— Mon cousin d’Angleterre vous aime fort dirait-on ? a-t-il décoché à Marie d’un ton acide.
— Et j’aime fort le roi Charles ! Il a fait preuve envers moi d’une infinie bonté.
— Oh, je n’en doute pas un instant ! Vous inviter à faire vos couches chez lui !
— Votre Majesté oublie-t-elle que c’était aussi chez la reine Henriette-Marie ?
— Non pas, non pas ! L’endroit dont vous aviez fait choix pour cet événement était sans doute moins glorieux !
— Je n’espérais certes pas une si haute faveur mais dès l’instant où je me trouvais hors de chez moi, une maison amie pouvait en valoir une autre. Le Roi ne sait peut-être pas que la peste sévit à Londres !
— Soyez certaine que je m’en soucie plus que vous ! A ce sujet, la Reine-mère désire vous voir. Elle est comme moi, fort en peine de sa fille !
Avec un vague signe de tête, Louis mit fin à l’entretien en tournant le dos à la jeune femme, soulagée en un sens, et qui se hâta d’aller présenter ses devoirs à Marie de Médicis. Mais là ce fut une autre chanson…
La Florentine était d’une humeur de chien. Elle trouvait son appartement de Fontainebleau mal commode sans oser tout de même réclamer celui qu’elle occupait jadis quand elle était reine en titre. En outre, elle cherchait – ou plutôt « on » cherchait pour elle ! – certaine agrafe qu’elle proclamait plus précieuse que les autres – et Dieu sait si elle en avait ! –, justement parce qu’on ne la retrouvait pas. Aussi, fidèle à son habitude, elle emplissait sa chambre de vociférations, couvrant son monde de malédictions et d’injures dans un vocabulaire emprunté aux portefaix des « lungarni[19] » de Florence enrichi d’emprunts plus récents à ceux du port du Louvre.
Mme de Chevreuse tomba dans ce maelström comme un pavé dans une mare à grenouilles. Les poings sur les hanches, la Reine-mère l’apostropha :
— Maria ! Te voilà revenue !… Tu en as eu assez de faire la putain chez les Anglais au lieu de t’occuper de ma pauvre petite-fille ?
Prise de plein fouet par ce préambule, Marie eut du mal à terminer sa révérence. D’autant plus furieuse qu’elle se sentit rougir :
— Madame ! protesta-t-elle. J’ignorais que Votre Majesté écoutait les ragots de cuisine. Je n’ai jamais…
— N’essaie pas de te défendre, malheureuse, on sait ici ce qu’il en est. Tu as planté des cornes à ce triste imbécile de Chevreuse avec tout ce qui te tombait sous la jupe !
— Rien que ça ? Si Votre Majesté voulait bien se souvenir que j’étais fort enceinte au moment du départ et que, depuis, j’ai donné le jour à une fille ! Je peux lui assurer que j’aurais eu quelque peine à satisfaire tant de gens !
— Et ton Holland ? Et ce rufian de Buckingham à qui le premier tu as cédé ? Vous passiez des heures ensemble ! Pas pour jouer au reversi ! Hein ? Il t’a culbutée comme il a essayé de le faire avec ma belle-fille. On connaît sa manière et tu as dû apprécier puisque tu y es retournée !…
Suivit une pluie de questions salaces sur l’anatomie intime du beau George qui apporta une heureuse diversion dans l’activité de celles qui, à genoux ou plus ou moins pliées en deux, cherchaient fébrilement les diamants de la furie : on se redressa pour en profiter pleinement. Marie, elle, choisit d’abandonner le terrain. Reculant de trois pas, ce qui la mit à l’abri des postillons de l’auguste mégère – elle avait perdu une dent récemment ce qui la faisait chuinter ! –, elle plongea dans une révérence hâtive :
— Je vois que Votre Majesté n’est pas bien. Je reviendrai quand elle aura retrouvé sa sérénité…
— Reste ici ! Je te l’ordonne…
Mais, ramassant ses jupes, Marie avait franchi le seuil du Grand Cabinet afin de sortir le plus vite possible du champ d’action de la voix royale. Elle dégringola l’escalier et ne reprit une allure normale qu’en débouchant dans la Cour Ovale où elle heurta violemment un personnage qui s’apprêtait à monter chez la Reine-mère, manquant tomber, et qu’elle reconnut seulement lorsqu’il la retint. C’était Richelieu.
— Madame la Duchesse de Chevreuse ?… Vous êtes-vous blessée ?
— Non… non, Eminence, je vous remercie, répondit-elle en se dégageant parce qu’il la tenait pratiquement dans ses bras.
— La rencontre m’est heureuse car, sachant votre retour, je désirais avoir un moment d’entretien avec vous.
— Avec moi, Monseigneur ?
