– Tu n’aurais jamais dû lui dire ça ! fit Adalbert quand il le retrouva à l’hôtel. Il ne nous aime déjà pas beaucoup et si nous n’avions nos grandes entrées à Rudolfskrone, nous aurions peut-être même eu quelques ennuis...
– ... manquerait plus que ça ! mâchonna Morosini. Écoute, mon bonhomme, tu feras ce que tu voudras mais moi je réponds aux questions du juge d’instruction ou quel que soit le nom dont on les appelle ici, je fais mes adieux à ces dames et je rentre à Venise ! De là, j’essaierai d’accrocher Simon !
– Oh, je n’ai pas non plus l’intention de m’éterniser ! Il fait trop mauvais ici. Mais pour ce qui est de nos châtelaines, ce n’est pas nous qui leur dirons au revoir les premiers. J’ai là une invitation à dîner pour demain soir, ajouta-t-il en tirant de sa poche un élégant carton gravé. Comme tu peux le voir, c’est quelque chose de presque officiel... et en grande tenue ! Il y a aussi un petit mot moins empesé qui nous apprend que ces dames, sur les instances de la « princesse », ont décidé de rentrer à Vienne !
– Sur les instances d’Elsa ? Seigneur ! gémit Morosini, je lui ai dit que je devais retourner dans la capitale pour un complément de traitement ! Dix contre un qu’elle va me demander de partir avec elle !
– Là, je crois que tu te trompes et que, bien au contraire, la comtesse souhaite te ménager une porte de sortie. Sinon pourquoi ce dîner d’apparat ?
– Je te rappelle qu’Elsa parlait, elle, de repas de fiançailles ? Et je ne veux pas me fiancer ! Elle a mon âge, Elsa, ou presque, et si touchante qu’elle soit, je ne veux pas l’épouser. Quand je me marierai ce sera pour avoir des enfants !
– Tu épouseras un ventre comme disait Napoléon ? Comme c’est romantique et agréable à entendre pour une femme éprise ! fit Adalbert narquois. Mais moi je crois que tu n’as rien à craindre. C’est un certain Franz Rudiger qu’elle veut et tu ne vas pas changer de nom ? ... D’ailleurs je vais monter toucher un mot de tout ça à Lisa, voir quelle conduite nous devrons tenir et...
– Tu n’iras nulle part ! Il y a le téléphone, non ? C’est beaucoup plus commode ! Surtout quand il pleut !
Le sourire d’Adalbert s’élargit devant la mine orageuse de son ami.
– Pourquoi ne veux-tu pas que j’y aille ? On dirait que ça t’ennuie ?
– Non, mais si Lisa a quelque chose à nous dire, elle saura bien nous le faire savoir !
Adalbert ouvrit la bouche pour répliquer puis la referma. Il commençait à connaître les humeurs noires de son ami. Dans ces moments-là, il était tout aussi imprudent d’aller caresser un tigre à rebrousse-poil. Et jugeant préférable de vider les lieux, il dit :
– Je vais prendre un chocolat chez Zauner. Tu tiens avec moi ?
Il sortit sans attendre une réponse qu’il connaissait déjà.
CHAPITRE 11 LE DÎNER D’OMBRES
La sortie brutale de Morosini fut-elle efficace ou bien le directeur de la police de Salzbourg était-il plus déterminé qu’il n’en donnait l’impression, toujours est-il que, le soir même, on arrêtait la baronne Hulenberg et son chauffeur. Après le départ du prince, Schindler s’était rendu chez elle avec un mandat de perquisition : on avait retrouvé sans peine la paire de gants mouillés et souillés de terre que l’on n’avait pas encore songé à nettoyer, et l’on s’était aperçu que le chauffeur cachait sous une fausse identité un ancien repris de justice. Aldo fut convoqué pour faire la déposition officielle que son coup de colère n’avait pas permise. Comme il n’aimait pas blesser les gens, il s’en excusa et félicita le policier.
– J’espère, ajouta-t-il, que vous retrouverez bientôt le frère. C’est lui le plus dangereux et, surtout, c’est lui qui a les bijoux...
– J’ai bien peur qu’il ne soit déjà passé en Allemagne ! La frontière est si proche de Salzbourg ! Tout ce que nous pouvons faire, c’est lancer un mandat d’arrêt international mais sans grand espoir d’aboutir à quelque chose étant donné l’état d’anarchie qui règne dans la République de Weimar.
– Il n’est pas certain qu’il y reste et, dans les pays de l’Ouest, la police est efficace.
– Surtout en Angleterre, fit Schindler mi-figue mi-raisin. Et on sépara sur cette flèche du Parthe...
La journée du lendemain parut d’autant plus longue que rien ne vint sinon, au courrier, une lettre de Venise qui laissa Morosini perplexe et inquiet.
Ce n’étaient pourtant que quelques lignes sous la plume de Guy Buteau lui demandant s’il pensait s’attarder encore longtemps en Autriche. La santé de la maisonnée était excellente, cependant tous souhaitaient que le retour du maître ne soit pas reporté aux calendes grecques. Et c’est ce côté anodin qui troubla Aldo. Il connaissait trop bien son fondé de pouvoir ! Guy n’avait pas l’habitude de lui écrire des fadaises. Sous les phrases conventionnelles, Aldo croyait deviner une sorte d’appel au secours.
