Sur le conseil de sa grand-mère, Lisa était restée au logis pour tenir compagnie à Elsa. Quant à Morosini et Vidal-Pellicorne, ils étaient présents mais se tenaient à l’écart sous un bouquet d’arbres en compagnie du policier salzbourgeois. Ils étaient venus pour voir si la baronne Hulenberg ferait son apparition, mais celle dont Golozieny avait avoué qu’elle était sa maîtresse ne se montra pas. Les deux amis en furent pour leur curiosité...
– C’est aussi bien comme ça, fit Aldo entre ses dents. Elle a conduit ce pauvre type à sa perte et c’est elle que nous avons entendue rire quand il est tombé. Tu n’aurais pas voulu qu’elle lui apporte des fleurs ?
– Si je n’étais certain qu’elle est toujours ici, je croirais volontiers qu’elle est partie en dépit de ma défense, dit Schindler. Les volets de sa maison sont fermés. Seules les cheminées fument...
– Vous feriez peut-être mieux de lui laisser la bride sur le cou mais en lui donnant un ou deux anges gardiens, suggéra Adalbert. Qui sait si elle ne vous mènerait pas à son cher frère ? S’ils sont vraiment liés par le sang, cela m’étonnerait beaucoup qu’elle lui laisse tout le bénéfice du crime. Chez ces gens-là, la confiance ne doit pas faire partie des vertus familiales...
– J’y ai songé mais je la crois trop maligne pour commettre une telle erreur. Elle va sûrement se tenir tranquille pendant un moment...
Tandis que les fossoyeurs s’employaient à recouvrir le défunt d’une épaisseur de terre avant de disposer dessus les quelques couronnes de chrysanthèmes, de feuillage ou de perles, les assistants refluaient vers la sortie après avoir offert à la comtesse des condoléances d’autant plus volubiles qu’elles étaient dépourvues de conviction. Elle-même se retira en s’entretenant avec le prêtre qui venait d’officier et qui l’avait rejointe sous le vaste parapluie.
– Je me demande, fit Aldo, s’il y a ici une seule personne pour regretter Golozieny ?
– Nous avons peut-être parlé trop vite, murmura Schindler, tandis que tous trois sortaient du cimetière. Regardez la voiture arrêtée devant celle de la comtesse : c’est celle que nous avons arraisonnée l’autre nuit.
Deux personnes occupaient le véhicule : un chauffeur sur le siège et une femme sur la banquette arrière. Ils ne bougeaient pas, attendant sans doute que les assistants se dispersent.
– J’aimerais voir quelle tête elle a, dit Aldo. Rentrez sans moi, je vous rejoindrai !
Il s’esquiva discrètement et profita de la sortie du milieu des tombes en effectuant un mouvement tournant qui lui permit de revenir à l’abri d’un buisson qui foisonnait à la tête même de la sépulture. Et là, il attendit.
Pas très longtemps. Un quart d’heure peut-être s’écoula avant qu’un pas fît crisser le gravier : une femme s’avançait, un bouquet d’immortelles dans ses mains gantées. Elle portait un manteau de ragondin et, sur ses cheveux blonds coiffés avec art, un petit chapeau de velours brun qu’elle abritait à l’aide d’un charmant parapluie. Elle s’approcha de la tombe fraîche tandis qu’avec un salut les fossoyeurs, qui avaient achevé leur ouvrage, s’en allaient. Sans leur accorder un regard, elle fit un signe de croix et parut s’absorber dans sa prière.
D’où il était placé, Morosini la voyait assez bien pour ne plus douter un instant qu’elle eût un lien de famille avec Anielka et son père. Surtout avec ce dernier ! C’était la même coupe de visage un peu sévère, le même nez arrogant, les mêmes yeux pâles et froids. Elle n’était pas sans beauté, pourtant l’observateur se demanda comment on pouvait devenir l’amant d’une femme pareille !
Durant un moment, il ne se passa rien : la baronne priait. Puis, soudain, elle tourna la tête à droite, à gauche, sans doute pour s’assurer qu’elle était bien seule et que personne ne l’observait. Rassurée par la tranquillité du lieu où l’on n’entendait que le bruit du vent, elle plia le genou, déposa son bouquet et le manchon assorti à son manteau et se mit à fourrager sous les fleurs. Aldo, sans bouger, tendit le cou, se demandant ce qu’elle pouvait faire, ainsi agenouillée sur des cailloux mouillés. Elle eut un geste d’agacement : de toute évidence le parapluie la gênait, mais renoncer à son abri eût été fatal au tortillon de velours qu’elle avait sur la tête...
Elle prit un objet dans son manchon et le glissa sous les couronnes. Puis, son manchon d’une main, son parapluie de l’autre, elle se détourna pour se diriger vers la sortie du cimetière et rejoindre sa voiture.
Aldo n’avait toujours pas bougé. Aussi immobile que l’ange de pierre d’un tombeau voisin, il se laissa tremper jusqu’à ce que le bruit d’un moteur que l’on mettait en marche lui eût appris que la baronne partait.
