La nouvelle enchanta Buckingham et ses deux complices : ce serait bien le diable si au cours de ces vacances inespérées on ne réussissait pas à ménager le tête-à-tête dont rêvait l’amoureux, agacé au plus haut point de ne pouvoir échanger avec son idole que des paroles conventionnelles, des regards éloquents sans doute mais insuffisants et dont le déchiffrage faisait cependant le bonheur des initiés. En dehors de cela il ne pouvait être question d’obtenir un entretien privé. L’écuyer Putange ne quittait pas la Reine d’une semelle sauf dans sa chambre à l’inviolabilité de laquelle veillait le jeune La Porte.
Au Logis du Roi, une grande et vieille demeure du centre de la ville, Chaulnes donna un bal qui fut le plus fastueux et le plus gai qui soit. On y fit assaut d’élégance et de somptuosité. Marie, satin blanc, velours noir et fabuleuse parure de diamants et de rubis, fut la plus élégante mais, pour une fois peut-être pas la plus belle, éclipsée par une souveraine qui, habitée du feu que donne l’amour partagé, brillait d’un éclat incomparable. Quant à Buckingham, il resplendissait comme un soleil dans un habit tellement cousu de diamants et de perles que l’on n’en distinguait plus la couleur originelle. Et quand Anne fit à son amoureux la faveur de danser avec lui, le couple qu’ils formaient coupa le souffle des assistants qui, d’un accord tacite, s’arrêtèrent d’évoluer au rythme lent de la pavane afin de mieux les admirer. Les yeux du Duc flambaient d’orgueil… Il était persuadé de tenir sa victoire.
— Faites en sorte, je vous en supplie, que je puisse être seul quelques instants avec elle, chuchota-t-il plus tard à Marie. Je sens qu’elle est à moi !…
— Patience ! répondit la Duchesse. Il est certain qu’elle est entièrement sous le charme mais, par grâce, ne brusquez rien ! N’oubliez pas qui elle est et ne brisez pas par une hâte intempestive le rêve que nous vous avons aidé à tisser !
— Quelques minutes ! Juste quelques minutes pour lui faire connaître l’étendue de ma flamme, pour qu’elle accepte… au moins une correspondance et aussi de me recevoir en secret lorsque je viendrai à Paris !
— Vous, venir à Paris en secret ? fit Marie en riant. Mon cher Duc, outre que les Parisiens vous connaissent à présent, vous êtes aussi voyant que le soleil au milieu du ciel !
— Je saurai m’effacer, je vous le jure ! Mais accordez-moi ces instants qui m’aideront à attendre…
— Soit ! Le temps est doux, les nuits sont magnifiques et plus délicieuses encore dans le jardin de la maison de la Reine…
— Je sais que l’on s’y précipite pour goûter la fraîcheur du soir… grogna-t-il.
— Mille tonnerres, mon ami, contentez-vous de ce que je vous offre ! Je n’ai aucun moyen de vous introduire dans sa chambre. Venez demain soir et j’organiserai une promenade… dont vous pourriez être content.
Ainsi fut fait. Le lendemain soir, alors que la Reine tenait cercle dans les salons, Mme de Chevreuse proposa de descendre au jardin : la nuit était vraiment trop belle pour rester à l’intérieur, même toutes fenêtres ouvertes. La compagnie descendit donc vers le fleuve que l’on voyait briller comme un ruban de satin au-delà des parterres. La Reine avait accepté avec enthousiasme. Buckingham lui offrit sa main avec un beau salut et Putange voulut leur emboîter le pas, mais Mme de Chevreuse l’écarta d’un geste suave et d’un sourire. Elle suivrait Sa Majesté de conserve avec Lord Holland. Lui se joindrait aux autres.
D’un bleu de velours sombre le ciel avait quelque chose de magique et les jardins embaumaient le tilleul et le chèvrefeuille. Buckingham et sa royale compagne suivaient un itinéraire mis au point par Marie. Elle-même, après un temps où elle se maintint si près du couple qu’elle eût pu entendre ce qu’il se disait, ralentit soudain la marche sous le prétexte d’un caillou indiscret dans son soulier. Et naturelle ment, elle retint du même coup la suite des courtisans qui n’osèrent pas les dépasser, elle et Holland. Cela se produisit aux approches d’un bosquet que le chemin contournait et derrière lequel Buckingham et la Reine disparurent. La halte de Marie qui se prétendait blessée au pied et tenait la largeur du chemin assistée de Mme du Vernet – elle était du complot ! – dura quelques instants… Jusqu’à ce que l’on entendît la Reine pousser un cri de douleur suivi d’un appel à ses femmes. Le pied de la Duchesse guérit subitement et elle se précipita avec son amie, toutes deux très inquiètes et sachant bien que le couple n’était pas derrière le bosquet mais dedans, où il y avait un banc. Holland suivit, de même Putange ainsi que La Porte qui de cette façon bouchèrent l’entrée du nid de verdure. Le spectacle qui les attendait fit dresser les cheveux sur la tête des dames. Anne d’Autriche, en larmes, le corsage en désordre et les jupes retroussées, semblait sur le point de perdre connaissance tandis que son amoureux, à genoux devant elle, s’évertuait à la calmer.