– J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose chez moi et que Buteau n’ose pas me le dire, confiât-il à Adalbert.
– C’est possible mais, de toute façon, tu comptais repartir prochainement ?
– Dans deux ou trois jours. Après la soirée de demain, je n’aurai plus rien à faire ici...
– A merveille ! Annonce chez toi que tu rentres ! ...
– Je vais faire mieux : je vais téléphoner !
Il fallait compter un minimum de trois heures d’attente pour Venise et il était déjà cinq heures du soir. Devant l’énervement visible de son ami, Vidal-Pellicorne proposa sa panacée personnelle : aller manger quelques gâteaux et boire un chocolat chez Zauner. Le temps était toujours aussi affreux mais l’hôtel n’en était pas loin.
– Rien de tel que quelques douceurs pour rendre la vie plus confortable, plaida l’archéologue qui était gourmand comme une poêle à frire. Et c’est bien meilleur que l’alcool...
– Comme si tu n’aimais pas ça aussi ! Tu ferais beaucoup mieux de me dire que tu en as un peu assez de la cuisine du Kaiserin Elisabeth ! Tu n’auras plus faim pour dîner.
– Eh bien, on se contentera de grignoter et on passera la soirée au bar. Si ça ne te dit rien, reste ici. Moi j’y vais ! Ce Zauner est le Mozart de la crème fouettée.
Comme d’habitude, il y avait foule dans la célèbre pâtisserie-salon de thé mais on finit par trouver dans le fond de la salle, un petit guéridon rond et deux chaises. On trouva aussi Fritz von Apfelgrüne...
Assis dans un coin, entre un panneau de verre gravé et trois dames rebondies qui, sans cesser de parler, faisaient disparaître une invraisemblable quantité de gâteaux, le jeune homme égratignait d’une cuillère mélancolique une tulipe de chocolat liégeois. Les coudes sur la table, la tête rentrée dans les épaules, il offrait une image misérable et les deux arrivants s’en émurent. Tandis qu’Aldo gardait la table, Adalbert alla vers lui. Il leva des yeux découragés sur l’archéologue et celui-ci put même voir des traces de larmes :
– Qu’est-ce qui se passe, Fritz ? Vous n’avez pas l’air bien du tout.
– Oh... je suis désespéré ! Asseyez-vous !
– Merci mais je suis venu vous chercher. Venez avec nous ! On pourra peut-être vous aider ?
Sans répondre, Fritz prit sa glace et se laissa enlever tandis que Vidal-Pellicorne indiquait à la serveuse en tablier de mousseline où il l’emmenait et qu’Aldo cherchait une troisième chaise.
– Vous devriez prendre un bon café, conseilla celui-ci quand ils s’installèrent. On dirait que vous en avez besoin !
Fritz lui adressa un regard d’épagneul battu :
– J’en ai déjà bu deux... avec une demi-douzaine de gâteaux. Maintenant j’aborde les glaces.
– Vous cherchez quoi ? À vous suicider par indigestion ? On y arrive peut-être mais ça doit être long et plutôt désagréable.
– Vous me conseillez quoi alors ? Le revolver ?
– Je ne vous conseille rien du tout ! Qu’est-ce qui vous prend ? Jusqu’à présent, vous étiez le rayon de soleil de la maison !
– C’est bien fini ! J’ai compris que Lisa ne m’aime pas, qu’elle ne m’aimera jamais... et peut-être même qu’elle me déteste !
– Elle vous l’a dit ? demanda Adalbert.
– Non, mais elle me l’a fait comprendre. Je l’énerve, je l’agace. Dès que j’entre dans une pièce où elle se trouve, elle s’en va... Et puis il y a l’autre !
– Quelle autre ?
– Cette Elsa sortie on ne sait d’où et que vous avez sauvée. Moi je n’avais jamais entendu seulement parler d’elle et maintenant elle règne sur la maison. On la traite en princesse. Elle accepte tout ça comme un dû et moi elle me déteste. Pourtant je suis toujours courtois avec elle.
– Vous devez vous tromper : elle n’a aucune raison de vous détester ? N’avez-vous pas pris votre part, la nuit où elle a été sauvée ?
– Oh, elle ne doit même pas s’en douter ! Elle a plutôt tendance à me considérer comme un meuble encombrant et, pas plus tard que ce matin, elle m’a demandé si ma seule occupation dans la vie était d’accabler Lisa d’un amour dont elle n’avait que faire. Elle a dit aussi que je ferais mieux de m’en aller avant qu’on me dise clairement que j’étais de trop...
– Lisa et votre grand-tante sont d’accord avec elle ?
– Je ne sais pas. Elles n’étaient pas là, mais je ne vois pas pourquoi elles ne le seraient pas : elles sont toujours ensemble et, quand j’arrive, on me traite comme si j’étais le petit garçon qui a échappé à sa gouvernante. C’est tout juste si l’on ne me dit pas d’aller jouer ailleurs !
– Trois femmes réunies, vous savez ! Elles doivent avoir des tas de choses à se dire, fit Aldo. C’est normal que vous vous sentiez un peu perdu !
– Pas à ce point-là ! Elles pourraient au moins me laisser les accompagner quand elles vont en promenade.
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