Aussitôt, il quitta son abri et vint se placer à l’endroit exact où se trouvait la visiteuse. Comme elle, il regarda si personne n’était en vue, s’accroupit et commença à fouiller la terre sous les fleurs. Cette femme n’était pas venue pour prier ni pour rendre un hommage dérisoire à l’homme qui l’avait aimée mais bien pour déposer quelque chose. Et ce quelque chose, il le voulait.
Ce fut moins facile qu’il le croyait. La terre qui venait d’être rejetée était encore molle, mais la baronne avait dû enfoncer l’objet assez profondément. Il trouva quelques pierres sous ses doigts jusqu’à ce qu’enfin, son index accrochât quelque chose qui avait l’air d’un anneau. Tirant un bon coup, si énergiquement même qu’il faillit tomber à la renverse, il amena au jour un pistolet à répétition. La baronne était venue enfouir dans la tombe de l’homme assassiné l’arme qui avait servi à l’abattre.
Prenant son mouchoir, il en enveloppa sa trouvaille, qu’il fourra dans l’une de ses vastes poches, et prit sa course vers la route. La preuve qui faisait si cruellement défaut, il la sentait peser contre lui, et il en éprouvait de la joie. Les balles extraites par l’autopsie du corps d’Alexandre Golozieny n’avaient pu être tirées que par cet outil de mort.
La pensée que Schindler était peut-être déjà reparti pour Salzbourg lui traversa l’esprit et il se remit à courir. Grâce à Dieu, quand il arriva devant le poste de police, la voiture du haut fonctionnaire était encore là. Il se rua à l’intérieur, aperçut Schindler qui causait avec un collègue et fonça :
– Excusez-moi ! Est-ce qu’il y a ici un endroit où l’on peut parler tranquillement ?
Sans poser de question, le policier se contenta d’ouvrir une porte donnant sur un petit bureau :
– Venez par là !
Il regarda Morosini déballer sur le buvard taché d’un sous-main son paquet un peu boueux mais, quand il vit ce qu’il y avait dedans, ses yeux se rétrécirent.
– Où avez-vous trouvé ça ?
– La baronne m’en a fait cadeau sans même s’en douter...
Et de raconter ce qui venait de se passer au cimetière.
– Naturellement, bougonna Schindler, vous l’avez pris à pleine main ?
– Non. Je l’ai sorti par l’anneau de la détente et je l’ai mis dans mon mouchoir mais je serais étonné que vous trouviez des empreintes. Mme Hulenberg portait des gants pour effectuer son petit travail et la terre mouillée a dû effacer pas mal de traces, en admettant qu’on ne s’en soit pas occupé avant...
– On verra bien ! Il est certain que vous venez de nous rendre un grand service mais vous allez devoir paraître à l’enquête : vous êtes le seul à l’avoir vue enfouir cette arme...
– Vous voulez dire que ce sera sa parole contre la mienne ? Je n’y vois aucun inconvénient. En revanche, il y a une question que je me pose...
– Parions que je me la pose aussi ! Où ce pistolet a-t-il été caché après le meurtre du conseiller Golozieny ? Quand nous avons arrêté la voiture, nous Bavons passée au peigne fin et ce n’est pas un objet nui échappe à un peigne fin...
– Vous n’avez pas fouillé les occupants ?
– Le chauffeur si. Quant à la baronne elle nous a donné son manchon et son petit sac. Elle a même retiré son manteau de fourrure pour nous montrer qu’il était impossible de cacher ça sous la robe assez ajustée qu’elle portait.
– Pourtant, il devait être quelque part puisque ces gens ne s’attendaient pas à rencontrer la police ? Ou alors Solmanski l’a gardé sur lui et cela signifie qu’il a eu, sous votre nez, un contact quelconque avec sa sœur...
La figure pleine et ronde de l’Autrichien eut l’air de se chiffonner tout à coup. Il n’avait pas aimé le « sous votre nez » de Morosini :
– Il y a encore une solution, grogna-t-il et c’est celle qu’emploiera l’avocat de la baronne : pourquoi donc l’arme n’aurait-elle pas été en votre possession ? Comme vous l’avez dit fort justement, ce sera sa parole contre la vôtre. Et vous êtes étranger !
– Et elle ne l’est pas peut-être ?
– Elle est polonaise et une partie de la Pologne appartenait à l’empire d’Autriche.
Aldo sentit la colère le gagner :
– Et vous croyez qu’ils vous en sont reconnaissants, à Varsovie ? Pas plus que nous autres, les Vénitiens, que vous avez occupés au mépris de tous droits ! J’ai même pu apprécier votre hospitalité carcérale pendant la guerre. Alors nous devrions faire jeu égal. D’autant que le véritable nom de son frère est Ortschakoff et qu’il est russe. J’ai bien l’honneur de vous saluer, Herr Polizeidirektor !
Il empoigna son chapeau qu’il avait posé sur une chaise en entrant, s’en coiffa d’un geste énergique et s’élança vers la porte, qu’il ouvrit mais, avant de sortir, il se ravisa :
– Ne perdez pas de vue que j’étais dans la voiture de Mme von Adlerstein tandis que l’on abattait son cousin et qu’elle s’en portera garante ! Et puis, un conseil : si vous écrivez au superintendant Warren demandez-lui donc quelques petits tuyaux sur l’art de mener une enquête ! Vous avez tout à y gagner !
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