Le Louvre composait alors un ensemble hétéroclite reflétant l’architecture de plusieurs siècles. La façade d’entrée, sur la rue d’Autriche, était résolument médiévale et plutôt noirâtre. Les tours massives, les fossés emplis d’une eau plus ou moins boueuse, le pont-levis et une première enceinte crénelée et jalonnée de tourelles avaient vu le jour au temps des rois capétiens. La seconde était un peu plus jeune et, entre les deux épaisseurs de muraille il y avait les deux jeux de paume où le Roi et ses gentilshommes aimaient à se détendre.
Pourvu que l’on soit convenablement vêtu… et à pied, l’accès du palais était libre. Aussi, en dépit de l’heure matinale, y avait-il déjà foule sur le pont surveillé par les archers de la Prévôté en hoqueton bleu. Deux d’entre eux croisèrent leurs pertuisanes devant le magnifique attelage à six chevaux. Alors Peran lança toute sa voix :
— Place ! Place à Son Altesse Madame la duchesse de Chevreuse, princesse de Joinville, Surintendante de la Maison de Sa Majesté la Reine !
Un officier vint, chapeau bas, saluer la nouvelle venue et ordonna que l’on la laisse entrer, et Peran engagea ses chevaux sous la longue voûte noire de la Porte de Bourbon. Au-delà et bien que le Roi fût à la guerre, il y avait un monde de courtisans, de marchands, de financiers, de provinciaux et même d’étrangers venus par curiosité. Quelques femmes aussi. Tout cela canalisé par les gardes françaises en habit bleu à parements rouges. Enfin il y avait un carrosse, un seul devant l’escalier menant chez la Reine mais que Marie reconnut avec plaisir : celui de la princesse de Conti, sa meilleure amie et à présent sa belle-sœur.
Saluée par les suisses en casaque rouge à parements bleus et hauts-de-chausses blancs qui veillaient à l’intérieur du palais, Marie monta l’escalier avec un frisson de joie orgueilleuse. Elle était éblouissante et le savait. Point n’était besoin de se retourner pour sentir sur son dos, sur sa nuque, le feu de tous ces regards d’hommes. Une sensation tellement agréable après ces interminables mois de quasi réclusion !
Dans la salle des gardes où veillaient les gardes du corps, Marie trouva le chevalier de Jars, François de Rochechouart, qui était l’un des écuyers de la Reine. Il s’entretenait dans une embrasure de fenêtre avec le jeune Pierre de La Porte, nommé depuis peu « portemanteau » d’Anne d’Autriche. Le premier vint avec empressement au-devant de Marie :
— Enfin vous, Madame la Duchesse ! Vous ne sauriez croire la joie que j’éprouve de votre retour !
— A ce point ? Si je vous manquais tant que n’êtes-vous venu me le dire chez moi ?
— Je ne me serais pas permis et, en vérité, c’est surtout en pensant à la Reine que je suis heureux ! On meurt d’ennui chez elle… depuis que vous nous avez quittés ! La Cour n’est plus ce qu’elle était sans votre sourire.
— Que fait donc la Reine de ses journées ?
— Elle prie… et de plus en plus ! Pour la santé du Roi, pour les armes du Roi, pour sa famille espagnole, son père, son frère, ses sœurs puisque pour une fois ce n’est pas contre eux que notre sire est allé en découdre ! Elle consulte son confesseur, brûle des cierges un peu partout et je crois bien, Dieu me pardonne, qu’elle se parfume à l’encens ! Ce n’est plus le Louvre ici, c’est l’Escorial. On s’ennuie beaucoup plus que chez la Reine-mère ! D’autant qu’elle n’est pas là ! Vous l’ignorez sans doute mais elle s’est lancée sur les routes pour rejoindre le Roi… et participer à sa gloire !
— Grand bien lui fasse ! A présent consolez-vous ! Me voici justement pour rendre quelque joie de vivre à Sa Majesté. Elle est à sa toilette, je suppose ?
— Et quelle toilette ! Depuis que la Reine a perdu son fruit, c’est Dona Estefania qui y préside et elle impose les couleurs du deuil !
— Ridicule ! Un deuil de cour dure un mois pour un parent proche. Pas pour un fœtus ! Et nous en sommes à cinq mois ! A quoi pensent la dame d’honneur et la dame d’atour ?
— La vieille connétable de Montmorency qui a daigné reprendre son service après le… euh… le départ de Votre Grâce, comme disent les Anglais…
— Ce que l’on espérait être ma disgrâce ?
— Si vous y tenez ! Elle est donc revenue mais elle fait chorus avec la duègne. Quant à la dame d’atour, Mme du Vernet, elle est tellement dépassée par les événements qu’elle est malade le plus souvent possible. Sans doute ne se sent-elle pas le courage d’assumer à elle seule le poids de la famille d’Albert !
Antoinette du Vernet était, en effet, la sœur de Luynes, de Cadenet et de Brantes. Elle aimait bien Marie qui le lui rendait, mais sans doute avait-elle préféré se montrer le moins possible tant que le sort de sa belle-sœur restait en suspens.
