait les Chevreuse responsables de ce qui se passait en Angleterre autour de la reine Henriette-Marie et chez les catholiques à nouveau persécutés. Si les choses ne s’arrangeaient pas, la Duchesse pourrait être exilée. Peu après il remettait à Buckingham une lettre où Marie le suppliait de venir en France afin de rétablir lui-même l’ancienne entente.

C’est ce que le bouillant amoureux d’Anne d’Autriche espérait : il pria Charles Ier d’annoncer sa prochaine arrivée à Paris et convoqua son tailleur pour lui préparer de nouvelles tenues propres à émerveiller la Cour, la Ville… et la Reine.

La réponse de Paris fut aussi brutale qu’inattendue : pour avoir causé un scandale en manquant au respect dû à la personne royale, le duc de Buckingham n’était plus persona grata en France. Si le roi d’Angleterre voulait envoyer des ambassadeurs, il devait en choisir d’autres.