Holland bouscula ledit amoureux sans ménagement en lui soufflant de se réajuster parce que sa toilette à lui aussi laissait à désirer. Cependant que Marie et son amie se hâtaient de porter secours à leur maîtresse, rectifiant sa mise avant même de la consoler, Holland se hâta d’emmener Buckingham du côté opposé à celui où était la Cour que Putange et La Porte, s’efforçant de cacher leur affolement, rassuraient en disant que le pied de Sa Majesté lui avait tourné causant une souffrance qui avait manqué lui faire perdre connaissance. Anne d’Autriche fut rapportée plus que ramenée chez elle par Marie et Antoinette du Vernet, aidées par Mme de Conti qui cachait mal son envie de rire. Une fois Anne d’Autriche étendue sur son lit, elle attira sa belle-sœur à part :
— Il n’a tout de même pas essayé de la violer, j’espère ?
— J’ai bien peur que si. Tout à l’heure quand j’ai rabattu ses robes, j’ai remarqué des griffures sur ses cuisses. Cet imbécile a dû se jeter sur elle après l’avoir troussée sans prendre garde à la multitude de broderies d’or et de diamants de ses chausses ! On n’a pas idée d’être aussi inconséquent ! Quel rustre ! Ces Anglais sont vraiment des sauvages !
— Pas tous, ma belle, et vous le savez. En attendant il nous faut faire l’impossible pour éviter le scandale…
C’était plus facile à dire qu’à faire. La première à être mise au courant fut la Reine-mère. Du fond de son lit, elle prit les mesures qui lui semblaient s’imposer : son indisposition l’invalidant encore pour quelques jours, elle décida que sa fille quitterait Amiens dès le lendemain accompagnée seulement de Monsieur son frère. Il importait de débarrasser au plus tôt le royaume d’ambassadeurs aussi dangereux. En fait l’incident l’enchantait assez car elle y voyait un bon moyen de discréditer encore davantage sa belle-fille auprès de son fils.
Dès le matin le cortège d’Henriette-Marie, un peu surprise d’être ainsi expédiée, quittait Amiens avec ses turbulents sujets et, naturellement, les Chevreuse, dont l’époux ne comprenait rien à ce départ brusqué. N’ayant guère de goût pour les promenades nocturnes et sentimentales, il avait passé sa nuit à jouer et à boire chez le Gouverneur avec Carlisle et plusieurs gentilshommes.
Le protocole exigeait que la Reine accompagne Henriette-Marie jusqu’à deux lieues en dehors de la ville. Anne prit donc place dans son carrosse en compagnie de la princesse de Conti à qui d’ailleurs elle n’adressa pas la parole durant le court voyage. Droite, fière, tirée à quatre épingles et le visage immobile, elle était plus infante que jamais et la princesse n’essaya pas de restreindre la distance ainsi établie entre elles. Elle devinait sans peine à quel point la jeune reine se sentait humiliée, frappée d’une blessure intolérable pour un orgueil espagnol. Sans doute à cette heure en voulait-elle à la terre entière.
Quand on fut au point fixé pour la séparation, les deux belles-sœurs descendirent de leurs voitures respectives pour s’embrasser et s’échanger des souhaits de bonheur et, pour la seule Henriette-Marie, de voyage agréable. Puis chacune regagna son carrosse. A ce moment, Buckingham s’approcha de celui d’Anne d’Autriche afin de prendre congé. Il était très pâle et sa voix incertaine était coupée de larmes. La Reine le regarda à peine :
— Adieu, Mylord ! dit-elle seulement en détournant la tête.
Cette froideur le foudroya :
— Madame ! supplia-t-il. Votre Majesté ne consentira-t-elle pas à me dire…
— Rien ! Cela suffit ! laissa-t-elle tomber sans le regarder.
Alors il éclata en sanglots et voulut s’agripper aux rideaux du véhicule comme pour l’empêcher de s’en aller, balbutiant des paroles incompréhensibles. La scène, sous les regards avides des deux cortèges, devint rapidement intolérable et Mme de Conti prit sur elle d’y mettre fin :
— Retirez-vous, Mylord ! ordonna-t-elle d’un ton sec. La Reine souhaite repartir…
Il hocha la tête et s’écarta mais resta planté au milieu de la route tandis que le cocher royal faisait tourner ses chevaux, si évidemment misérable que Holland vint le chercher. Cependant, Louise de Conti, après que l’on eut roulé un moment, ne put s’empêcher de murmurer :
— Je ne savais pas Votre Majesté si cruelle ! Le malheureux fait pitié…
— Il n’a que ce qu’il mérite ! Les hommes en vérité ne sont rien d’autre que des brutes !
La Princesse ne jugea pas utile de discuter une opinion aussi tranchée et s’installa plus commodément dans son coin. Ce faisant, elle rencontra le regard du chevalier de Jars qui galopait à la portière de son côté. Elle lui sourit avec un mouvement fataliste des épaules et il lui répondit en levant les yeux au ciel. Lorsque l’on fut à Amiens la Reine s’enferma aussitôt avec son confesseur. Cependant elle n’en avait pas fini avec Buckingham.
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