— Devrons-nous vraiment vivre dans ce mausolée quand nous viendrons à Chevreuse ? demanda-t-elle d’une voix de petite fille déçue. N’avons-nous pas d’autres domaines ?
— Nous ferons le tour du propriétaire demain, répondit son époux qui, pour une fois, devinait ce qu’elle pensait et s’en amusait. Mais je ne vois pas ce que vous reprochez à notre château ?
— Je suis gelée !
— Cela vous passera. Allons nous coucher, je vous réchaufferai. Et en été, vous verrez, il fait délicieusement frais…
Elle n’arrivait pas à surmonter sa déception et, pour une fois, subit les assauts de Claude sans y participer. Ils furent brefs d’ailleurs : le Duc avait beaucoup mangé, bu plus encore et il tomba bientôt dans un profond sommeil accompagné de ronflements si triomphants qu’elle essaya, en le secouant, de les faire taire. Mais au fond de sa léthargie, il opposa une si belle résistance qu’elle en pleura de dépit.
Furieuse elle se leva, enfila des pantoufles et sa robe de chambre puis, s’avisant qu’il y avait une cheminée dans cette glacière, elle alla voir s’il n’y aurait pas de quoi allumer un feu. Or il n’y avait rien. Evidemment, elle aurait pu sonner pour qu’un valet vienne faire une flambée mais, par orgueil, elle résista, ne voulant pas qu’on la vît errant comme une âme en peine devant le lit où son époux dormait si bien. Elle ne savait même pas où était Elen…
En désespoir de cause, elle retourna se coucher mais sans ôter son vêtement et mit ses pieds glacés contre le flanc de Claude qui grogna vaguement avant de se retourner pour poursuivre son somme en paix. Marie se calma peu à peu après s’être promis d’exiger le retour à Lésigny dès qu’on aurait accompli le tour des fermes, villages et autres domaines… Elle finit par s’endormir et le moment venu Elen eut du mal à la réveiller. Cette fois, des flammes dansaient dans la cheminée, les servantes s’activaient autour du lit… et Claude avait disparu.
— Où est-il ? demanda-t-elle.
— Dans la cour où il cause avec ses gentilshommes en vous attendant. Il faut nous hâter !
— Pourquoi n’a-t-on allumé que ce matin, ronchonna-t-elle en désignant l’âtre rutilant. J’ai cru mourir de froid…
— Je crois qu’hier on a oublié. Vos sujets avaient tellement fêté la bienvenue de Madame la Duchesse !
— Et toi tu ne pouvais pas donner des ordres ? Mille tonnerres ! Je suis maîtresse ici et tu es ma voix !
— J’aurais aimé le faire, mais souvenez-vous, madame : Monseigneur a mis tout le monde à la porte en disant que vous vous serviriez vous-même. J’avoue, en outre, que j’étais morte de fatigue…
Marie n’insista pas et ne s’attarda pas à sa toilette. Pour une fois elle fut vite prête, avala un bol de lait chaud et descendit rejoindre son époux, bien décidée à se faire ramener pour la nuit suivante dans un endroit plus civilisé. Le temps, par chance, se maintenait superbe et en l’aidant à monter en voiture, Claude lui promit, avec un large sourire, une belle promenade.
— Après quoi nous reviendrons ici ? demanda-t-elle, méfiante.
— Une duchesse de Chevreuse doit résider sur sa terre ! fit-il doctoral.
— Encore une nuit dans cette prison des courants d’air et vous me ramènerez à Paris mourante !
— Soyez raisonnable, mon cœur ! Il n’est pas question de rentrer à Paris. Qu’y ferions-nous tant que nous n’avons pas reçu réponse de Sa Majesté le Roi ? Car il ne vous a pas répondu, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas vu M. de Malleville depuis des jours…
— Je vous rappelle que l’hôtel de Luynes, qui s’appellera dorénavant hôtel de Chevreuse, est d’un séjour agréable et que vous projetez de l’améliorer encore ! Il serait temps de vous y mettre !
— Laissez travailler les architectes ! J’ai donné des directives en ce sens à Métezeau[4] pour les travaux et afin que nous puissions nous installer au mieux quand viendra l’automne. Allons, mon cœur, ajouta-t-il en prenant une main qu’il baisa, soyez certaine que je n’ai en vue que notre bonheur commun. Admirez plutôt la beauté de notre campagne !… Et souriez ! Vous allez être acclamée tout le long du chemin !
Le duché édifié en pairie dix ans plus tôt ne se limitait pas en effet à la petite ville de Chevreuse, son château, ses tenants et ses aboutissants. Il réunissait les terres, fiefs et seigneuries de Maurepas, Danvilliers, Maincourt plus ceux de Meudon, Saclay, Cottigny et enfin Dampierre…
Après avoir tourné et retourné par nombre de chemins en suivant un itinéraire soigneusement mis au point par le Duc, ce fut là que l’on arriva vers la fin de l’après-midi. Et Marie, soûle d’acclamations, épuisée par d’innombrables descentes et remontées en carrosse – et qui fermait les yeux de lassitude –, tressaillit en entendant son époux murmurer à son oreille :
— Voici Dampierre, Marie ! Ma résidence préférée ! Dites-moi si celle-ci a votre agrément !