— Seigneur ! Il était temps que je revienne ! Mais au fait, j’ai vu en bas le carrosse de la princesse de Conti…
— Oui mais elle n’était pas dedans. Seulement sa suivante par elle chargée d’un présent pour Sa Majesté…
Marie offrit un sourire enjôleur à son interlocuteur et lui tendit une main qu’il baisa juste un petit plus longtemps que ne l’exigeait la bienséance :
— Merci, chevalier ! Grâce à vous je sais où nous en sommes ! Faites-moi annoncer, s’il vous plaît !
Ce fut La Porte qui s’en chargea. Précédant la Duchesse, il lui fit traverser l’antichambre où l’on serrait l’argenterie et qui servait de salle à manger, puis le Grand Cabinet au sol carrelé recouvert d’un superbe tapis venu de Turquie. Il y avait là des fauteuils, des chaises, des tables en ébène et de hauts chandeliers d’argent garnis de bougies rouges ; des coffres, des vases précieux, quelques livres richement reliés et une guitare abandonnée sur un siège complétaient l’ameublement de cette belle pièce dont les fenêtres, comme celles de l’appartement, donnaient à la fois sur la Cour Carrée[6] et sur la Seine. Un huissier veillait là en permanence. Ensuite on pénétrait dans la chambre qui était la plus spacieuse et la plus magnifique de toutes, agrémentée en outre d’un balcon regardant le fleuve. Boiseries sculptées et dorées, lambris et plafonds peints de couleurs vives servaient de cadre à un lit monté sur estrade et enveloppé de courtines de brocart brodé d’or et d’argent, qu’une balustrade en argent massif isolait du reste de la salle éclairée par des candélabres accordés à celle-ci. Des tapisseries, non plus flamandes mais françaises[7], complétaient un ensemble décoratif somptueux, œuvre de Marie de Médicis qui, en débarquant à Paris, avait été horrifiée par l’état de délabrement du vieux Louvre où l’on prétendait la faire habiter. Et s’en était allée loger chez les Gondi, ses compatriotes.
Quand, sept ans plus tôt, en 1615, Louis XIII avait épousé l’Infante, la Reine-mère s’était contentée de déménager ses objets personnels les plus précieux – ses innombrables bijoux notamment -dans l’appartement qu’elle s’était installé au rez-de-chaussée (sur jardin) et à l’entresol du palais. Mais il restait de nombreux coffres en bois rare où se répartissait une partie de la garde-robe royale – le reste se trouvait chez la dame d’atour ou les femmes de chambre[8] –, plus ou moins proches de la table à coiffer devant laquelle la Reine était assise, vêtue d’une veste longue en satin blanc passée sur une chemise brodée d’argent et de violet. Autour d’elle s’empressaient sa première femme de chambre, Mme de Bellière, deux ou trois servantes, plus un valet occupé présentement à remporter l’aiguière et la bassine de cristal grâce auxquelles Sa Majesté venait de se livrer à des ablutions à l’aide d’une énorme éponge réservée à ce seul usage. Le tour de la coiffure était venu et Doña Estefania de Villaguiran, rebaptisée Stephanille, s’apprêtait à officier. Type parfait de la duègne espagnole, c’était une femme déjà âgée, maigre et brune, sèche comme un pruneau et raide comme une planche dans un vertugadin que les filles d’honneur soupçonnaient d’être en fer, mais elle avait élevé la Reine et celle-ci lui conservait une espèce de vénération dont s’agaçaient ses femmes françaises.
Le nom de Mme de Chevreuse claironné par La Porte fit l’effet d’un pavé dans une mare à grenouilles. Stephanille en lâcha son peigne avec une exclamation de colère et les autres se tournèrent vers l’entrée de la chambre que la jeune femme venait de franchir d’un pas rapide avant de plonger dans la plus profonde, la plus parfaite des révérences. Sous le coup de l’émotion, la Reine s’était levée et venait à elle les mains tendues, soudain rayonnante :
— Vous, Marie ? Mais quelle joie ! Le Roi mon époux a donc levé votre… pénitence ?
— Il y paraît, madame, puisque me voilà ! Infiniment heureuse de pouvoir à nouveau baiser la main de ma Reine !
— Oh, pour cette fois je vous embrasse ! Vous n’imaginez pas quelle joie vous me donnez !
Les deux femmes s’embrassèrent, formant au milieu de cette chambre somptueuse un tableau à tenter le pinceau d’un peintre… A une année près elles étaient du même âge et rayonnaient d’un éclat égal. Rien d’espagnol en effet dans cette infante aux yeux verts, aux blonds cheveux soyeux, au teint lumineux rougissant facilement parce qu’elle se refusait à porter un masque comme toutes les femmes coquettes et laissait trop souvent les intempéries ou les insectes y faire quelques dégâts. Le nez un peu fort ne déparait pas l’ensemble, et le regard était surtout attiré par une petite bouche ronde, pulpeuse, d’un joli rouge frais. Pas très grande, Anne d’Autriche était admirablement faite sous une peau d’une blancheur de porcelaine et ses mains étaient les plus belles, les plus fines qui se puissent voir.
Tandis qu’elle reprenait sa place devant l’imposant miroir de Venise, Marie recevait – et rendait ! – le salut des autres dames. Une seule, dont elle n’avait pas encore remarqué la présence parce qu’elle se tenait dans l’ombre du lit, s’avança et, le visage fermé, la considéra des pieds à la tête :
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