— Pourquoi non ? N’accompagniez-vous pas votre époux dans son ambassade extraordinaire à Londres ? Nous en avons parlé, lui et moi, mais une femme ressent les choses différemment… avec plus de finesse. Ainsi il semblerait que la reine Henriette-Marie ne reçoive pas du roi Charles toutes les attentions et toute l’affection qu’elle était en droit d’attendre ? Il semblerait aussi que l’on ne respecte guère, à Londres, les clauses du mariage, et que sans aller jusqu’à empêcher la Reine de prier selon sa foi, on l’isole de plus en plus de ceux qui ont en charge sa conscience…
— Etes-vous bien sûr de la véracité de vos renseignements, Monseigneur ? S’il s’agit de l’évêque de Mende, je les tiens pour sujets à caution… en dehors du fait que lui demeure toujours à Hampton Court. Ce qui lui permet de distiller ses mensonges…
Le visage du Cardinal se ferma mais Marie était lancée. En face de cet homme dont elle n’ignorait plus qu’il la méprisait, elle ne se sentait pas capable de dissimuler. Les lèvres minces du Cardinal laissèrent tomber :
— Mensonges ? Le mot reflète-t-il exactement votre pensée, Duchesse ? M. de La Mothe-Houdan-court n’a jamais eu pour habitude de colporter des ragots. C’est un homme qui sait voir et comprendre. Et j’ai le regret d’y attacher du crédit…
— Même quand il m’insulte ?
— Avant de parler d’insultes, madame, il vaudrait mieux faire en sorte de ne pas les susciter… et vous rappeler que le duc de Chevreuse et vous-même étiez en Angleterre pour veiller sur les premiers moments du jeune ménage royal et aussi à la bonne exécution des clauses du contrat. Or, non seulement vous n’en avez rien fait mais, au lieu de démontrer par l’exemple les hautes vertus du catholicisme…
— C’est vous qui m’insultez à présent, Eminence ! s’écria Marie, pâle de rage. D’ailleurs je n’ignore pas comment vous me traitez dans vos lettres à votre cher cousin. Le bruit en a couru dans Westminster. Quoi que ce soit, le roi Charles, lui, n’en a pas été affecté et puisque vous aimez tant lire des lettres, je vous recommande celle où il assure son cousin français de l’estime et de l’amitié qu’il me porte !
— Je l’ai lue en sachant fort bien qui la lui a inspirée. Depuis la mort du vieux roi Jacques, celui qui règne à Londres n’est pas vraiment Charles Ier mais George Villiers, duc de Buckingham… et votre grand ami, madame !…
— Ici, en tout cas, la couronne est réellement posée sur la tête de notre sire Louis et il n’a fait allusion à rien de ce que vous dites.
— A vous peut-être mais il vous tient responsables, M. de Chevreuse et vous, des maux qu’endure par eux une fille de France. Il se peut que nous renvoyions là-bas votre époux afin d’inciter les Anglais à une plus juste observance d’un traité de mariage… avant que la parole ne soit donnée aux canons !
— La guerre ? s’écria Marie horrifiée. Vous songeriez à la guerre ?
— Ceci, madame, ne vous concerne pas. Et si le duc de Chevreuse doit repartir, ce sera sans vous ! J’ai bien l’honneur de vous saluer, Madame la Duchesse…
Avant que Marie fût revenue de sa surprise, la haute silhouette rouge avait atteint l’escalier menant chez la Reine-mère, laissant dans les oreilles de la jeune femme l’écho de sa voix méprisante, de son verbe tranchant. Cet homme-là était devenu son ennemi déclaré et, malheureusement, sa puissance allait sans cesse grandissant… Marie remit à plus tard d’examiner la question avec l’attention désirable. Il était temps pour elle de voir où en était Anne d’Autriche.
En rejoignant le bel appartement tant regretté par la Reine-mère dont les fenêtres ouvraient sur les eaux du parc, Marie qui, cependant, le connaissait parfaitement, eut l’impression d’arriver dans un pays inconnu. Plus de chevalier de Jars, plus de Putange dans l’antichambre et plus de La Porte – il était entré dans l’armée – voltigeant d’une pièce à l’autre ! On les avait remplacés par des gens qu’elle n’avait jamais vus, pourvus de figures qui n’avaient pas l’air de savoir sourire. Aussi augurait-elle mal de ce qu’elle allait trouver plus loin.
La Reine était dans son Grand Cabinet jouant aux échecs avec une de ses dames. Dans un coin, Doña Estefania brodait, les lunettes sur le nez, dans un autre coin, le bataillon des filles d’honneur bâillait aussi élégamment que possible et dans un troisième, Mme de Lannoy, dame d’honneur, lisait un petit livre relié de cuir bleu et or. L’atmosphère était tranquille, à la limite de l’ennui sans doute car à l’annonce de son amie, Anne se leva brusquement, le visage illuminé de joie :
— Ma chevrette ! Enfin vous voilà ! Je désespérais de vous revoir un jour !
— La Reine me connaît-elle si mal ? Moi vivre en Angleterre où le soleil boude la plupart du temps ! Outre la pluie nous avions la peste ! Joli royaume en vérité et comme l’on peut comprendre ceux de ses habitants qui ne cessent de regarder de ce côté-ci de la Manche.
— C’était si désagréable que cela ? demanda Mme de Lannoy d’un ton acide. Le bruit nous est revenu cependant que la vie n’y manquait pas de charme pour vous. Ce qui n’est pas le cas – hélas ! – de notre princesse Henriette-Marie. Elle est très malheureuse, paraît-il.
— Les bruits auxquels vous faites allusion comportent toujours une part d’exagération, aussi bien en ce qui me concerne qu’en ce qui touche le ménage royal… Le roi Charles a reçu sa jeune épouse avec joie. Les difficultés apparues naissent seulement de la différence de religion et ce sont les politiques qui en sont responsables. Ils se sont peut-être contentés d’assurances insuffisantes !
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