Marie ouvrit les yeux et avec une exclamation de surprise, se pencha à la portière pour mieux voir. L’endroit, à la rencontre de trois vallons, était ravissant et le château – briques roses et chaînages de pierres blanches sous des toits d’ardoises bleues – ne l’était pas moins. La route, qui filait entre un bel étang et les douves d’eaux vives entourant les murs, avait de superbes ombrages. On la quitta pour accéder par un pont dormant et un autre que l’on pouvait encore relever, au pavillon d’entrée percé de trois fenêtres sous un comble aigu à la Henri IV. Cela débouchait sur une cour, pas très grande, encadrée de bâtiments en rez-de-chaussée à l’exception du logis principal élevé d’un étage percé de hautes fenêtres donnant sur un vaste jardin où des fleurs, sagement enfermées dans des bordures de buis, dessinaient une joyeuse broderie. Une galerie ouverte sur les eaux courantes des fossés l’entourait. Un autre parterre, plus important et celui-là enveloppé d’un canal que l’on franchissait sur un petit pont, le complétait. Des fontaines animaient cet ensemble où les eaux étaient reines et que Marie contempla avec délices[5]. Comme elle se retournait vers lui pour mieux l’exprimer, il sourit :
— Vous voilà chez vous, Madame la duchesse de Chevreuse ! Dampierre est à vous et vous pouvez l’orner à votre gré. Certes il n’y a pas de parc mais avec les terres que vous voyez d’ici, il sera facile d’en planter un…
— Rien ne presse ! Tel qu’il est il m’enchante. Je l’aime déjà ! s’écria-t-elle…
— Autant que Lésigny ?
Elle rougit comme si elle venait de commettre une faute. Dans son enthousiasme elle avait complètement oublié que, durant sa nuit médiévale, elle n’avait pas caché à Claude sa ferme intention de ne venir à Chevreuse que le moins possible et d’élire définitivement Lésigny comme résidence estivale où d’ailleurs elle souhaitait retourner sitôt achevée la visite du duché. Mais il fallait répondre. Elle s’en tira avec une demi-mesure :
— De façon différente ! Lésigny, après tout, reviendra à mon fils, et pour les chasses d’hiver il sera peut-être plus commode que celui-ci parce que plus proche du Louvre…
Le Duc saisit la balle au bond :
— A propos du Louvre, il faudrait songer à vous y faire revenir avec les honneurs dus à mon épouse ! Vous n’avez toujours pas reçu réponse du Roi ?
Marie retint un soupir : la question devait bien finir par arriver ! Sûr à présent de pouvoir assouvir à son gré sa passion pour elle, Claude commençait à se faire du souci pour sa position dans l’entourage royal. Comme si elle avait soudain trop chaud, elle prit à sa ceinture un petit éventail d’ivoire et de plumes pour en rafraîchir son visage rougissant. En même temps, elle glissait son bras sous celui de son époux :
— Oh, je suppose qu’elle doit nous attendre à Paris où le chevalier de Malleville est certainement rentré, et comme il ne sait pas où nous sommes…
— C’est vrai, nous nous sommes enfuis comme des amoureux de village à la recherche d’une meule de foin pour s’y cajoler en paix, mais rien n’est plus facile que l’envoyer chercher ! Je vais dépêcher un courrier…
Il avait pris une voix nasillarde que Marie détestait et, en outre, elle n’aimait pas beaucoup la meule de foin accolée à son cher Lésigny, mais ce qu’il proposait était légitime et il n’y avait aucune raison de s’y opposer, d’autant qu’elle aussi souhaitait recevoir des nouvelles.
— Merci d’aller au-devant de mes désirs, mon ami ! J’allais vous le demander… Faites-moi visiter les appartements à présent…
Elle s’en déclara aussi enchantée que des jardins. La grande salle réchauffée de tapisseries de Flandres et de sièges en velours de Gênes, avec sa cheminée monumentale et les six fenêtres qui l’éclairaient, avait de la noblesse. Quant à la chambre conjugale habillée d’un beau damas rouge clair, d’un lit à plumets blancs et de grands tapis d’Orient, elle lui convint en tous points et ce fut avec joie qu’elle s’y installa. Elen non plus ne cachait pas sa satisfaction. Bien que née dans une tour bretonne battue par les vents et les pluies d’hiver, au confort à peine supérieur à celui des maisons du village, elle avait goûté à la douceur d’un tapis sous ses pieds, à la rassurante intimité des rideaux de velours et des tentures murales, aux repas abondants et au divin plaisir d’être servie par une domesticité nombreuse. En revanche Paris boueux et malodorant en dépit de ses magnifiques églises et de ses palais vastes ou étroits ne vaudrait jamais aux yeux de son souvenir la beauté sauvage de sa lande fleurie de bruyères et d’ajoncs, déchiquetée par les assauts d’une mer souvent tumultueuse aux couleurs sans cesse renouvelées. Aussi nourrissait-elle une préférence pour les châteaux champêtres comme Lésigny ou Luynes. Après les austérités de Chevreuse, Dampierre la séduisit : château, dépendances et jardins étaient admirablement surveillés et entretenus par Boispillé, l’intendant :
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